2 - Exhibition du translateur et construction d’un univers subjectif

Au sein du mouvement de transposition et d’appropriation des romans du Moyen Âge français ou de l’Italie et de l’Espagne contemporaines, il est des œuvres où l’écart se réduit entre le traducteur et l’auteur. Prenant le texte-source comme un véritable modèle, le transcripteur se fait alors ouvertement créateur. L’infidélité des traductions d’Herberay peuvent, de ce point de vue, être considérées comme exemplaires : nous choisissons d’étudier les indices de subjectivité dans le Premier livre de Amadis de Gaule, de manière à isoler le langage individualisé du nouveau romancier au cœur du récit importé. Le traitement distancié que fait subir le translateur à une matière et une forme chevaleresque anciennes se traduit par une représentation du sujet de l’écriture.

Amadís de Gaula, dont la version primitive date du début du XIVe siècle, reprend sans contredit les procédés de composition des romans de chevalerie médiévaux 391 . La construction séquentielle, qui fait alterner la narration des faits d’un personnage avec ceux d’un autre, s’inscrit dans le cadre d’un roman de lignée, où le devenir des parents des héros est nécessairement exposé avant celui des héros. Les différences avec la structuration du récit chez l’Arioste confirment cette impression de continuité narrative : alors que dans l’Orlando furioso une alternance rapide entre les différentes histoires donne une impression de grande variété thématique et structurelle, le narrateur s’attarde ici assez longuement sur chaque intrigue et confère, malgré le nivellement entre les personnages et leurs projets actantiels produit par l’entrelacement, une importance certaine au protagoniste éponyme 392 . L’univers dans lequel se déroulent les actions est, en quelque sorte, plus confiné chez Montalvo que chez l’Arioste : les trames sont moins nombreuses, le rythme moins haletant et les effets de rupture moins saillants dans Amadís que dans l’Orlando ; parallèlement, la présence d’une autorité scripturaire s’avère plus diffuse. Rien de comparable, en effet, entre les longs monologues en tête de chants ou les nombreuses remarques parodiques qui mettent en péril la narration même, d’un côté, et les quelques interruptions du récit par un discours à l’adresse des auditeurs, concernant le contenu et l’organisation des histoires, ou les digressions sur le péché d’orgueil, la nécessaire soumission à Dieu, etc., de l’autre. Qu’en est-il dans la version d’Herberay de ces interventions explicites du narrateur ? Si l’on cherche à en faire une typologie, il faut d’abord constater la prééminence des notations portant sur la structure narrative : alors que le ‘«’ ‘ style paratactique ’» segmentait à outrance le flux du récit chez Montalvo, on considère comme une constante de son écriture le ‘«’ ‘ rétablissement des liens logiques ou chronologiques ’» ainsi que la ‘«’ ‘ tendance à la motivation explicite des actes et des événements ’» 393 . Cela se traduit par l’insistance sur la composition adoptée par le premier ‘«’ ‘ Autheur ’» : des formules comme ‘«’ ‘ l’Autheur laisse ce propos, et rentre au traictment de […] » ’ou «‘ pour le present l’Autheur n’en fera plus de mention, pour vous declairer que […] »’ peuvent paraître surprenantes, mais elles confèrent une souplesse à l’agencement du récit et permettent d’établir une confrontation entre les deux instances d’écriture. De plus, alors que l’auteur castillan ne s’en tient qu’aux transitions traditionnelles, du type «‘ se os contara […] »,’ le traducteur manifeste sa maîtrise des fils narratifs par les multiples incursions du type ‘«’ ‘ pour ne discontinuer mon propos ’», ‘«’ ‘ comme desjà je vous ay recité ’» ou ‘«’ ‘ celuy, dont je vous parle, estoit […] ’». Le je se manifeste ainsi au moment de reprendre une action laissée en suspens, de ménager une pause, voire d’annoncer une accélération du temps de l’histoire par rapport à celui de la narration ou, inversement, un retour en arrière. Ses explications ont un autre rôle que celui de rappels mémoriels : malgré la prétention du préfacier de fidélité à l’original, elles exhibent la main mise du nouveau narrateur sur le récit. Inversement, il faut noter la rareté des commentaires moralisants ou religieux, alors qu’ils foisonnaient chez Montalvo 394 . Une troisième variété de manifestations du narrateur consiste dans le dévoilement des ressorts du récit : toute la subtilité d’Herberay consiste moins à ménager un écart entre le texte de son prédécesseur et le sien qu’à mimer le mouvement par lequel il s’affranchit de son patron. Un exemple magistral est donné au chapitre 41, alors qu’Amadis et Galaor viennent de promettre d’accorder un don à la belle Briolania. Le narrateur interrompt le récit au moment où il évoque la flamme de la jeune fillepour Amadis :

‘Et de tel œil le reguarda qu’elle en fut depuis fort longtemps si amoureuse, qu’après qu’elle eut recouvert son royaume, il ne tint qu’à luy qu’il ne feust seigneur de la personne d’elle et de ses pays ensemble, ainsi que cy après vous sera declairé. Mais Amadis s’estoit donné ailleurs, et luy fit bien cognoistre que les angoysses et douleurs qu’il enduroit pour son Oriane, n’estoit souffertes sans grand loyaulté. Toutefois le seigneur Infant de Portugal, ayant pitié de cette belle Briolania, a voulu desguyser l’histoire, descripvant tout aultrement les amours d’elle et d’Amadis : à quoy il ne se doibt donner foy 395 .’

Le conteur ne peut s’empêcher de résumer la version de Montalvo, qui ne préserve pas la chasteté d’Amadis et le fait obtempérer au ‘«’ ‘ don ’» sensuel que Briolania exigera de lui ; il pousse cette prolepse jusqu’à dévoiler les noces de Galaor et de cette future reine de Sobradisa, qui auront lieu au quatrième livre de la série. Au lieu de seulement réécrire un épisode, Herberay se plaît donc à souligner les libertés qu’il prend par rapport à son modèle : le rejet d’une ‘«’ ‘ histoire faincte et mensongere » ’au profit de la ‘«’ ‘ vraye histoire ’» ne se fait pas en vertu de la revendication d’un quelconque statut de témoin  celle-ci est fort rare sous la plume de ce lettré, qui évite soigneusement les termes de cronique et de croniqueur , mais pour déconstruire l’argument même de la véracité et insister sur l’artifice que suppose la rédaction de romans. Il peut ailleurs souscrire aux choix stylistiques de Montalvo, mais en exposant ses partis pris 396 . En somme, ce n’est pas tant le traducteur que l’adaptateur facétieux qui montre, en ces endroits, son masque : les interventions du narrateur dans le Premier livre de Amadis de Gaule tendent tout à la fois vers l’instauration d’un dispositif logique acceptable et vers le dévoilement du processus qui produit l’illusion romanesque, qui détruit par instants cette illusion crédible recherchée.

Au delà de l’abondance des transitions et des motivations de choix narratifs, c’est dans le style même du roman que se laisse entrevoir le regard distancié du narrateur. À ce niveau, les heurts discursifs ménagés par l’insertion de sa voix dans le récit sont moins visibles. Nous nous proposons d’étudier la manière dont Herberay parvient à construire un univers subjectif en nous appuyant sur les déformations qu’il fait subir au texte de Montalvo ; nous nous concentrerons sur la fin du chapitre 36 du Premier livre, qui correspond à celle du chapitre 35 dans le roman castillan 397 . À ce moment de l’histoire, le chevalier vient de délivrer Oriane de l’enchanteur Arcalaus et, alors que Galaor s’affaire pour libérer le roi Lisuart, qui a lui aussi été enlevé, une pause sentimentale est ménagée par le conteur : bien que n’étant pas mariés, Amadis et la princesse vont pour la première fois avoir une relation charnelle. Les personnages sont isolés dans un lieu naturel idéal, un frais vallon près d’un bois, la mise à l’écart des jeunes gens de la société étant la condition même de l’innocence de l’acte. Mais s’il se plaît à surenchérir sur l’aménité du bois où les amants vont se promener, Herberay ne souscrit pas au souci de la morale manifesté par son homologue. Chez l’auteur espagnol, l’évocation de l’acte sexuel est traitée en quelques lignes : une allusion grivoise de Gandalin, le nain au service du chevalier, prévient le lecteur de la suite des événements, eux-mêmes présentés en conformité avec l’éthique courtoise  même au lit, Amadis n’ose pas faire preuve de hardiesse et suit les commandements d’Oriane !  et les valeurs chrétiennes  les plaisirs charnels ne sont pas une fin en soi, leur effet étant de fortifier l’amour 398 . En somme, rien n’est décrit, le conteur laissant le soin au lecteur qui a connu semblable expérience d’imaginer les actes : ‘«’ ‘ assí estuvieron de consuno con aquellos autos amorosos, quales pensar y sentir puede aquel y aquella que de semejante saeta sus coraçones feridos son ’». Le traducteur fait choix, au contraire, sinon de montrer l’intimité sexuelle des jeunes gens, du moins de s’attarder sur les caresses et les paroles langoureusement échangés. Mieux que cela, il pénètre la pensée de chacun d’eux et formule ses peurs, ses hésitations et ses joies, si bien que l’ensemble du passage, près de trois fois plus long que celui de l’Amadís espagnol, fait apparaître sa présence complice : l’érotisme n’est pas dans la scène d’amour, mais dans une écriture qui joue à voiler et dévoiler son objet. Le premier moment de la relation, jusqu’à la fin de l’acte sexuel, est marqué par le sentiment de désir, que le narrateur présente tour à tour chez chaque protagoniste : par le moyen de la focalisation interne alternant avec le discours direct et la focalisation omnisciente, il montre à tout moment le décalage entre la modération des propos ou des actes et la hardiesse des pensées. Le dialogue pétrarquisant inaugural engagé sur la ‘«’ ‘ mort ’» qu’Amadis endure en sa ‘«’ ‘ vie ’» pour n’être pas récompensé de son service amoureux repose sur de faux quiproquos et sur des allusions à l’objet concret de la demande du chevalier. Alors que sous la plume de Montalvo une réplique suffisait à celui-ci pour rappeler le serment fait par sa belle de le satisfaire et formuler, en des antanaclases précieuses, un chantage à la mort, ses arguments s’avèrent ici moins sommaires : il allègue la beauté de la dame et l’amour fou qu’il éprouve, mais émaille son discours de considérations matérielles  l’ancienne ‘«’ ‘ promesse ’», l’» occasion » opportune et la garantie de sa discrétion... Dans ce détournement des codes, Oriane n’est pas en reste : alors qu’elle se soumettait en deux mots à la brutalité de la demande de son amant, l’acceptant comme une juste rétribution de sa libération, la voilà qui prend l’abstraction pétrarquisante comme un jeu. Les incises du narrateur, parfois signalées par des parenthèses, révèlent sa duplicité amusée, à laquelle Amadis finit par se rallier 399 . Bien sensuelle apparaît cette princesse de Grande Bretagne, qui refuse les circonlocutions et expose la crudité de son désir à son interlocuteur :

‘Grande est la force de voz persuasions : mais plus grande est celle de l’amour que je vous porte, qui me tient si esprise, que quand bien vous auriez moindre occasion de demander, si suis je contente et contraincte de vous obeir, et de me fier en vous de la chose que à grand peine je tenois seure en ma pensée 400 .’

La comédie interprétée ensuite par les amants pour éloigner les gêneurs est une nouvelle manifestation de la tension entre modération et hardiesse, constitutive du style de ce premier moment des ébats : c’est au lecteur de voir le décalage entre le discours des jeunes gens adressé à Gandalin et à la demoiselle de Danemark et leur projet lubrique commun. Une introspection d’Amadis, à présent en pourpoint, montre l’éveil progressif en lui de la libido et permet unedescription de la princesse allongée sur son manteau : par les yeux du chevalier, nous voyons les yeux clos d’Oriane, ses bras puis ‘«’ ‘ sa gorge descouverte, [qui] monstroit deux petites boules d’albastre vif, le plus blanc et le plus doulcement respirant que nature feit jamais ’». Tandis qu’Amadis brûle d’amour, le portrait s’arrête et Herberay reprend la formule lapidaire ‘«’ ‘ fue hecha dueña la más hermosa donzella del mundo ’», créant une accélération du rythme narratif :

‘Lors oublia Amadis son accoustumée discretion, et à la charge d’estre importun, il lascha la bride à ses desirs, si avantageusement, que quelque priere et foible resistance que feist Oriane, elle ne se sceut exempter de sçavoir par espreuve, le bien et le mal joinct ensemble qui rend les filles femmes. Grande fut l’astuce et bonne grace de la princesse de sçavoir si bien temperer son grand plaisir receu avecques une delicate et feminine plaincte de l’audace d’Amadis, et au visaige monstroit ensemble ung si gratieulx courroux, et ung si content desplaisir, qu’en lieu de consumer le temps en excuses, Amadis print encores la hardiesse de la rebaiser, et de luy donner nouvelle cause de le tenser. Ce que pourtant (voyant que c’estoit peine perdue, et qu’il estoit obstiné) elle ne feit poinct, mais convertit tout son propos à se rappaiser, et par leur advis donner ordre à povoir, le temps à venir, continuer leur jouyssance, si saigement que nulle partie du plaisir ne fust troublée par ennuy et empeschement 401 .’

La rhétorique de la retenue et de l’exhibition des sensations n’apparaît plus ici que comme un moyen pour les amants d’entretenir le désir : il s’agit de le ‘«’ ‘ temperer ’» par de faux repoussements, manifester une ‘«’ ‘ foible resistance ’» pour que l’autre se plaise à prendre de la ‘«’ ‘ hardiesse ’», à risquer d’être ‘«’ ‘ tens[é] ’». Mais aux oxymores du ‘«’ ‘ gratieulx courroux ’» et du ‘«’ ‘ content desplaisir ’», qui cristallisent le fonctionnement d’une écriture qui mime le désir, succède le temps des devis, des baisers et des caresses rassérénés. À présent le narrateur n’évoque plus la singularité des pensées de chacun des personnages, mais les désigne conjointement par le pluriel « ils » : grâce au discours narrativisé, leurs propos et leurs gestes sont évoqués selon la même ligne narrative et n’ont aucun secret pour le lecteur, qui participe au bonheur et à la complicité parfaite des amants. Le texte ne nous force plus à être les voyeurs d’une scène sensuelle et ne nous rend plus complices de son érotisme en nous exposant le détail des émotions cachées. Notre regard rejoint encore celui du conteur, mais la distance, parfois à effet comique, avec les sentiments des jeunes gens n’existe plus : nous goûtons tous ensemble une ‘«’ ‘ jouyssance ’» sans heurt, troublée par aucun ‘«’ ‘ ennuy [ni] empeschement ’», que le cadre de l’épisode et la langue qui la rapporte contribuent à éterniser. Que le narrateur participe affectivement au ‘«’ ‘ plaisir ’» décrit, c’est ce qu’attestent encore le lexique, l’organisation syntaxique et surtout la modalité exclamative, utilisée par exemple ainsi : ‘«’ ‘ Ha, combien de comptes luy feit lors Oriane des peines qu’elle avoit souffertes attendant ce jour […] ’». Ces marques de l’appréciation du narrateur œuvrent dans le sens d’une reduplication du plaisir au niveau de l’écriture et d’une communication de la jouissance des êtres de fiction au lecteur, dont le roman mobilise l’affect. Une persona émerge donc dans ce passage, le traducteur se posant autant comme un passant importun que les amants n’auraient pas réussi à éloigner que comme un homme d’expérience riant de la fébrilité des amants et comme un sage hédoniste appelant à partager son savoir par l’expérience jouissive de la lecture.

Le texte français d’Amadis donne donc exemplairement la confirmation que la poétique à l’œuvre dans les romans de chevalerie  et probablement dans tous les romans issus de la politique de francisation des publications italiennes, espagnoles et grecques  repose sur l’affleurement à des degrés divers d’une conscience du sujet de l’écriture. Il existe en somme, selon nous, un rapport proportionnel entre la constitution d’une identité de romancier et l’appropriation du ou des texte(s) mis en roman 402 . Pour reprendre l’adage italien traduttore traditore que mentionne la Défense, les translateurs et adaptateurs les plus affranchis de leurs sources ne sont pas des ‘«’ ‘ traditeur[s] ’» sans le savoir, mais font effort pour le devenir : ils entendent résonner l’énoncé d’autrui comme un langage étranger, auquel ils confrontent leur propre langue et leur propre vision du monde. Qu’est-ce à dire sinon qu’ils réalisent que tout « roman », tout langage ancien ou importé, loin d’être neutre idéologiquement, est déjà porteur d’une intentionnalité ?

Notes
391.

Plusieurs analyses des thèmes et des techniques repris par le texte espagnol et françaisà la tradition bretonne ont été menées. Nous signalons, en particulier, les articles respectifs de P. Le Gentil, « Pour l’interprétation et de l’Amadis », in Mélanges à la mémoire de Jean Sarrailh, 2 t., Paris, Institut d’Études Hispaniques, 1966, t. II, pp. 47-54 et N. Cazauran, « Amadis de Gaule en 1540 : un nouveau ‘roman de chevalerie’ ? », in Les Amadis en France au XVI e siècle, Paris, Presses de l’École Normale Supérieure, « Cahiers Saulnier », 2000, pp. 21-39.

392.

Par exemple, alors que le commencement in medias res assure à l’Arioste une économie maximale de données narratives, les trois premiers chapitres du Premier livre de Amadis…, op. cit., suivent une trame linéaire : au chapitre 1, Périon, roi de Gaule, fait la rencontre du roi de Grande Bretagne, Garinter, et tombe amoureux de sa fille ; le chapitre suivant rapporte un cauchemar fait par Périon et la nuit d’amour qu’il a avec Hélisène avant son départ, l’accouchement secret de celle-ci puis l’abandon de leur enfant sur la mer. La première partie du chapitre 3 expose la nostalgie de Périon à son retour en Gaule et l’interprétation de son rêve par les savants de sa cour. Ce n’est qu’ensuite que les histoires se diversifient, l’éducation puis le devenir d’Amadis alternant avec les incidents de la vie d’Oriane, les exploits et les rencontres amoureuses de Galaor et d’autres chevaliers. Le livre I s’achève sur l’entrée dans le récit d’un deuxième frère d’Amadis, Floristan.

393.

Nous citons L. Guillerm dans La Traduction française des quatre premiers livres…, op. cit., p. 117.

394.

On en retrouve épisodiquement des traces : quelques lignes sont ainsi consacrées à la « malice de fortune » qui guette les humains (Le premier livre de Amadis…, op. cit., t. I, chap. 30, p. 132). Au début du livre cependant, un long passage condamne la décision des jeunes filles d’entrer au couvent quand elles ne sentent pas un appel intérieur du « sainct esperit » (chap. 2, p. 13) ; mais ce « petit discours » a essentiellement une fonction justificative puisqu’il permet d’expliquer que la dévote Hélisène succombe si vite à Périon. La réduction des réflexions métaphysico-moralisantes n’est, d’ailleurs, pas propre aux seules interventions du narrateur ; Herberay l’a également appliquée au discours des personnages, ce dont il se vante dans le « Prologue du translateur du livre d’Amadis » (ibid., t. I, p. XII) :

[…] je n’ay voulu coucher la plus part de leur[s] […] Consiliaria, qui vault autant à dire au nostre [langaige], […] comme advis ou conseil, me semblans telz sermons mal propres à la matiere dont parle l’histoire […].
395.

Le premier livre de Amadis…, t. II, chap. 41, p. 445. Le narrateur fait à nouveau mention de la « vraye histoire » qu’il propose au public, quand il décrit les attentions de Briolana pour Amadis et Galaor, qui ont été blessés dans leur combat pour venger le meurtre de son père et l’installer à la tête du royaume qui lui revient (t. II, chap. 43, pp. 477-478).

396.

C’est ce qui se produit au chapitre 5, quand il reconnaît que les propos échangés par Oriane et Amadis enfants, déjà amoureux l’un de l’autre, restent « simples, au regard de la vehemence de leur passion », et qu’il invoque l’excuse de l’âge (ibid., t. I, pp. 53-54).

397.

Dans les annexes de son édition, Y. Giraud restitue dans son entier le chapitre de Montalvo (ibid., t. II, pp. 494-501). Le passage qui nous intéresse est également reproduit dans sa version française par L. Guillerm, assorti d’un rapide commentaire (Le Miroir des femmes…, op. cit, pp. 64 et 68-71).

398.

Voici le passage que nous résumons (Le premier livre de Amadis…, op. cit., t. II, chap. 36, p. 501) :

[…] se puede bien dezir que en aquella verde yerua, encima de aquel manto, más por la gracia y comedimiento de Oriana que por la desemboltura ni osadía de Amadís, fue hecha dueña la más hermosa donzella del mundo. Y creyendo con ello las sus encendidas llamas resfriar, aumentándose en muy major quantidad, más ardientes y con más fuerça quedaron, assí como en los sanos y verdaderos amores acaeser suele.
399.

Voici quelques passages où le procédé du contrepoint est flagrant et laisse percevoir l’écart entre la parole socialisée et la révélation jouissive des pensées secrètes des personnages par le biais du point de vue limité : « Encores que Oriane l’entendist bien, elle luy demanda […] », « Oriane (non tant pour ses raisons, que pource qu’elle estoit en aussi grande peine que luy, et que s’il n’eust commencé, elle eust volontiers fait l’office de requerir) luy dit ainsi […] », « Assez de protestations et de remonstrances feit là dessus Amadis : mais il ne falloit grande batterie à ville rendue » (ibid., t. II, chap. 36, pp. 400-401).

400.

Ibid., t. II, chap. 36, p. 400.

401.

Ibid., t. II, chap. 36, p. 403.

402.

Un des poèmes liminaires du Cinquiesme livre d’Amadis…, 1544, in Amadis en français…, op. cit., pp. 37-38, confirme cette idée : l’auteur anonyme dit ne pas savoir si le « Françoys translateur » a seulement réussi à « contrefaire » l’œuvre de « l’Espaignol autheur » ou s’il a effacé ce premier trait pour faire une composition personnelle et « son nom faire luyre, et l’Espaignol estaindre ». Un lien est, plus précisément, établi ici entre la construction d’une figure d’autheur et la créativité du translateur.