2 - Le goût de l’artifice satisfait dans le roman grec

Le renouveau de la théorie du récit ne se limite pas à la Renaissance aux paratextes des Amadis : quelques feuillets élaborent une doctrine qui vient en contrepoint de celle exposée par les défenseurs du dernier fleuron du roman courtois. Pour pallier la faiblesse littéraire et morale du roman d’ascendance médiévale, ils proposent pour modèle une fiction narrative écrite dans l’Antiquité tardive, dans le monde hellénistique né de la conquête d’Alexandre. L’Histoire Æthiopique d’Héliodore, qu’Amyot fait connaître au public français en 1548, prône un nouveau type de sentiment, vertueux et légal, qui relègue les exploits héroïques au second plan. Le traducteur se saisit de la facture érudite de cette œuvre, qui a bénéficié de l’influence des rhéteurs de la seconde Sophistique, pour définir une conception sérieuse et érudite du roman en correspondance avec les idéaux de la Contre-Réforme. Quoique assez mal organisés, ses préceptes prennent également en compte une forme de satisfaction du lecteur qui n’est pas celle de l’imagination, mais de l’esprit. S’il fallait trouver un équivalent à la notion de variété placée au cœur du discours réflexif des contradicteurs d’Amyot  rappelons-nous que les préfaces défendant le roman de chevalerie d’origine espagnole n’apparaissent pas avant les invectives lancées par le futur évêque d’Auxerre , nous pourrions avancer une catégorie présente plusieurs fois dans la préface, que nous ne définirons pas avant d’avoir écouté Amyot, celle d’» artifice ».

‘«’ ‘ Le Proësme du translateur ’» formule trois reproches à l’encontre des romans de chevalerie, à savoir leur manque d’» utilité », le fait qu’ils sont « mal cousuz » et l’absence en leur sein ‘«’ ‘ de toute vraysemblable aparence »’ ‘ 510 ’ ‘. ’S’opposant terme à terme à ce fonctionnement des vieux romans et des Amadis, Amyot érige des règles toutes différentes à partir de données horaciennes… y compris celles qui seront alléguées pour servir la cause de la littérature chevaleresque. Le premier principe réalisé dans l’Histoire Æthiopique est le didactisme. Résumons le contenu des dix livres : à Delphes, la jeune Chariclée fait la connaissance de Théagène, un prince de Thessalie ; au premier regard, ils tombent amoureux, mais Chariclée étant promise en mariage, ils doivent s’enfuir vers l’Égypte. Après s’être juré un amour éternel et s’être engagés à demeurer chastes jusqu’au moment de leurs noces, ils sont séparés l’un de l’autre. Chacun connaît alors moult aventures, tels tempêtes sur mer, assauts de pirates et de brigands, guerres, embuscades, trahisons, ruses, équivoques et reconnaissances. Enfin réunis mais prisonniers, les jeunes gens arrivent en Éthiopie où ils doivent être immolés au cours d’un rite ; on découvre in extremis que Chariclée est la fille des souverains éthiopiens. De nouvelles péripéties retardent encore la célébration des noces, qui aura finalement lieu après une longue scène pathétique. Cet aperçu de l’intrigue montre combien l’amour n’a rien en commun avec celui des romans de chevalerie, où la courtoisie s’est émoussée depuis le Moyen Âge : il s’agit d’un sentiment élevé, inaltérable dans l’adversité, dont les personnages veulent défendre la noblesse contre les assauts du sort et la malveillance de caractères bas. La conception platonicienne qu’en donne Héliodore d’Émèse au IIIe ou au IVe siècle de notre ère, avant l’effondrement de l’empire d’Occident, qui distingue clairement les bons des méchants et fait triompher les premiers. Le sujet du roman est donc par nature respectable et louable, comme l’est aussi celui des Amours pastorales de Daphnis et de Chloé, qu’Amyot traduira en 1559. Mais la moralité ne s’avère pas le souci premier de l’helléniste : la préface s’achève sur le rejet des lecteurs dont le goût est corrompu par une « fieüvre d’austerité ». Il signale seulement la présence d’excursus moraux ou relevant des sciences naturelles, faisant appel à tous les ressorts de l’éloquence grecque, telle qu’elle a repris vigueur à partir du Ier siècle dans les provinces asiatiques du monde romain 511  : ‘«’ ‘ il y a en quelques lieux de beaux discours tirez de la Philosophie Naturelle, et morale : force ditz notables, et propos sentencieux : plusieurs belles harengues, où l’artifice d’eloquence est bien employé ’». L’» artifice », autrement dit l’art ou le savoir-faire, d’Héliodore consiste moins dans le choix d’un matériau respectable  c’est là une exigence minimale, sans laquelle son roman ne pourrait intéresser un ‘«’ ‘ homme d’esprit et de jugement ’» , que dans le recours à l’encyclopédisme et l’usage d’un style oratoire. Que les affections licites aient un dénouement heureux et que les sentiments illicites en aient un mauvais permet à Amyot d’inviter les lecteurs à oublier les fictions qui aveuglent l’esprit, pour examiner les ressorts formels de « l’ingenieuse fiction » d’Héliodore.

Une dimension mise à l’index par les détracteurs du roman de chevalerie et autrement plus complexe que l’utilité est alors soumise à la sagacité des lecteurs, celle de la « verisimilitude ». Pour comprendre l’acharnement d’Amyot contre l’invraisemblance, relisons un passage du Roland furieux où l’Arioste ironise sur les capacités surhumaines des paladins ; voici comment Roland, déguisé en Sarrasin, use de sa lance contre les ennemis :

‘[…] [il] perce le premier de part en part, puis un second, puis un troisième, un quatrième, un cinquième, un sixième ; il les tient en l’air tous embrochés ; la lance n’est point assez longue pour en percer un plus grand nombre, mais la pointe, qui sort entre les épaules du dernier, tue encore le septième 512 .’

Quoi de plus irritant pour un « bon entendement » que ces faits d’armes incroyables ! Pour réduire à néant cette pratique de la fable, le traducteur allègue d’emblée un précepte d’Horace : ‘«’ ‘ il faut que les choses faintes, pour delecter, soient aprochantes des veritables ’». Nous avons vu Sevin et Gohory expliquer ce postulat à leur manière, en le rapportant aux personnages, en le superposant au decorum et en l’assimilant finalement à l’utile dulci. Amyot sait, pour sa part, que le respect de l’intégrité de l’aphorisme horacien est la condition d’une fiction plausible, ce qui le pousse à en donner une glose. Pourtant, il n’est pas clair ensuite sur la nature de la fausseté et de la vérité romanesque : le romancier doit-il bannir tout ce qui s’écarte du quotidien ? Dans quelle proportion la fiction peut-elle porter ombrage au souci de la rationalité ? Comment articuler la présence de nombreux éléments impossibles dans Théagène et Chariclée des vivants sont pris pour des morts et les morts se mettent à parler  avec la rigueur d’esprit qu’Amyot attend du romancier ? Des interrogations multiples émergent donc de passages qui, placés sous le signe d’une doctrine antique, pourraient paraître clairs. Une réponse est peut-être donnée par la mention rapide mais élogieuse du fait que, dans cette œuvre, ‘«’ ‘ par tout les passions humaines [sont] paintes au vif ’». Cela peut signifier que, malgré les péripéties multiples survenant dans le parcours des personnages, le roman a le moyen de dépasser la fausseté de sa matière au moment où il dévoile les ressorts psychologiques de l’être humain, en particulier ceux à l’œuvre dans l’expérience amoureuse 513 . Au delà de la difficulté de ce passage, le traducteur avance ouvertement un autre moyen pour convaincre les lecteurs de la ‘«’ ‘ verisimilitude ’» générale de l’Histoire Æthiopique : Héliodore disposerait méticuleusement toutes les parties de son récit, sans créer entre elles de discordance. Le romancier se doit non seulement de rester dans la « verité »  ce qui demeure encore à expliquer  quant au choix de la matière, mais il lui faut aussi atteindre la vraisemblance par le respect de la loi de l’unité et de l’harmonie de son récit 514 . L’articulation entre les deux niveaux est nettement soulignée dans l’injonction faite au futur romancier grec d’» entrelasser si dextrement du vray parmi du faux, en retenant tousjours semblance de verité, et si bien r’aporter le tout ensemble, qu’il n’y ayt point de discordance du commencement au mylieu, ny du milieu à la fin ». Nous retrouvons ici mot pour mot un précepte formulé par Horace au sujet de l’économie du poème épique ; comme Homère, un bon poète ne doit pas insérer de développements inutiles, mais donner une cohérence et une unité parfaites à l’histoire :

‘Il se hâte toujours vers le dénouement, il emporte l’auditeur au milieu des faits (in medias res), comme s’ils étaient connus ; les incidents qu’il désespère de traiter brillamment, il les laisse ; et il sait feindre de telle manière, mêler si bien le mensonge et la vérité que le milieu est en harmonie avec le commencement et la fin avec le milieu 515 .’

Comment ne pas penser aussi au fait que la vraisemblance dans les paroles et les actes des personnages se double, dans la Poétique, de l’agencement vraisemblable et nécessaire des épisodes les uns avec les autres 516  ? Or dans l’Histoire Æthiopique comme dans l’épopée, à la différence du roman de chevalerie, les multiples actions secondaires dépendent de l’action principale ; les digressions érudites et les « beaux discours » sont également tous subordonnés à l’intrigue amoureuse centrale. Le plus long des romans grecs se caractérise donc par l’arrangement des thèmes les plus disparates, tout en conservant une grande clarté dans son architecture. Au Grand Siècle, les plaidoyers en faveur du roman héroïque ne cesseront de souligner que le caractère extraordinaire de ses événements est compensé par l’habile disposition de ses fils narratifs. Il est intéressant de constater enfin que tout en invoquant la doctrine de la Poétique pour prouver le respect de l’harmonie du récit dans l’Orlando furioso, Giraldi et Pigna ne font jamais référence à la composition de l’Histoire Æthiopique ni à l’analyse qu’en a fait Amyot, d’obédience horacienne et peut-être aristotélicienne à ce niveau. Si les Français n’ont pas entériné rapidement les principes édictés pour le romanzo, il semble bien que les Italiens ont été également indifférents à l’entreprise de nos hellénistes de diffuser une forme romanesque largement inconnue jusque dans les années 1530  hormis, bien sûr, la Vie d’Apollonius de Tyane, dontle succès n’a pas tari depuis le Moyen Âge.

L’étude de la dispositio du roman d’Héliodore va conduire Amyot à s’avancer sur des territoires explorés par Giraldi et Pigna, mais d’une manière qui lui est propre : sa forte prise en compte de la réception du texte l’engage sur la voie d’une théorisation du suspens à l’œuvre dans le roman grec. Le discours commence par préciser que les Éthiopiques réalisent la fin de toute fiction, qui est la « delectation, qui procede de la nouvelleté des choses estranges, et pleines de merveilles ». Or le romancier a organisé cette matière, déjà surprenante par les situations qu’elle présente, de façon à démultiplier les effets de saisissement chez le lecteur. Ce n’est pas seulement la nature des événements qui produit la stupéfaction  Chariclée apparaissant à Théagène après que, croyant avoir trouvé sa dépouille, il a pleuré sur le corps d’une autre , c’est le fait de mettre en œuvre des procédés pour tromper l’attente du lecteur  lui aussi a été induit à penser, avec Théagène, que Chariclée était bien morte. La ‘«’ ‘ force d’attraire et retenir le lecteur ’» tient donc aux hasards qui s’enchevêtrent d’une façon crédible mais inattendue dans le roman 517 . Les considérations esthétiques d’Amyot vont plus loin encore dans l’analyse de l’» ingenieuse liaison » de ce qu’il qualifie de « conte ». Constatant que ‘«’ ‘ la disposition en est singuliere : car il commence au mylieu de son histoire, comme font les Poëtes Heroïques ’», le traducteur ne rapproche pas seulement l’Histoire Æthiopique de la référence positive de l’épopée, par le biais de la mention élogieuse des débuts in medias res sous la plume d’Horace ; il se penche aussi sur le ménagement de l’attente du lecteur. Il s’autorise une longue explication des effets produits par la description inaugurale du roman : des brigands sont arrêtés, au petit jour, à la vue de corps massacrés sur un navire marchand ; sur le rivage, une jeune fille d’une incomparable beauté essaie de ramener à la vie un jeune homme blessé. Or il faudra attendre la fin du livre V, nous dit Amyot, pour connaître le commencement des aventures de ces personnages  Théagène et Chariclée , ce qui donne une vive tension à l’histoire, que nous avons présentée plus haut dans sa linéarité. Si nous voulons connaître les épisodes antérieurs à ce moment saisissant, nous sommes aussi désireux d’apprendre leur suite, mais rien ne met un terme à notre impatience avant la fin des cinq derniers livres. Dès lors, le roman dépasse les qualités suspensives de l’Iliade ou de l’Odyssée par la qualité énigmatique de son ouverture et le délai d’attente qu’il laisse au lecteur. Le grand nombre de passages où les héros frôlent la mort ou qui retardent leurs retrouvailles provoque l’» esbahissement » de tout un chacun : l’espérance de connaître le « bien ardemment desiré » du dénouement produit le contentement. Mais en plus d’être surpris, le lecteur voit aussi son « jugement » mis à contribution, lors des appels que fait le texte à sa sagacité : les variations de focalisation ont pour effet de dissimuler de l’information 518 . De fait, ‘«’ ‘ tousjours l’entendement demeure suspendu jusques à ce que l’on vienne à la conclusion ’» : le suspens, défini comme une suspension des événements et de leur sens, récrée l’esprit. Tel est l’apport immense d’Amyot à l’analyse d’un procédé qui intéressera d’autres théoriciens du récit au XVIe siècle 519 . La qualité du raisonnement du « Proësme » consiste en l’articulation de cette notion avec l’ample dimension et la structure complexe du roman, en somme avec la construction globale du récit. C’est sur cet aspect qu’Amyot terminerait sa démonstration de l’» artifice » et de l’» ingeni[iosité] » de la composition de l’Histoire Æthiopique, s’il ne désavouait finalement la subtilité d’Héliodore : ‘«’ ‘ (quand tout est dit) ce n’est qu’une fable ’». Le traducteur se rétracte sous prétexte que les contes, tel celui d’Héliodore, ‘«’ ‘ ne [lui] semblent point assez riches ’» et que Théagène ne fait pas assez d’exploits mémorables ; il faut donc les lire seulement pour se divertir. Cette palinodie a de quoi surprendre après l’éloge sans retenue de l’art du roman grec ; elle s’explique par le tiraillement d’un humaniste antiquisant entre le genre noble qu’est l’épopée et le roman, forme bâtarde qui lui a fait quelques emprunts  au point que certains poéticiens de la Renaissance et de l’âge baroque verront en Héliodore le troisième poète épique de l’Antiquité. Tout le mérite d’Amyot n’est-il pas précisément de reconnaître que le roman grec ne répond pas aux lois de l’épopée et qu’en tant que forme héritée des Anciens, sa perfection peut faire de lui l’avenir du roman ?

Au problème poétique et esthétique posé par la fiction narrative à la Renaissance, les préfaciers d’Amadis et de l’Histoire Æthiopique répondent de concert par l’élaboration d’une doctrine humaniste du roman. Mais la lecture qu’ils en donnent, pour cultivée qu’elle soit, ne s’appuie pas sur le même support littéraire, ce qui conduit inévitablement à la mise en avant de ressorts d’écriture et d’effets de lecture divers. À la variété de l’invention réalisée dans le roman de chevalerie, Amyot opposela disposition artistique du roman grec ; à l’ouverture sans limite, une forme close ; à l’allégorie, une étroite leçon de morale ; au règne de l’imagination, celui du plausible ; à l’activité interprétative du lecteur, sa manipulation par le romancier ; au plaisir agrémenté d’instruction, le plaisir érudit de la belle œuvre. Un étrange croisement se produit entre les paratextes de Gohory et le roman d’Héliodore. Il a lieu dans l’utilisation du thème de la fortune : alors que les ruses de la Tychè,incessamment à l’œuvre dans le récit grec, auraient pu servir de caution remarquable à Amyot pour sa théorie du suspens, l’helléniste n’en dit mot ; Gohory plaque, pour sa part, sans autre forme de procès la conception morale de la fortuna épique sur le fonctionnement d’Amadis… Compte tenu de la distance séparant leurs analyses, il est étonnant que les deux théoriciens utilisent le même nom histoire fabuleuse pour désigner la forme romanesque qu’ils appellent de leurs vœux.

Notes
510.

L’Histoire Æthiopique…, op. cit., « Le Proësme du translateur », non paginé ; nous ne donnerons plus par la suite la référence des passages cités.

511.

Pour une étude des digressions ethnographiques, botaniques, géographiques, etc. présentes dans les Éthiopiques et pour une présentation de l’influence de l’art oratoire sur le roman grec, nous renvoyons à l’ouvrage essentiel de M. Fusillo, Naissance du roman, op. cit., pp. 74-81.

512.

Roland furieux, op. cit., chant IX, pp. 102-103.

513.

Telle est l’analyse que propose P. de Capitani au début de l’article intitulé « Un enigma romanzesco del Rinascimento… », art. cit. Son idée est qu’à la différence du roman de chevalerie et du poème épique, la vraisemblance ne repose pas ici sur les rapports entretenus par l’histoire et la fiction, mais sur la volonté de présenter les effets universels de la passion amoureuse. Nous reviendrons plus loin sur la question du modèle historique chez Amyot ; en attendant, le contexte suivant la formule qui nous intéresse peut aussi inviter à comprendre que l’exemplarité des sentiments entretenus par Théagène et Chariclée incite les lecteurs à en éprouver de si nobles et chastes.

514.

Dans son article « Jacques Amyot and the Clerical Polemic Against the Chivalric Novel », Renaissance Quarterly, New-York, The Renaissance Society of America, vol. XXXVIII, n° 1, 1985, pp. 22-40 et ici p. 30, M. Fumaroli résume bien la double dimension de la vraisemblance dans la préface : « the imitation of nature by fiction […] regulates at the same time its content (faithful ou truthfulness whenever that is possible) and its form (harmonious and complete) ».

515.

De Arte poetica, op. cit., p. 210, v. 148-152.

516.

Aristote écrit ainsi (La Poétique, op. cit., 1454 a, p. 128) :

Dans les caractères, comme dans l’agencement des actes accomplis, il faut également toujours chercher soit le nécessaire, soit le vraisemblable, de sorte qu’il soit nécessaire ou vraisemblable que tel personnage dise ou fasse quelque chose, nécessaire et vraisemblable qu’après ceci ait lieu cela.
517.

Concilier le vraisemblable et la surprise, le croyable et l’étonnement, autant de formules qui rappellent encore la Poétique. Aristote dit à plusieurs reprises apprécier les tragédies avec péripétie et reconnaissance, c’est-à-dire avec inversement des effets supposés  le messager de Corinthe croit réjouir Œdipe,mais il ne lui donne que des craintes en lui révélant qui est son père  et avec un retournement qui conduit de l’ignorance à la connaissance de la vérité  Œdipe découvre qu’il est incestueux et parricide (op. cit., chap. XI). Le Stagirite loue également les histoires dont « les événements, tout en découlant les uns des autres, ont lieu contre notre attente » (1452 a, p. 118).

518.

M. Fusillo analyse les divers points de vue narratifs utilisés dans les Éthiopiques (Naissance du roman, op. cit., pp. 131-141). Citons un passage de la description initiale qui stimule ouvertement l’activité interprétative du lecteur (Les Éthiopiques, ou Théagène et Chariclée, in Romans grecs et latins, op. cit., pp. 515-789 et ici p. 522) :

Les brigands regardaient tout cela, du haut de la colline, mais sans pouvoir comprendre le sens de cette scène ; ils avaient bien les victimes, mais ne voyaient nulle part les vainqueurs ; il y avait bien une victoire éclatante et totale, mais le butin n’avait pas été touché […].
519.

Voir infra partie III, chapitre 1, pp. 479-480. Dans ses Poetices libri septem, op. cit., « Liber tertius », chap. 96, p. 114, Scaliger étudie, dans les Éthiopiques, où il voit un modèle d’épopée en prose, le moment où l’» auditoris animus est suspensus » : Héliodore asservit son lecteur en le rendant « captif (captivum) », sans lui laisser la hauteur de champ nécessaire pour saisir toutes les données de la narration.