2 - Amadis et la question de la vérité romanesque

Les paratextes des Amadis font à plusieurs reprises le constat de la désaffection des auteurs du siècle pour l’écriture de l’histoire. Les préfaciers mentionnent ce phénomène à contrecœur et vont jusqu’à regretter que de brillants esprits s’appliquent à traduire des romans. Gohory donne ainsi une définition élogieuse de la ‘«’ ‘ juste chronique ’», ‘«’ ‘ garnie de toutes figures et ornemens d’oraison sur un fond sustantieux de prudence civile ’», et s’excuse de ne pas se sentir à la hauteur d’une activité aussi exigeante 538 . Quant à Aubert, il cherche à comprendre pourquoi il y a ‘«’ ‘ tant de Romans, et tant peu d’Histoires ’» et pense trouver une explication dans le manque de faveur des historiens auprès des princes :

‘[…] voyans qu’aucun honneur n’estoit constitué aux gens doctes, plus qu’aux ignorans, et se despitans du malheur de leur siecle, ilz [= les auteurs] ont mieux aymé estancher l’extreme soif d’escrire qui les alteroit, en contant les gestes d’un Fierabras, d’un Amadis, des Chevaliers de la table ronde, et de telles autres personnes fantasticquées à leur plaisir ; qu’employer leur eloquence à reciter les haults faitz d’armes, et les triomphantes victoires de leurs Princes, qui ne tenoient aucun conte de leur savoir539.’

Si la fausseté du roman de chevalerie est dépréciée en regard de la noblesse de la pratique de l’histoire, il n’en va pas de même dans la présentation qui est faite des mauvais historiens. La nouvelle réflexion sur l’histoire est l’occasion de soulever la question de la vérité romanesque.

La problématisation des rapports de l’histoire, de la fiction et du roman de chevalerie ne verrait pas le jour avant la parution du Onzieme livre d’Amadis si une réflexion n’était menée par l’auteur espagnol lui-même, dans une préface qui a suffisamment intéressé Herberay pour qu’il la traduise et la place en tête des éditions du livre I dès 1540. Son propre « Prologue », nous l’avons vu, ne se soucie guère d’accréditer la vérité de la fable romanesque. Il affirme, au contraire, que ‘«’ ‘ ce qui s’offre en ceste traduction d’Amadis [n’est] tiré de nul auteur fameulx pour luy donner couleur de verité ’» et affiche la nature plaisante de l’œuvre. Le sonnet qui paraît avec le livre II refuse tout autant de recourir à revendication conventionnelle d’une autorité fiable ; est cependant appliqué, pour la première fois en France, à un discours sur le roman le topos de la Grèce et de l’Italie menteuses :

‘Bening lecteur, de jugement pourveu,
[…] contente toy du stille,
Sans t’enquerir s’il est vray ce, qu’as leu.
Qui est celluy, qui peult dire : J’ay veu
Blasmer Homere, ou accuser Virgile,
Pour n’estre vrays ainsi que l’Evangile,
En escripvant tout ce, qu’il leur a pleu 540  ?’

Dans la traduction fidèle qu’Herberay donne du « Prologue » castillan, Montalvo va toutefois plus avant dans la théorisation du caractère mensonger d’Amadis. Il commence par condamner les historiens qui embellissent leur récit de « faitz chevalereux », en y ajoutant ‘«’ ‘ plusieurs choses non advenues »’ ; ces histoires non véridiques ne seraient pas plus fiables que les épopées antiques 541 . Il oppose ensuite fermement la narration de Tite-Live, ‘«’ ‘ historien tresveritable »’, aux faits invraisemblables ‘«’ ‘ du fort Hector, du fameulx Achiles, du vaillant Troylus, du hardy Ajax Telamon, et d’infiniz aultres »’, dont il fait ensuite des héros de ‘«’ ‘ Romans »’ :

‘Mais il est tout clair à l’œil, et chose tres-certaine, que ces coups qui font l’effort des fouldres et tonnerres, sont inventions de gens qui ont voulu ainsi parler, tant pour donner merveilles à ceulx qui les vouldroient croire, que pour decorer leurs Romans de telles mensonges, n’ayans (peult estre) assez matiere pour remplir leurs volumes, à quoy ne se doit adjouster nulle foy 542 .’

Si l’on se reporte à la version espagnole du texte, on constate que le terme que le traducteur a rendu par « Romans » est celui d’» hystorias fengidas 543  ». Autrement dit, pour Montalvo, les personnages des récits homériques et des romans de chevalerie n’ont pas plus de vraisemblance les uns que les autres, appartenant tous aux histoires feintes ; pour Herberay, au contraire, toutes les histoires fabuleuses sont des « Romans », ce qui est peut-être une donnée linguistique d’importance, dans la mesure où roman semble déjà prendre ici le sens hyperonymique qu’il aura au tournant du siècle sous la plume de D’Aubigné et de Sorel. Quoi qu’il en soit, le lecteur de Montalvo attend la conclusion du syllogisme : si les mauvais historiens écrivent des histoires fausses et si les romans cultivent eux-mêmes l’invraisemblance, il serait logique que l’auteur castillan milite en faveur de l’écriture d’un roman historique. Or il revendique le fait d’avoir suivi les « moindres orateurs », qui ‘«’ ‘ s’adresse[nt] aux choses faciles ’» ; ce faisant, il acquiesce pleinement aux « mensonges » littéraires. Émerge alors l’idée d’une compensation de la fiction par le profit moral qui peut rejaillir sur les lecteurs :

‘Or ont esté ces cinq livres telement traduictz, corrigez, et enrichiz de telles exemples, et bonnes doctrines, que combien que jusques à present ilz ayent esté profanez comme fabuleux, maintenant l’on les pourra comparer par raison à la foible escorce du liege enchassée en pur or, et enrichie de pierres orientalles, car non seulement les jeunes chevaliers y pourront prendre exemple, et y proffiter, mais les anciens mesmes y trouveront du fruict, auquel ilz prendront goust et saveur 544 .’

Au vu des déclarations de Montalvo et d’Herberay, nous pouvons tirer plusieurs idées sur la conception de la fable romanesque proposée aux Français à l’aube des années 1540. D’abord, les premiers théoriciens du roman proclament le caractère révolu du grand récit historique, ce qui peut sous-entendre que l’histoire est pour eux un modèle rêvé ; en un mot, elle est au roman de chevalerie ce que le mythe est à l’histoire elle-même, c’est-à-dire une forme originelle définitivement inaccessible. Ensuite, les préfaciers légitiment leur refus de faire allégeance à l’histoire sous prétexte d’un abâtardissement de sa pratique à leur époque par rapport à celle dans l’Antiquité romaine. Du coup, leur revendication, plus encore que leur reconnaissance, de la fiction irait de pair avec la réussite de l’artefact littéraire du nouveau roman de chevalerie. Enfin, par un détour subtil, est suggéré que le récit romanesque, malgré sa fausseté foncière, renoue avec une certaine réalité parce qu’il donne au public des préceptes relevant de la morale pratique.

Restait à affermir cette doctrine par une manipulation habile des notions mises en jeu et par le choix d’un mot-phare pour la représenter. C’est là le rôle essentiel des paratextes rédigés par Gohory entre 1554 et 1575, qui prônent une même conception des rapports de l’histoire et de la fable romanesque  alors que la confrontation du roman avec le modèle rhétorique n’inspire le préfacier qu’en 1571. Examinons, pour commencer, le mouvement argumentatif de la ‘«’ ‘ Preface aux Lecteurs ’» du livre XI. Après avoir déploré son incompétence dans la rédaction d’une « juste chronique », Gohory affirme avec ironie qu’il a traduit son texte ‘«’ ‘ à la mode du vray narrateur, protestant d’escrire choses qu’il n’avoit jamais veuës ny entenduës de personne, voire dont il n’estoit rien et si ne povoit estre, non plus que les contes d’Ulisses à Alcinous’ ‘ 545 ’ ‘ ’». Avant de se lancer dans une longue diatribe contre les soi-disant vrais historiens  dépeints sous les traits de gens falsificateurs, flatteurs et intéressés  et d’énumérer les ‘«’ ‘ causes troublans l’intégrité de l’histoire ’», le préfacier s’arrête un instant sur les qualités de l’ensemble des « histoires fabuleuses », d’abord, et des « romains », ensuite :

‘Or maintiens-je les histoires fabuleuses ne contenans rien qu’il ne soit (s’il n’est vray) au moins vray-semblable et possible, au surplus remplies de concions facondes et avertissemens notables, estre plus fructueuses et recreatives que les autres si grossement conceües et lourdement digerées qu’on n’en peut sentir la moytié de l’excellence. Et se peuvent dire les romains (sic) (confessans hault et cler la mensonge) plus veritables que les histoires, usurpans à tort le tiltre de vray dire 546 .’

Les fictions narratives prennent donc l’avantage sur les récits mensongers des historiens : non seulement elles récréent le lecteur, mais elles possèdent une certaine vraisemblance et surtout une dimension morale ; enfin, elles affirment leur caractère mensonger, ce qui confère à leurs auteurs probité et respectabilité. Le renversement des catégories du vrai et du faux, l’attribution d’une valeur positive à la fiction et négative à l’historiographie, en somme l’éloge paradoxal de la fiction littéraire, tout cela rappelle irrésistiblement les propos de Lucien dans le traité Sur la Manière d’écrire l’histoire et dans le prologue de l’Histoire véritable, qui mettent en avant le caractère mensonger de toutes les œuvres de fiction et condamnent les mauvais historiens 547 . L’élection de l’expression histoire fabuleuse n’est, par ailleurs, sûrement pas étrangère à l’œuvre du satiriste grec, à ceci près qu’elle est un antonyme du titre du récit de voyage  S. Bourgoynle traduit en 1529 par Des vrayes narrations. Gohory résume dans ce syntagme le propos du philosophe sur les différentes manifestations du mensonge dans la forme narrative. D’autre part, le docte français ne s’en tient pas à la revendication de la fable et se montre soucieux de trouver une compensation à la fiction : il milite en faveur la notion de vraisemblable, provenant d’Horace et des rhétoriciens, ainsi que celle de l’enseignement, toutes deux absentes du discours de Lucien. Or dans les préfaces suivantes le traducteur n’allègue plus l’argument du vraisemblable, assumant un peu plus le pur mensonge romanesque : il ne cherche plus alors à rendre vraie une matière fausse, mais veut seulement lui conférer une vérité supérieure  d’ordre moral, spirituel ou philosophique. La théorie lucianique s’affine ainsi en 1571, lorsque Gohory oppose le ‘«’ ‘ mentir ’» au ‘«’ ‘ dire mensonge ’». Il confronte les ‘«’ ‘ croniqueurs ’», qui ‘«’ ‘ inferent beaucoup de fauceté ’», à

‘[…] ces Rommans recreatifs confessans clairement par leur titre leur invention fabuleuse. En quoy ils sont imitateurs de la Poesie, fondée selon Aristote en fiction contenant toute-fois des secrets d’erudition profonde. A quoy j’ajoute qu’en cecy semble considerable la distinction subtile de mentir selon Aulu Gelle et de dire mensonge, le premier appartenant à ces beaux historiens qui meslent maintes choses contraires parmy les vrayes à leur escient, contre conscience : le second aux jolis Rommans, lesquels disans choses faintes, ils vous en advertissent, et d’autant sont veritables 548 .’

Le retournement du postulat habituel de la véracité de l’histoire et de la fausseté du roman est ici poussé à son terme : l’historien est un menteur fallacieux, tandis que le romancier acquiert le statut de sage ; d’autre part, à l’absence d’utilité du « mentir » historique correspond le « dire mensonge » contenant des « secrets d’erudition profonde » de la « Poësie ». Le jeu entre les concepts de « fabuleux » et de « veritable » se double donc d’une volonté non seulement de défendre le roman, mais aussi de l’intégrer à la noble poésie. Lorsqu’il invoque à contretemps l’autorité d’Aristote  le Stagirite établit une solution de continuité entre l’imitation et l’affabulation délirante et ne prône pas la fonction utilitaire de l’art , le propos de Gohory est de théoriser la portée allégorique de la fable romanesque afin de faire entrer le roman dans le domaine des belles-lettres. Le plus surprenant est qu’il n’hésite pas à solliciter une argumentation tendancieuse, puisqu’elle s’applique à un livre plutôt léger et frivole, et fortement polémique, par sa formulation excessive et sa thèse à contre-courant des idées reçues. Il lui faut encore définir la nature exacte de la révélation dont le mensonge romanesque est la promesse. Or Gohory se refuse à arrêter un sens unique, pour les romans de chevalerie tant anciens que nouveaux : il prône une pluralité des enseignements donnés par les textes romanesques. Ils peuvent être un miroir du prince, comme un encouragement à l’héroïsme ou à la vertu chrétienne ; pour un lettré aussi féru d’occultisme, le roman est aussi le réceptacle du « chifre fabuleux », reçu des écrits allégoriques de l’Antiquité et du savoir « mistique » de l’alchimie :

‘[…] il y a en iceux Rommans fabuleux en apparence, autant de verité occulte qu’en la plus part des histoires et croniques, de mensonge manifeste. Car là gisent les mysteres de science secrette, naturelle et louable […] 549 .’

Nous retrouvons ici, par le détour d’une opposition entre leroman et la chronique, la réflexion de tout le siècle sur la fiction moralisante d’obédience horacienne. Sevin l’avait déjà appliquée au roman en 1548, soutenant que sous les ‘«’ ‘ fables, / Inventions, et fictions semblables », ’il y avait « grande utilité ». Peut-être même un passage du « Discours », où le préfacier établit une relation de causalité entre fausseté événementielle et vérité d’un autre ordre, a-t-il inspiré Gohory pour vanter la supériorité de la logique du roman sur celle de l’histoire :

‘Penser ne fault que l’histoire soit vaine
De l’Amadis : elle est vraye, et certaine :
Car sens moral de grande invention
Gist souz la lettre en belle fiction 550 .’

Peut-être alors la référence faite à Aristote n’est-elle pas si déplacée en 1571 : juste avant que Ronsard ne la revendique pour légiférer sur l’épopée, Gohory se sert de la distinction entre l’histoire et la poésie pour faire entrer le roman dans le moule de la théorisation poétique des autres genres. Le traducteur fait, en somme, feu de tout bois : Aristote, Lucien, Horace et Sextus servent pêle-mêle de garants dans l’établissement de l’équivalence entre histoire fabuleuse, roman et sens caché.

Finalement, si pour Gohory le roman de chevalerie est une histoire feinte, ce n’est pas vraiment en considération du sens spécialisé d’histoire : son discours s’évertue à poser que la fiction romanesque relève d’une dimension littéraire autonome, non subordonnée à des données événementielles. Que l’on pense que le nouveau roman chevaleresque, tel qu’il est présenté dans les préfaces, rejoint une conception ancienne de l’écriture historique ou que la référence à l’histoire est ici plutôt symbolique 551 , semble validée l’hypothèse selon laquelle vrai, vraisemblable et nécessaire  c’est-à-dire ce qu’il faut imiter  se superposent dans le discours présentatif des Amadis. La relation entre le roman et l’histoire s’avère donc ici assez artificielle : elle est un outil pour la théorie, emprunté à une longue tradition littéraire et philosophique. Quant au syntagme histoire fabuleuse, qui n’apparaît qu’une fois en tant que tel dans les paratextes français, il n’est pas en emploi figé : c’est une périphrase désignant toute la poésie narrative, et nullement le roman en particulier ; son sens est celui que lui affecte le sociolecte du temps, c’est-à-dire récit fictionnel 552 . La défense du roman passe donc essentiellement chez Gohory par une défense de la fiction en général.

Notes
538.

« Preface aux Lecteurs »du Onzieme livre d’Amadis…, op. cit., p. 125. La dédicace du livre X oppose déjà le « conte » fabuleux auquel le traducteur a consacré ses heures perdues et l’» histoire Françoise » vers laquelle il promet de se tourner par la suite (op. cit., p. 107).

539.

Le douziesme livre d’Amadis…, op. cit., « Au lecteur », p. 137.

540.

« Au lecteur, sonnet » en tête du Second livre d’Amadis…, 1541, in Amadis en français…, op. cit., pp. 18-19 et ici p. 19.

541.

Le premier livre de Amadis…, op. cit., « Prologue de l’aucteur Espagnol d’Amadis », t. I, p. XIV.

542.

Ibid., t. I, p. XVI.

543.

Ibid., t. II, p. 493.

544.

Ibid., « Prologue de l’aucteur Espagnol d’Amadis », t. I, p. XVII.

545.

« Preface aux Lecteurs » du Onzieme livre d’Amadis…, op. cit., p. 125.

546.

Ibid., pp. 125-126 ; c’est nous qui soulignons. Comme à son habitude, G. Aubert plagie les propos de Gohory dans le « Au lecteur » du Douziesme livre d’Amadis : il oppose la vérité usurpée des historiens au mensonge revendiqué par les romanciers, déclarant que « les uns racontent des mensonges manifestes, et les autres les desguisent au mieux qu’ilz peuvent » (op. cit., p. 139).

547.

Gohory prend exactement la même posture que le narrateur de l’Histoire véritable, qui affirme la fausseté de sa propre histoire avant de condamner ceux qui entassent « de façon vraisemblable et avec une grande apparence de vérité mille mensonges divers » (op. cit., pp. 1345-1346). Plus exactement, il traduit le passage suivant :

J’écris donc sur des choses que je n’ai jamais vues, que personne ne m’a racontées et qui ne sauraient commencer d’exister. Aussi mes lecteurs doivent-ils ne leur ajouter aucune créance.
548.

Le trezieme livre d’Amadis…, op. cit., « Preface aux lecteurs », non paginé. M. M. Fontaine, dans l’introduction à son édition d’Alector, op. cit., t. I, p. LX, explique que la citation d’Aulu-Gelle n’est pas ici de première main ; elle précise que Sextus Empiricus a établi la même distinction dans son Adversus mathematicos.

549.

Quatorzieme livre d’Amadis…, op. cit., « À tresillustre princesse Henriette de Cleves », fol. 3 v° et 4. Un autre passage de ce discours liminaire fait mention de « l’histoire tant vraye que fabuleuse » des héros d’Amadis.

550.

« Discours sur les Livres d’Amadis » en tête du Huitiesme livre d’Amadis…, op. cit., pp. 72-73, v. 79-82.

551.

L. Guillerm semble pencher pour la première solution. Elle souligne l’importance de la polémique sur les mérites respectifs de l’histoire et du roman chez les théoriciens de la seconde partie du siècle (La Traduction française des quatre premiers livres…, op. cit., p. 60), même s’il est regrettable qu’elle ne fasse pas de distinction entre les discours d’Amyot et de Gohory sur la question. Elle suggère que Gohory retrouve la théorie de l’histoire, à la fois édifiante et politique, en vigueur chez les Anciens ainsi qu’à la fin du Moyen Âge. Une telle analyse permet, d’abord, de comprendre l’insistante louange de la fonction didactique de l’histoire par Gohory. De plus, si l’on se souvient de l’étude faite plus haut sur le vraisemblable moralisateur, tel qu’il a été défini en particulier par Sevin, et de l’idée que les Amadis sont un miroir de chevalerie pour les princes, le modèle que constitue l’histoire pour le roman nous dévoile ici sa nature exacte : c’est un « vrai idéal », une norme idéologique vers laquelle tend une collectivité qu’est supposée présenter la fiction narrative (p. 58) :

Dire que les personnages ne peuvent être exemplaires que s’ils sont vrais, c’est-à-dire ‘ressemblants’, c’est dire qu’avant de leur prêter actions et discours admirables, l’écriture sait d’abord, et comme naturellement, les conformer à des modèles implicites.
552.

Il est pourtant été senti comme un mot clé de la doctrine élaborée sur le roman de chevalerie au XVIe siècle. La Croix du Maine définit ainsi de manière lapidaire Primaleon de Grece comme « un Roman ou histoire fabuleuse »(La Bibliotheque françoise, op. cit., p. 109).