b - Des Autels : la mythistoire

Vers 1550, Des Autels définit également sa Mythistoire barragouyne de Fanfreluche et Gaudichon en référence à l’idiolecte de Lucien. Le ‘«’ ‘ Proeme ’» inaugural nous semble réécrire avec exactitude le prologue de l’Histoire véritable, en ajoutant quelques allusions à celui de Gargantua. De fait, l’auteur y recense toutes les ‘«’ ‘ narrations fabuleuses » ’qui, des écrits historiques aux épopées en passant par les fables et romans de chevalerie, sont des récits fictifs, donc faux sur un plan historique : les historiens romains, dont César, sont des menteurs, de même que les « autheurs de Germanie » et les Français, qui croient connaître ‘«’ ‘ la verité des choses passées ’» ; il n’y a pas plus de véracité dans leurs textes que dans ceux des Grecs, les fables d’Ésope et le Coran 606 . Pourtant, certains de ces récits mensongers ont été reconnus par la postérité comme pleins de sens : quand bien même les conteurs n’ont tâché que de ‘«’ ‘ bien mentir ’», on a ‘«’ ‘ cerché de belles allégories sur le pas d’une mouche » ’ ‘ 607 ’ ‘. ’C’est alors que l’auteur revendique le mensonge de sa propre « histoire », s’inscrivant donc à son tour dans la lignée des narrations fabuleuses :

‘[…] je vous veux faire la coppie de l’histoire Fanfreluchique, où vous trouverez que je ne suis pas de beaucoup si grand menteur que Pline en ses livres de la super-naturelle Histoire, que Lucian en ses verissimes narrations de Fables : ne que Jean le Maire en ses magnifiques illustrations de Gaule, et deifiques singularitez de Troye, toutes mises en sa teste en dormant par le Secretaire des Dieux Mercure 608 .’

Tout l’intérêt est de voir que l’expression ‘«’ ‘ verissimes narrations de Fables ’» est une périphrase qui désigne l’Histoire véritable et qui insiste beaucoup plus clairement que les premières gloses du titre grec par Rabelais sur une revendication de la fausseté. La dimension de la parodie des romans de chevalerie est nettement atténuée au profit du rejet tant de l’artifice qui consiste à prétendre historique la narration fictionnelle que, plus loin, de l’herméneutisme fictionnel. L’intitulé ‘«’ ‘ ’ ‘Mythistoire’ ‘ ’», graphié « Mitistoire » en 1574, n’a plus alors de secret pour le lecteur : néologisme, formé par un emprunt à J. Capitolinus, le nom est aisément décomposable et renvoie à un récit mensonger ; il participe à la promotion du caractère fabuleux du roman. Il est notable que le signifié de mythistoire soit semblable à celui de mythologie sous la plume de Rabelais, ce qui atteste l’idée d’une source lucianique commune aux deux auteurs et l’influence de l’un sur l’autre  ce nom aurait pu être ajouté en page de titre après la parution de la dédicace du Quart livre 609 . Des Autels apporte donc deux éléments à notre étude : d’abord, il nous montre explicitement que veritable histoire a le même signifié qu’histoire fabuleuse dans l’idiolecte des romanciers lucianiques ; ensuite, sa conception du récit romanesque est tout orientée vers le pied-de-nez final du « Proeme » consistant à nier l’existence d’un sens supérieur parce que tout n’est dit que pour faire rire. De toute évidence, Des Autels a fait son propre cheminement à partir des textes de Lucien : peut-être avant Gohory, il a envisagé l’argument d’un sens allégorique pouvant compenser la fausseté de la fable narrative, pour d’emblée le mettre à distance.

Notes
606.

Mythistoire barragouyne…, fol. A2 v° à A3 r°.

607.

Ibid., fol. A3 v°.

608.

Ibid., fol. A3 v° et A4 r°.

609.

C’est l’hypothèse que fait V. Zaercher en constatant que le substantif n’est utilisé qu’à cet endroit du roman et que Pasquier parle en 1555 seulement du « Livre des fanfreluches » (« La Mithistoire de Fanfreluche et Gaudichon… », art. cit.). Nous devons à l’article de M. Huchon, « Le roman, histoire fabuleuse », art. cit., la précision que, comme Fulgence a utilisé Mitologiae dans l’Antiquité, Julius Capitolinus a usé du terme mithistoria. Rabelais et Des Autels ont donc francisé, comme Amyot l’a fait pour fabulosa narratio, des vocables anciens pour donner une caution antique un genre narratif bas. Par ailleurs, le fait que Des Autels qualifie à deux reprises le Tiers livre dans le roman de « veritable histoire » prouve qu’il est au fait des manipulations terminologiques de Rabelais (Mythistoire barragouyne…, chap. 9, p. 40 et « Aux dames », non paginé).