1 - Données génériques à l’ouverture des textes

Par le fait qu’il agglomère des styles divers, le roman met en concurrence des formes recyclées, des modes énonciatifs et les discours des personnages. Pourtant, tous ces énoncés ne participent pas à une sorte de ‘«’ ‘ lutte pour la domination ’» sur l’œuvre : seuls ceux que nous pouvons appeler les « genres encadrants », définis par une topique de contenu et des stéréotypes formels, marquent de leur empreinte la structure d’ensemble des romans. Commençons par nous laisser guider par les éléments de classification donnés dans le paratexte des livres  les formules de titre, la préface et quelques pièces poétiques  et au début du récit. Nos textes s’inventent-ils une forme en se réappropriant des modèles culturels antérieurs, remettent-ils en cause ces derniers ou bien créent-ils leurs propres catégories typologiques ?

Les œuvres de Rabelais et d’H. de Crenne s’inscrivent, au premier abord, dans une forme romanesque précise, ouvertement signalée et définie pour Pantagruel, Gargantua et même le Tiers livre, mais dont la détermination est impossible, pour le Quart livre, le Cinquiesme livre et les Angoysses, avant la lecture de l’histoire. Le sous-titre de Pantagruel, mentionnant les « faictz et prouesses » d’un petit diable de mystère médiéval, prévient de la nature guerrière du sujet, sans impliquer une inscription de l’œuvredans la lignée des romans de chevalerie. De manière inattendue, le prologue s’ouvre ensuite sur un éloge des ‘«’ ‘ grandes et inestimables Chronicques de l’enorme geant Gargantua ’». L’auteur imagine ses lecteurs en « gentilz hommes » faisant de ‘«’ ‘ beaulx et longs narrez » ’de ce texte aux ‘«’ ‘ honorables Dames et Damoiselles »’ ‘ 677 ’ ‘. ’L’auteur fait ensuite du texte ‘«’ ‘ un aultre livre de mesme billon ’», « un peu plus equitable et digne de foy que n’estoit l’aultre », et termine son discours inaugural sur l’expression ‘«’ ‘ ceste presente chronicque »’ ‘ 678 ’ ‘. ’Le terme évoque un genre précis, caractérisé par l’alliance de la figure d’un géant populaire et d’une thématique chevaleresque, le traitement burlesque d’un référent noble et enfin la mise à distance des formes narratives mensongères qui prétendent à un intérêt documentaire 679 . Rabelais tient, d’ailleurs, à démarquer son texte des livres romanesques d’inspiration épique :

‘Bien vray est il, que l’on trouve en aulcuns livres dignes de haulte fustaye certaines proprietés occultes, au nombre desquelz l’on tient Fessepinte, Orlando furioso, Robert le diable, Fierabras, Guillaume sans paour, Huon de bourdeaulx, Montevieille, et Matabrune. Mais ilz ne sont comparables à celluy duquel parlons 680 .’

Alors que les Grandes Cronicques dépendent de la tradition bretonne, les textes énumérés ici relèvent du dérimage de chansons de geste ou, dans le cas du poème de l’Arioste, de la mise en vers parodique de la Cronique du Pseudo-Turpin. Cela indique que l’auteur de Pantagruel entend faire pièce au succès de la littérature médiévale tardive en faisant allégeance à une forme romanesque d’inspiration récente, qui repose sur le détournement facétieux de la matière arthurienne primitive. Les titres des quatre premiers chapitres du récit confirment le parti pris inaugural : ils font part de la naissance et de l’enfance d’un héros « grand » et « tresredoubté » et mentionnent le personnage de Gargantua. Mais quel lien existe-t-il entre l’histoire de Pantagruel et la ‘«’ ‘ chronicque Gargantuine » ’de 1532 ? Rien, hormis le choix de donner un fils au géant, l’annonce de prouesses du même ordre et des notations allant dans le sens du gros comique. Tout repose donc sur un ton et sur des déclarations d’intention : le style du prologue des Grandes Cronicques n’a aucunement la dimension du boniment de camelot, sous le signe duquel Pantagruel est placé. Or il est flagrant de constater que, dans les livrets parus en 1533, comme la Grande et merveilleuse vie du trespuissant et redoubté roy de Gargantua, rédigée par F. Girault, le Vroy Gargantua et les Chronicques du grant Roy Gargantua, l’amusement colore la prise de parole de l’auteur et du narrateur. Nous avons ici une preuve tangible de l’influence que le roman de Rabelais a eu sur la suite des chroniques gargantuines : outre le ton jovial, il a légué à la série le thème de l’enfance, la fonction royale du géant et, dans le cas des Croniques admirables, le personnage même de Pantagruel 681 . Inversement, Gargantua arrive à la fin d’une vague de deux années de publication intense de ces petits livrets, durant laquelle le mythe gargantuin n’a cessé de s’amplifier. Parmi eux, les Grandes Cronicques et la Merveilleuse vie ont directement inspiré Rabelais pour certains épisodes, comme ceux des ravages faits par l’immense jument dans les forêts de la Beauce, du vol des cloches de Notre-Dame et les passages truculents de la guerre picrocholine, où la disproportion entre les humains et le géant est amplement soulignée. Quant au titre même du roman, La vie treshorrificque du grand Gargantua, il vient sans aucun doute de celui donné par F. Girault à son texte. Mais alors que Gargantua est un personnage phare, l’ouverture du roman ne fait aucune mention des récits populaires : le narrateur établit paradoxalement un rapport entre cette nouvelle œuvre et ‘«’ ‘ la grande chronicque Pantagrueline’ ‘ 682 ’ ‘ ’», au lieu de la « chronicque Gargantuine ». Par cette substitution d’adjectifs, l’histoire des géants rabelaisiens prend une dimension autonome par rapport aux contes élaborés à la même époque. On imagine, d’ailleurs, assez bien Rabelais s’être livré au jeu de prendre part à la rédaction d’une ou plusieurs chroniques gargantuines, d’un côté, et de chercher à enrenouveler le genre, de l’autre. De toute évidence, il a été séduit par un matériau que les Grandes Cronicques ont peut-être puisé dans le folklore national  mais rien n’est moins sûr  et qui offrait une vision distanciée de la matière dominant la production romanesque au début des années 1530.

Si les deux premiers romans se placent dans le cadre des réécritures de la matière médiévale, rien n’indique, à l’ouverture du Tiers livre, que le nouveau texte opère une rupture par rapport aux autres. De fait, à la mention près des « dicts » de Pantagruel dans le titre et des « sentences Pantagruelicques » dans le prologue, aucun élément du paratexte ne précise un changement générique au lecteur. Au contraire, le dizain de Rabelais adressé à M. de Navarre engage à voir le roman comme ‘«’ ‘ une tierce partie / Des faictz joyeux du bon Pantagruel’ ‘ 683 ’ ‘ ’». Il faut dire que depuis 1542 les deux premiers ouvrages sont imprimés dans le respect de l’ordre chronologique des générations : Gargantua fait suite à Pantagruel. Élisant dans les trois derniers récits le personnage de Pantagruel, Rabelais choisit de privilégier une série cyclique, dont le type est très représenté dans les romans médiévaux et dans les Amadis, au détriment d’une série dynastique. Mais pas plus que dans les précédents livres, le lecteur ne connaît la teneur des aventures qui attendent Pantagruel ; il peut seulement constater que, dans le premier chapitre, Alcofribas reprend la narration où il l’avait laissée au début du chapitre 32 de Pantagruel, alors que le géant entreprenait de transporter ‘«’ ‘ une colonie de Utopiens en Dipsodie ’». De plus, de même que les chapitres 50 et 51 de Gargantua présentaient respectivement la harangue de tolérance faite par Gargantua à l’armée de Picrochole et les récompenses remises par le roi à ses combattants, le je tient dans le Tiers livre un discours sur la bonne institution du prince et explique comment Panurge, nouveau châtelain de Salmigondin, dilapide ses biens. Les personnages et les décors sont donc bien reconnaissables et l’on peut s’attendre à un autre épisode « admirable » de la geste pantagruéline. Tel n’est pas le sentiment que donnent les premières pages du Quart livre : si le titre renvoie à celui du précédent roman, que la dédicace annonce la « continuation des mythologies Pantagruelicques » et que le prologue promet de ‘«’ ‘ dire merveilles du noble et bon Pantagruel »’ ‘ 684 ’ ‘, ’il apparaît dès le début du récit que nous n’avons plus affaire à une « chronicque ». S’il s’agit toujours de la geste de Pantagruel, celle-ci change de contexte spatial : le géant et ses compagnons vont prendre la mer. Le narrateur présente d’emblée les différents vaisseaux et le parcours de navigation établi par le pilote principal ; la flotte se lance ensuite dans un espace géographique imaginaire. L’île de Médamothi, avec ses ‘«’ ‘ marchandises exotiques et peregrines’ ‘ 685 ’ ‘ ’», ses licornes et son renne-caméléon, semble augurer d’un voyage vers des contrées merveilleuses. Quant à l’ouverture du Cinquiesme livre, elle n’établit aucune rupture avec le roman précédent : le texte liminaire ne donne pas d’indication sur le caractère ou le contenu de l’histoire qui suit et, comme ils avaient passé l’île de Ganabin, voilà les Pantagruélistes qui arrivent à hauteur de l’île Sonnante. À la lecture du commencement des Livres de Rabelais, le Tiers livre mis à part, deux genres se distinguent donc : le conte populaire, rapportant sur un ton comique les exploits de géants belliqueux, et le récit de voyage maritime.

Venons-en à l’ouverture des Angoysses douloureuses qui procedent d’amours. Le titre pourrait convenir à un traité de morale ; seule la dédicace précise que nous avons affaire à l’expression par une femme des tourments dont son ‘«’ ‘ triste cueur a esté, et est continuellement agité ’» :

‘Les anxietez et tristesse des miserables (comme je peulx penser et conjecturer) se diminuent, quand on les peult declarer à quelque sien amy fidele. Par ce que je suis certaine par moy mesmes, que les dames naturelement sont inclinées à avoir compassion. C’est à vous mes nobles dames, que je veulx mes extremes douleurs estre communicquées. Car j’estime que mon infortune vous provocquera à quelques larmes piteuses : qui me pourra donner quelque refrigeration medicamente 686 .’

Il n’est pas précisé clairement à ce stade si l’aveu des ‘«’ ‘ angoysses amoureuses ’» va prendre la forme d’un récit : seules des indications touchant au passé  » en voyant comme j’ai esté surprinse » , préparent le lecteur à une narration, qui de fait commence juste après par un résumé de l’enfance du personnage. Peut-on parler d’un récit autobiographique, selon la définition actuelle ? Assurément non, même si tous les matériaux sont réunis pour cela. Si le nom du personnage vient se superposer à celui donné en page de titre, si la sincérité de la romancière n’est pas remise en cause par les lecteurs et si le double niveau de l’histoire et de la narration qui vient la commenter est réalisé, nous n’avons nulle part la formulation explicite d’un pacte autobiographique 687 . De plus, c’est le nom du personnage  Dame Hélisenne  qui donne son nom à l’auteur, et non l’inverse. Nous constatons seulement que nous est présentée ici une histoire intime, unique et exemplaire, faite à la première personne et où les instances de l’auteur, du narrateur et du personnage se recoupent. Puisque manque surtout la définition de l’identité de la romancière, essentielle à tout projet de confession à visée didactique, nous dirons que nous avons affaire à une autobiographie féminine fictive.À la différence des romans de Rabelais, les Angoysses élaborent donc une catégorie générique complexe, dont les lecteurs contemporains étaient peu familiers.

Chez Des Autels et Aneau, la situation est toute différente : aucun ensemble d’éléments formels et thématiques convergents n’est décelable ; du coup, le lecteur a bien du mal à ranger, même provisoirement, les romans dans un genre précis. La Mythistoire barragouyne de Fanfreluche et Gaudichon, pour commencer, se plaît à ménager un halo de mystère autour de ses personnages et de son contenu. Le titre a déjà de quoi laisser perplexe : le néologisme mythistoire et l’emploi adjectival de barragouyn 688 le rendent en partie incompréhensible. Rabelais a, certes, créé le mot fanfreluche dans le sens de bagatelle ou ineptie ; mais Des Autels semble plutôt se souvenir de l’emploi libre de fanfrelucher, apparu dans la bouche de Panurge 689 . Quant à l’anthroponyme Gaudichon, il évoque en soi peu de choses, sinon peut-être le refrain d’une chanson populaire 690 . Si les cinq pièces liminaires suivantes apportent des informations complémentaires, elles ne sont pas directement exploitables car elles se contredisent. D’abord,l’auteur annonce une « grave matiere » et fait de Fanfreluche une « honneste Dame » ; mais la désinvolture affichée dès la page de titre, le ton gouailleur et l’inscription du texte dans la lignée des romans de Rabelais invalide le sérieux conféré à la matière et au protagoniste 691 . Le « Proeme » propose alors plusieurs orientations typologiques, qui s’excluent l’une l’autre : après l’» histoire Fanfreluchique », qui porte sur le devenir du personnage féminin, sont annoncés aussi bien la relation des « faits memorables des Barragoins », traitant des prouesses accomplies par un peuple, que le récit de « l’amour » de Fanfreluche ‘«’ ‘ avec son amy Gaudichon »’ ‘ 692 ’ ‘ ’! Le sujet sentimental semble pourtant l’emporter à la dernière page du « Proeme », où l’auteur mentionne des « plaintes amoureusement hullées ». Mais le début du récit retrouve le schéma pseudo-chevaleresque de la « chronicque » rabelaisienne : comme celui de Pantagruel et de Gargantua, le narrateur de la Mythistoire entend donner la « genealogie » de Fanfreluche. Au lieu de prendre à son compte ce morceau de bravoure, il cède la parole à l’héroïne, qui lui a un jour rapporté sa lointaine ascendance ainsi que l’histoire de ses parents. Voici en quels termes il l’a alors remercié :

‘Touchez là, di je madame, par la mort-bieu j’en suis content : aussi bien ay-je envie d’en faire un petit mot de Romains à l’advenir. On en a bien fait un de Melusine : Je vous estime bien autant qu’elle, et plus encore, si vous voulez. Or sus donc dit Fanfreluche, avant 693 .’

Ce « Romains » est-il le livre que nous lisons ? Cela semble douteux en regard du discrédit jeté plus haut par le narrateur sur les « Historiens » qui, ‘«’ ‘ escrivans la genealogie de leurs maistres, ne faillent point à mentir, pour (ce leur semble) decorer leur noblesse »’ ‘ 694 ’ ‘. ’Selon nous, l’emploi de roman est ici ironique : Songe-creux, singeant les mauvais historiens à la solde des grands seigneurs, feint de vouloir écrire un jour un de ces textes qui mêlent sans discernement histoire et fiction. Il blâme ainsi des romans comme le « Melusine » de Couldrette ou de J. d’Arras, qui, sous couvert de traiter d’un protagoniste chimérique, prennent en charge des intérêts dynastiques. En somme, les multiples pistes ouvertes pour catégoriser ce récit ne sont que des leurres : malgré son allégeance aux romans rabelaisiens, Des Autels peut se ‘«’ ‘ vanter à bon droit d’estre le premier qui l’[a] fait’ ‘ 695 ’ ‘ ’».

L’ambiguïté générique n’est pas moindre au commencement d’Alector et elle procède d’effets de brouillage similaires. Le titre de la page de titre, d’abord, est constitué d’un mot grec, qui signifie coq et dont le sens animalier peut déconcerter le lecteur. La dédicace fournit une explication sur le référent de ce nom : il s’agit d’un ‘«’ ‘ prudent, hardy, liberal et vaillant Chevalier ’», dont Aneau envoie l’histoire à C. de Coq parce qu’il est son homonyme 696 . Mais voici que les « Propos rompus » font intervenir d’autres thématiques. Le premier est constitué de deux fragments qui relatent respectivement la création des centaures après l’accouplement d’Ixion et d’une Nuée et le devenir de certains de leurs enfants, dont un hippocentaure qui hante « l’obscure forest des hazardz », que le lecteur pourra bientôt reconnaître dans le ravisseur de Noémie ; ces passages prennent la forme d’une fable mythologique. Le second « Propos » établit la généalogie des Gallehaut, dont le chevalier invisible à l’écu vert, qui fera enrager Alector, est à la tête. Plus exactement Gallehaut, le Chevalier Noir, sera présenté comme le petit-fils de Franc-Gal, alors qu’il apparaît ici comme son ancêtre : il se trouve être le fils d’Hector le Brun, lui-même petit-fils d’Hector de Troie, un adversaire du roi Arthur et l’ami de Lancelot. En somme, Aneau mêle le temps troyen et celui de la Table ronde : Gallehaut, personnage de Gyron le Courtoys, confère à sa descendance  les ‘«’ ‘ Galz et Gallehaux Macrobes » ’, une double origine gauloise et chevaleresque. Quant au dernier « Propos », il évoque très brièvement la lignée également ambivalente de la « blanche dame Galatide », Aneau s’ingéniant toujours à user du radical Gal- pour désigner des personnages à la croisée des deux traditions 697 . Du point de vue du style, ces deux derniers fragments rappellent les généalogies inscrites au début de certains romans de chevalerie. Le titre qui précède le début du récit semble confirmer cette analogie entre le roman médiéval et l’historiographie établie sur des mythes et à visée politique : Fragment de l’Histoire fabuleuse du preux Chevalier Alector filz du Macrobe Franc-Gal et de la Royne Priscaraxe. De fait, le nom composé Franc-Gal postule l’identité des Francs et des Gaulois ; Priscaraxe évoque l’Araxe de l’Hercule de Lybie, précisément d’origine scythe ; et Alector rappelle irrésistiblement à présent la nation gauloise par son correspondant latin gallus. Mais une nouvelle perturbation se produit au premier paragraphe du chapitre, dont le titre pourrait tout à fait convenir à un épisode d’Amadis. Voici comment le narrateur décrit le spectacle du combat mené par Alector contre les Gratians et leurs domestiques :

‘Le pavé de marbre blanc en la basse court du palais des Gratians, Seigneur (sic) citoiens Orbitains, avoit changé sa blanche couleur en rougeur sanguinolente par l’effusion du sang humain et en plusieurs endroictz estoit couvert de corps occis, gisans à l’entour du preux Alector, comme l’herbe abbatue autour du faucheur, les uns du tout oultrez, les autres encore tirans le jarret et jectans les derniers souspirs 698 .’

Nous avons ici une imitation du début des Éthiopiques, où un groupe de brigands contemple les passagers morts ou agonisants d’un navire. Mais la suite va présenter Alector par ses armes en usant d’un vocabulaire chevaleresque codifié. Le lecteur ne sait alors plus s’il a affaire à un récit mythographique, à un roman courtois ou à un roman grec…

Pour conclure, la catégorisation générique n’est un problème à l’ouverture de nos romans que chez Des Autels et Aneau. Ceux-ci s’ingénient à multiplier les pistes de lecture sans en confirmer aucune. Rabelais et Hélisenne choisissent, au contraire, un cadrage formel précis, quitte à en créer eux-mêmes les contours. Mais il se pourrait que celui-ci fonctionne aussi comme un miroir aux alouettes et qu’à l’échelle des œuvres entières, la stratégie de séduction puis de déception du lecteur opère à plein.

Notes
677.

Pantagruel, « Prologue de l’Auteur », p. 213.

678.

Ibid., p. 215.

679.

Nous avons vu ces différents traits d’écriture à l’œuvre dans les Croniques admirables, au chapitre 3 de la première partie, pp. 192-195. La question des rapports entretenus par les formes du roman médiéval, du récit historique et du conte populaire dans l’ensemble des livrets est également abordée par D. Desrosiers-Bonin dans un article intitulé « Les Chroniques gargantuines et la parodie du chevaleresque », in Le Roman chevaleresque tardif, op. cit., pp. 85-95.

680.

Ibid., p. 214. Pour les références exactes de ces titres réels ou fantaisistes, voir les notes de Pantagruel, p. 1237. Nous avons trouvé la même distinction dans la liste des personnages de romans rencontrés par Épistémon aux enfers. Apparaissent d’abord les « chevaliers de la table ronde », dont Lancelot et Gauvain, puis les héros des romans arthuriens récents, comme « Jan de Paris »ou « Giglan », puis ceux des épopées dérimées les plus en vogue, tels « Ogier le Dannoys », « Galien Restauré » et « Les quatre filz Aymon » (Pantagruel, chap. 30, pp. 323-325).

681.

Voici comment M. Françon retrace, dans l’introduction à son édition des Croniques admirables, op. cit., p. LXXIX, la transposition mot à mot des chapitres 2, 3 et 4 de Pantagruel dans cette seconde compilation de la série, datant environ de 1534 :

Pantagruel apparaît comme le développement d’un épisode [= la naissance du fils de Gargantua, la mort de sa femme et l’enfance de Pantagruel]  qui s’annonce, qui se prépare, dans Le Vroy Gargantua, dans La Merveilleuse Vie, dans Les Chroniques du Grant Roy  et qui s’achève dans Les Croniques Admirables.

Mais parmi les hypothèses formulées ensuite  soit Rabelais a recopié ces chapitres, soit il a lui-même rédigé ce passage des Admirables, soit le rédacteur a repris le bien du Chinonais , seule la dernière est acceptable au vu de la datation approximative des textes et de la poétique de la réécriture et de l’adaptation pratiquée par tous les auteurs de la série.

682.

Gargantua, chap. 1, p. 9.

683.

Pantagruel, « François Rabelais à l’esprit de la royne de Navarre », p. 341.

684.

Quart livre, pp. 517 et 535.

685.

Ibid., p. 540.

686.

Les Angoysses douloureuses…, « L’epistre de Dame Hélisenne à toutes honnestes dames », p. 96.

687.

Le narrateur déclare bien à l’occasion : « je m’efforceray d’en [= les pensemens que j’avoye] declarer le plus qu’il me sera possible » (ibid., p. 107), mais cela ne suffit pas à prouver que les événements rapportés par la narratrice sont réellement survenus dans sa vie.

688.

Rabelais est le premier à avoir utilisé le nom barragouin, qui servait à désigner de manière injurieuse un étranger, dans le sens de langage barbare (Pantagruel, chap. 9, p. 247 et chap. 11, p. 254 ; Tiers livre, chap. 34, p. 460). Sous la plume de Des Autels, le « Barragouynois » est le pays natal de Fanfreluche (Mythistoire barragouyne…, p. 27). Pourtant, l’affirmation selon laquelle l’héroïne est « estrangere et Barragouyne » (p. 41) laisse penser que l’adjectif, peu employé au XVIe siècle, se teinte aussi du sens de barbare. Quant au titre, il fait selon nous un emploi à la fois géographique et rabelaisien du terme : il s’agit de l’histoire de deux héros dont l’un appartient au peuple des Barragoins et celle-ci est racontée dans une langue incompréhensible.

689.

Le substantif intervient dans l’expression les « Fanfreluches antidotées », tandis que Panurge applique le verbe à de jeunes mariés, qui « fanfreluchoient à chasque bout de champ » (Gargantua, chap. 2, p. 11 et Pantagruel, chap. 23, p. 298). Dans la Mythistoire, ce nom est imposé au personnage parce qu’à sa naissance, elle mettait déjà « le doigt aux fanfreluches de [s]on chose » (p. 25).

690.

L’idée de ce rapprochement nous est venue à la lecture du plaidoyer de Baisecul, où est fait mention, sans plus d’indication, de « lamibaudichon » (voir Pantagruel, chap.11, p. 256 et la note de M. Huchon p. 1286). Des Autels a pu refaire le nom Baudichon en Gaudichon sur la base du gaudeo latin. Du coup, le terme évoque tout à la fois un homme du peuple, comme le rappelle le suffixe péjoratif -ichon, et un joyeux drille, un bon rieur.

691.

Mythistoire barragouyne..., « Suradvertissement », fol. A1 v° et « À F. R. », fol A2 r°.

692.

Ibid., fol. A3 v° et A4 r°.

693.

Ibid., chap.1, pp. 3-4.

694.

Ibid., chap. 1, p. 2.

695.

Ibid., « Proeme », fol. A4 r°.

696.

Alector, p. 11.

697.

Les Illustration de Gaule de Lemaire et, selon M. M. Fontaine, le Roman de Perceforest faisaient déjà le lien entre les deux temporalités. Mais c’est surtout au Pseudo-Bérose qu’Aneau fait emprunt des éléments sur l’origine mythique des Gaulois (voir les notes d’Alector, t. II, p. 325 et pp. 365-373). Quant à Galatide, elle rappelle la Galathée d’Annius de Viterbe : Galathée est, avec Araxe, l’une des deux femmes de l’Hercule de Lybie, à l’origine de la nation gauloise.

698.

Ibid., chap. 1, p. 17. Pour une comparaison avec le début du roman d’Héliodore, voici un passage de l’Histoire Æthiopique traduite par Amyot (cité par M. M. Fontaine, t. II, p. 376) :

[…] le rivage estoit tout couvert de gens freschement navrez, dont les uns ne l’estoient qu’à demy : et y avoit quelques parties de leurs corps qui battoient et remuoient encores. Ce qui donnoit à cognoistre qu’il n’y avoit gueres que le combat estoit fini.