2 - Au sein des récits, la mise en concurrence de plusieurs formes encadrantes

Le plus grand effort que les romanciers exigent du lecteur est encore à venir : il s’agit de lui faire accepter au l’idée que plusieurs genres encadrants dominent conjointement la structure romanesque qu’ils inventent. À l’héritage antique de la pureté des types de discours, nos auteurs substituent le mélange des genres par la mise en concurrence de formes qui participent toutes à la définition thématique, modale et structurelle de leurs œuvres.

La poétique rabelaisienne, pour commencer, se place sous le signe de l’» esclave biguarré » de Ptolémée, dont le corps est mi-blanc, mi-noir avec une séparation verticale. Comme celui-ci fut accueilli par les Égyptiens comme un ‘«’ ‘ monstre infame, créé par erreur de nature ’», Rabelais craint que sa propre œuvre ne déplaise 699 . Voyons comment cette mention d’une hybridité formelle, par l’image du monstre, trouve à se réaliser dans les cinq Livres. Dans Pantagruel, tout d’abord, le genre inaugural de la « chronicque » perd vite sa définition primitive, à savoir le récit comique de la geste d’un chevalier. Par la généalogie énoncée au chapitre 1, le héros est rapproché des géants présents dans la Bible, la fable antique et les romans de chevalerie. Du coup, la geste qu’on nous a promise est celle non plus d’un surhomme au service du roi Arthur, mais d’un être aux caractéristiques surnaturelles. La temporalité correspond moins à l’époque d’Uterpendragon, père du premier chevalier de la Table ronde, qu’au passé immémorial du mythe. Certes, le jeu du décalage entre la taille d’un géant bon enfant et les proportions humaines, directement hérité des Grandes Cronicques, est à l’origine de certains épisodes. C’est le cas des prouesses de l’enfant dans son berceau, du déplacement de l’étudiant par la France « à trois pas et un saut », de sa sortie de terre de la cloche de l’église de Saint-Aignan et des ruses qu’élabore le guerrier contre les Dipsodes 700 . On se rappelle de quelle manière Pantagruel réussit à susciter une soif immense chez le roi Anarque et son armée et de quelle eau il noie les ennemis dans leur camp... Vient alors le combat contre Loup-garou, où il prend, en guise de lance, le mât de son navire et finit par se servir du corps de son adversaire comme d’une faux pour renverser les trois cents géants armés de pierre de taille ; Loup-garou atterrira ensuite sur la place de la ville des Amaurotes, sur le ventre, ‘«’ ‘ comme une grenoille ’». Dans ces deux chapitres, malgré les références faites à l’épopée et au roman médiéval 701 , nous avons affaire à une imitation du genre des Grandes Cronicques : le géant se place dans un contexte chevaleresque, qu’il dégrade par ses farces scatologiques. Cependant, au cours du roman, Pantagruel a tôt fait de perdre l’identité de défenseur naïf d’un royaume en péril pour suivre le parcours d’une créature aux capacités prodigieuses ; il faut donc toute la subtilité de la prose de Rabelais pour permettre un retour vers la fin du roman à la figure du Gargantua de 1532. L’auteur surprend bien autrement encore le lecteur : il remaille son texte avec un autre fil générique, non plus celui de la chronique, mais celui de l’histoire 702 . Dès le prologue, Alcofribas se présente comme un serviteur à gages qui se pique d’écrire la vie d’un homme d’exception. Il donne des références sur les événements auxquels il a assisté et précise quand il n’y a pas participé 703 . Dès lors, la fiction bascule dans le temps humain : aux aventures de Pantagruel étudiant succéderont les mauvais tours de Panurge ; hormis des notations éparses sur les traits du personnage populaire qui répand la soif, rien ne rappelle alors le genre de la chronique gigantale. Nous retrouvons cette double marque générique dans Gargantua. Des passages, comme la description de la livrée du géant, les boulets de canons que Gargantua prend pour des raisins et le franchissement du gué de Vède, sont écrits à la manière des petits livrets contemporains . Plus généralement, Gargantua est présenté comme un être appelé à de grands exploits : porté onze mois par sa mère, il sort de son oreille et, avant même de naître, est comparé à Hercule 704 . À côté de cela, l’évolution du héros est celle d’un enfant précoce, dont l’histoire est consignée par celui qui avait déjà servi  ou qui allait servir ?  son fils. C’est bien une « vie », à la manière de celles d’Apollonius de Tyane narrée par Philostrate, de Pythagore par Jamblique ou de Pic de la Mirandole par son neveu, qu’il nous donne à lire ; le terme rappelle également le titre de la seule chronique gargantuine qui ne fait pas de référence au monde arthurien. Selon nous, Rabelais procède donc de deux manières pour dérouter son lecteur : sous couvert de reprendre un genre populaire récent, il étend ses caractéristiques à celles d’un récit à sujet mythique ; il invente, par ailleurs, une forme aux contours également flottants, qui hésite entre la biographie d’un noble ou d’un sage et l’hagiographie, et la juxtapose sans ménagement à la première.

Par rapport à ces récits de « faicts et prouesses », les trois romans suivants portent plus spécifiquement sur les « dicts » de Pantagruel. Ce changement d’intitulé induit, en fait, une profonde mutation générique. Quand l’auteur nous promet ‘«’ ‘ un gallant tiercin, et consecutivement un joyeulx quart de sentences Pantagruelicques’ ‘ 705 ’ ‘ ’», il considère les nombreux personnages qui y prennent la parole. Dans le Tiers livre, par exemple, Pantagruel il n’est pas le seul à s’exprimer sur le problème posé par Panurge au chapitre 9, qui lance la série des consultations : doit-il se marier et prendre ainsi le risque d’être cocu, battu ou volé ? En plus des sages inspirés et des savants, frère Jean, personnage repris à Gargantua, Épistémon et Panurge lui-même entrent dans la discussion ; la controverse commence même, avant la demande formulée à Pantagruel, sur le sujet des dettes et se poursuit sur la question du jugement des procès. En ce sens la forme du dialogue philosophique constitue la matrice principale du Tiers livre. Mais des bribes de récit émaillent tout de même le texte : à Panurge qui le sollicite, Pantagruel le met sur la voie d’une visite aux oracles et d’une quête des enseignements dispensés par les spécialistes de la foi, de la médecine et du droit. Sans tenir compte ici des descriptions des gestes et des paroles de muets, des indications pas tellement hiératiques sont ainsi données par le narrateur sur l’habitation de la sibylle de Panzout, sur les présents offerts par Panurge à Nazdecabre ou à Triboullet, sur l’entrée de Gargantua dans la salle du banquet organisé par Pantagruel et sur l’arrivée des Pantagruélistes à Mirelingues. En somme, en contrepoint d’un débat dialogué perdure la trame ténue d’un récit de recherche de la vérité. De fait, seule la présence en pointillé de ce mode narratif permet de pallier l’échec des débats langagiers par l’annonce finale du voyage vers l’oracle de la Bouteille : puisque Panurge s’est confronté aux détenteurs d’un savoir humain ou révélé, il peut proposer un déplacement hors des limites de l’espace familier. Le Quart livre et le premier groupe de brouillons du Cinquiesme livre rapportent cependant le périple maritime des compagnons, sans presque jamais faire état du problème soulevé par Panurge 706 . Du coup, au récit de voyage orienté vers un but précis se substitue rapidement le compte rendu des visites faites d’île en île, que F. Lestrigant rapproche du genre de l’» insulaire 707  ». Dans la mesure où cette forme renvoie à la Renaissance à des atlas de navigateurs constitués de cartes d’îles et de bribes de récits, elle ne permet pas de catégoriser exactement ces textes, même si l’idée d’une fiction discontinue est tout à fait probante. Pour le problème qui nous intéresse, nous dirons plutôt que nous avons affaire à deux genres encadrants concurrents, à savoir le récit d’aventures sur mer et le récit de découvertes intellectuelles. Pour ce qui est des événements qui arrivent aux navigateurs, leur extravagance nous éloigne tout à fait des insulaires : il s’agit, par exemple, de la tempête essuyée par la flotte, racontée sur le mode du dialogue, de la visite de l’île des Macréons, du combat de Pantagruel contre le physétère, de la guerre menée contre les Andouilles, de la découverte de paroles gelées, du repas partagé sur la Thalamège, des aventures de Panurge et du chat Rodilardus et de la capture des compagnons par les Chats-fourrés. Parallèlement à ce récit haut en couleurs, se développe la trame de la recherche de la connaissance 708 . Mais cela ne débouche ni sur la présentation de contrées exotiques, contrairement à ce que l’épisode de Médamothi laissait présager, ni sur la consultation d’autorités en matière de savoir, comme dans le Tiers livre. Sont, en fait, insérées dans le texte des pensées et des façons de vivre étrangères, par le biais soit d’une description ou d’un récit assumés par le narrateur, soit de la prise de parole d’un habitant de l’ailleurs. Ainsi, tandis que le narrateur explique l’histoire de Bringuenarilles et qu’il décrit les alliances lexicales de l’île des Ferrements, Homénaz fait état de la valeur des décrétales pour le peuple des Papimanes, maître Aeditue définit la caste religieuse des oiseaux de l’île Sonnante et Grippe-minaud montre la corruption à l’œuvre dans son tribunal. En un mot, les aventures renvoient à des rouages du fonctionnement civil et religieux de la société humaine ou ont pour intérêt le modelage d’un matériau appartenant au domaine symbolique du langage. Les deux dimensions du voyage et de la découverte d’éléments abstraits nous semblent perdurer dans le deuxième groupe de brouillons du Cinquiesme livre,jusqu’à l’arrivée de la flotte au pays de Lanternois. C’est alors que le récit de voyage linéaire, qui a commencé au chapitre 17 avec la transformation progressive du parcours sur l’océan en un cabotage fluvial 709 , prend le dessus ; comme nous l’avons déjà vu, le roman s’achève sous la forme d’un récit initiatique. Du coup, nous semble confirmée dans les cinq Livres de Rabelais l’hypothèse d’une tension mise en place entre deux genres, qui sont eux-mêmes soit empruntés à une tradition et redéfinis par l’auteur, soit créés de toutes pièces par lui.

Chez H. de Crenne et Des Autels, l’hybridation ne passe pas par l’actualisation concomitante de deux genres différents, mais par la prise de relais saisissante d’un genre par un autre. Dans le récit autobiographique de Dame Hélisenne, d’abord, la relation établie entre la narratrice et les lectrices s’atténue peu à peu, sans disparaître totalement. Avec cette confession féminine, les descriptions physiologiques de la passion, l’analyse fine des sentiments et les élégies pleines d’emphase oratoire, cette première partie des Angoysses peut être rapprochée de la Fiammetta de Boccace. La seconde et l’essentiel de la troisième, pour leur part, reprennent la thématique et la structure du Peregrino de Caviceo : comme Pérégrin est allé chercher Genèvre jusqu’au mont Sinaï et aux enfers, Guénélic annonce à Quézinstra qu’il est prêt à surpasser les exploits d’Ulysse, d’Hercule, de Thésée, d’Énée et d’Orphée pour retrouver sa dame 710 . De fait, il va parcourir une partie du monde en visitant des lieux où se sont déroulés des épisodes mythologiques amoureux et surtout en accomplissant des épreuves propres à un chevalier. Après avoir affronté des brigands, les compagnons participent à Goranflos à un tournoi, qui s’étale sur trois journées : le narrateur décrit avec minutie le défilé des princes invités puis le combat où Zélandin, fils du seigneur de Goranflos, est blessé et les faits d’armes par lesquels Quézinstra s’illustre. Dans l’épisode d’Élivéba, les jeunes gens portent secours à une reine affligée ; Guénélic, confondu par l’armée ennemie avec Quézinstra, est fait prisonnier, puis relâché ; le conflit se soldera par un duel entre Quézinstra et l’amiral qui tient le siège de la ville. À Bouvaque, après qu’ils ont aidé le prince à reconquérir sa cité, Quézinstra participera aux négociations entre le vainqueur et les vaincus. La quête amoureuse et chevaleresque s’achève, comme dans le Peregrin, par la découverte de la femme aimée, sa libération puis la mort des amants. Comment expliquer le saut brutal de la première partie, si intimiste, au dynamisme de la seconde et, d’un point de vue stylistique, une telle solution de continuité entre un récit sentimental et une narration de quête chevaleresque ? La réponse n’est pas aisée, mais le lecteur n’est pas au bout de ses peines : s’il a pu être surpris qu’après l’annonce de son enfermement dans la tour du château de Cabasus, Hélisenne mette fin à sa ‘«’ ‘ doloreuse complaincte’ ‘ 711 ’ ‘ » ’puis qu’apparaisse une seconde partie où Guénélic entend traiter des « œuvres belliqueuses et louables entreprinses » qu’il a accomplies avec Quézinstra, voici que les événements s’accélèrent à partir de l’enlèvement d’Hélisenne. Selon l’expression d’H. Coulet, les Angoysses« cous[ent] » ainsi à la donnée initiale ‘«’ ‘ un petit récit de chevalerie et une nouvelle tragique’ ‘ 712 ’ ‘ ’», à savoir la courte narration de la destinée malheureuse des deux amants jusqu’à leur mort dans la forêt. Mais que penser du conte mythologique final par lequel Quézinstra, après une description des enfers inspirée de l’Énéide, narre successivement l’arrivée des âmes aux champs élyséens et la brouille entre Pallas et Vénus ? Comme les fables au XVIe siècle, il est placé sous le signe du ‘«’ ‘ delectable stile poeticque’ ‘ 713 ’ ‘ ’». Le plus surprenant est que le sujet de cette querelle porte précisément sur la nature du livre que nous avons entre les mains : sous prétexte qu’il ‘«’ ‘ traicte de choses amoureuses et veneriennes ’», Vénus reproche à Mercure d’avoir offert le manuscrit d’Hélisenne à Pallas ; celle-ci lui rétorque qu’il contient des ‘«’ ‘ choses belliqueuses ’». Jupiter doit intervenir pour faire cesser la dispute : il se voit obligé de confisquer la ‘«’ ‘ chose contentieuse ’», mais il faut bien dire que la polémique demeure aujourd’hui 714 … Dans la Mythistoire, la passation de parole d’un narrateur à l’autre produit également des changements de genre, de sujet et de ton. Fanfreluche commence ainsi un roman de lignée : elle ne se contente pas de rapporter la généalogie de ses parents, mais expose aussi leur rencontre, leur mariage, leur dispute, sa naissance puis fait le récit de ses enfances et de son devenir au couvent. Nous serions ici devant une série médiévale, si le sujet était chevaleresque, et devant Gargantua et Pantagruel à la fois, si les personnages avaient une destinée plus glorieuse. Après avoir inventé sa propre forme de narration dynastique, Des Autels se lance dans un roman d’éducation : Songe-creux rapporte les étapes du parcours intellectuel de Gaudichon. Le traitement des amours des héros sera bâclé, bien sûr, dans le petit chapitre final. Il est intéressant de noter le long commentaire que fait Songe-creux, au milieu du texte, sur le fait que les lecteurs n’auront pas le roman d’amour annoncé. Il défie les ‘«’ ‘ gens chatoüilleux des aureilles ’» de s’en plaindre : s’il n’est ‘«’ ‘ au premier chapitre entr[é] en la matiere ’», c’est que nul ne connaissait qui était sa maîtresse ; il va à présent, ‘«’ ‘ (deuss[ennt-ils] pisser vinaigre) devant que entrer en matiere, [leur] faire sçavoir de l’estat de monsieur [s]on bon maistre le Capitaine Gaudichon »’ ‘ 715 ’ ‘. ’Par conséquent, ici comme dans les Angoysses, la mise en crise de la structure de l’œuvre et de sa catégorisation est montrée avec ostentation par le romancier.

Alors que chez Rabelais, H. de Crenne et Des Autels s’opère une juxtaposition, soit simultanée soit successive, de genres, dans Alector le brouillage catégoriel est tel que le lecteur ne saurait isoler les genres encadrants. Essayons de voir quelles formes spécifiques de composition sont susceptibles de déterminer la structure de l’œuvre. On pourrait penser le roman grec est de celles-là. Or il n’en est rien : hormis pour le cadre antique des aventures et quelques éléments thématiques, Aneau s’inspire peu d’Héliodore ; peut-être les cinq journées de ce chronotope rappellent-elles les cinq livres des Éthiopiques, mais la comparaison s’arrête là. Le genre du récit utopique informe certainement, pour sa part, les derniers chapitres du roman : au fur et à mesure que Franc-Gal évolue dans Orbe, le narrateur omniscient fait un exposé didactique des fonctions des lieux et de l’organisation sociale de la ville. Pourtant, des éléments manquent pour que l’on ait une réécriture exacte de l’Utopia de T. More : si le pouvoir est réparti entre des hommes vertueux  le Potentat et les magistrats  choisis par le peuple et conseillés par le sage Croniel, archiprêtre du temple de Jove, ce qui assure une justice et une morale dans le système politique, les habitants ne travaillent pas, la ville est infestée par le mal et, comble de l’imperfection pour le professeur qu’était Aneau, aucun système scolaire n’est instauré ! Du coup, nous avons affaire à un récit utopique imparfait qui, à la manière de Thélème, a d’abord une visée corrective de la réalité contemporaine 716 . Si un cadre de dialogue est donné à l’ensemble des histoires racontées dans le roman, le père d’Alector et Croniel s’entretiennent en rapportant des histoires de plusieurs natures. Quand il prend en charge les aventures de son fils, Franc-Gal adopte souvent le ton du roman de chevalerie : après son combat contre les loups-cerviers, Alector acquiert un bouclier dans des conditions merveilleuses, puis il tentera sans succès de se faire adouber. Vu la prégnance de la matière chevaleresque, on comprend que la réécriture du roman au XVIIIe siècle par un certain Couchu puisse avoir été rangée par la Bibliothèque des romans dans la section des romans de chevalerie 717 . Pourtant, Alector n’est pas plus un roman d’aventures médiéval ou grec qu’une narration utopique ou un récit de voyage à visée civilisatrice : il est tout cela à la fois. Démultipliant la technique de la juxtaposition des genres adoptée par ses prédécesseurs, Aneau pratique le mélange des thèmes, des formes et des tons dans le mouvement même où il rend délicate l’intelligibilité du schéma narratif d’ensemble de son roman.

Dès lors, les formes d’innovation romanesque de la Renaissance agencent l’hétérogénéité des énoncés englobants qu’elles convoquent dans la perspective d’une mise en cause de l’unité des œuvres. Alors que les théoriciens italiens du romanzo ne sauront pas conceptualiser la mixité autrement qu’en créant un discours théorique hybride, nos auteurs lancent ouvertement un défi à la conception antique de l’ordre des compositions et de l’homogénéité du style. De fait, au lieu de cacher les points de rupture génériques, ils les accentuent ; au lieu d’atténuer les effets de disparate, ils les soulignent. Ils énoncent ainsi indirectement le principe de l’ouverture de leurs textes, de leur inachèvement : laboratoire privilégié de la profusion et de la diversité, le nouveau roman se doit de libérer un discours à proprement parler excentrique, sans chercher à uniformiser la totalité de ses éléments.

Notes
699.

Tiers livre, « Prologue de l’Autheur », pp. 350-351.

700.

Ibid., respectivement chap. 4, 5, 7, 28 et 29.

701.

Avant de décrire le combat, le narrateur fait une invocation à Calliope ; il mentionne ensuite l’épisode de la « conflagration de Troye » ; Panurge racontera aux géants les « fables de Turpin, les exemples de sainct Nicolas, et le conte de la Ciguoigne » (ibid.,respectivement pp. 315, 316 et 317).

702.

Nous reprenons ici une opposition faite par A. Bouchard dans les Grandes croniques de Bretaigne, parues en 1514 : le chroniqueur s’occupe de faits passés, tandis que l’historien relate les événements dont il a été personnellement témoin (voir l’extrait cité par M. Huchon dans la notice de Pantagruel, p. 1214).

703.

C’est ce qui se produit après l’inventaire des ancêtres du géant : « n’estoye de ce temps là pour vous en dire à mon plaisir » (ibid., chap. 1, p. 221).

704.

Gargantua, chap. 3, p. 15. Le narrateur ajoute que de tels prodiges se produisent pour « quelque chef d’œuvre, et personnage que doibve en son temps faire grandes prouesses ».

705.

Tiers livre, « Prologue de l’Autheur », p. 350.

706.

Voici les passages où nous avons relevé une légère référence à la question du mariage de celui-ci : Dindenaut voyant dans Panurge « une belle médaille de Cocu », Pantagruel expliquant au vieux Macrobe qu’ils se sont mis en mer « sus quelques difficultez proposées par quelqu’un de la compaignie », Panurge renonçant, sous l’effet de la peur que lui cause le tir des canons, à se marier et frère Jean moquant la « femme future de Panurge » (Quart livre, respectivement pp. 548, 598, 668 et 693).

707.

Voir les articles suivants : « L’insulaire de Rabelais, ou la fiction en archipel (pour une lecture topographique du Quart livre », in Rabelais en son demi-millénaire, Actes du colloque de Tours, 24-29 septembre 1984, J. Céard et J.-C. Margolin (dir.), in Études rabelaisiennes, 1988, t. XXI, pp. 249-274, et « D’un insulaire en terre ferme : éléments pour une lecture topographique du Cinquiesme livre, ou l’autre monde de Rabelais », Le Cinquiesme Livre, in Études rabelaisiennes, 2001, t. XL, pp. 81-101.

708.

Pantagruel formule bien cette idée quand il s’adresse, en discours indirect, au vieux Macrobe : « Une et seule cause les avoit en mer mis, sçavoir est studieux desir de veoir, apprendre, congnoistre » (Quart livre, p. 598).

709.

Pour cet aspect, voir F. Lestringant, « D’un insulaire en terre ferme… », art. cit. et la notice du Cinquiesme livre, pp. 1603-1604. Selon M. Huchon, l’île de la Quinte renvoie à Brest, celle des Odes à l’estuaire de la Loire, l’île des frères Fredons à l’île d’Oléron, le pays de Lanternois à La Rochelle, tandis que le temple de la Bouteille se situerait à Chinon.

710.

Les Angoysses douloureuses…, partie II, p. 246. Pour un résumé des deux modèles, voir l’introduction de C. de Buzon aux Angoysses, pp. 34-36 ; pour leur rapprochement partiel avec les Angoysses, voir les articles de M. J. Baker, « Fiammetta and the Angoysses douloureuses qui procedent d’amours », Symposium, New-York, Syracuse University Press, vol. XXVII, n° 4, 1973, pp. 303-308 et de M. Campanini Catani, « Le Angoisses douloureuses di Hélisenne de Crenne e il libro del Peregrino di Jacopo Caviceo : due romanzi a confronto », Il Romanzo nella Francia del Rinascimento…, op. cit., pp. 165-178.

711.

Les Angoysses douloureuses…, partie I, p. 220. La mention « Fin du livre » apparaît avant l’adresse finale aux lectrices, qui s’achève cependant sur la formule : « Cy finist la premiere partie des Angoisses D’amours » (p. 223).

712.

Le Roman jusqu’à la Révolution, op. cit., t. I, p. 105.

713.

Les Angoysses douloureuses…, partie III, p. 486.

714.

Ibid., partie III, pp. 501 et 503. G. Reynier aurait souhaité que soit imprimée à part la première partie, autrement dit ce que l’œuvre a de « vraiment moderne » (Le Roman sentimental…, op. cit., p. 122) ; des éditeurs n’ont pas hésité à le faire. Il pressent cependant l’essentiel du fonctionnement des Angoysses quand il y voit un ouvrage « si peu cohérent dans sa composition, où s’expriment tour à tour, sans crainte de s’opposer, toutes les tendances de cette époque ».

715.

Mythistoire barragouyne…, chap. 9, pp. 40-41.

716.

Nous nous inspirons, pour ces conclusions, de deux travaux de B. Biot : « Barthélemy Aneau, lecteur de l’Utopie », Moreana, Angers, vol. 32, n° 121, 1995, pp. 11-28 et « De Lyon à Orbe, ou de l’évocation de réalités lyonnaises à l’expression d’aspirations politiques dans l’œuvre de Barthélemy Aneau », Barthélemy Aneau et le milieu intellectuel lyonnais…, op. cit., pp. 73-91. L’auteur insiste cependant pour dire que la « Corographie » de la ville d’Orbe constitue la première utopie d’architecture urbaine de la littérature française.

717.

Voir à ce sujet l’introduction de M. M. Fontaine à Alector, t. I, pp. XCVI-XCVII.