II - Détermination de l’appartenance sous-générique de nos œuvres

La notion d’hybridation que nous avons montrée à l’œuvre dans nos huit textes est le résultat de la seule expérience esthétique du lecteur  ou plutôt d’un lecteur préoccupé d’histoire littéraire. C’est lui qui, cherchant à déterminer le genre des ouvrages qu’il fréquente, élabore ici l’idée d’un croisement de formes d’écriture disparates. À comparer les textes les uns avec les autres, on ne peut que constater que chacun possède des caractéristiques stables qui la distinguent de ses congénères. Autrement dit, un certain nombre de données convergent vers l’instauration d’un profil thématique, compositionnel et expressif propre à chaque roman. Quelle est la nature de ces traits distinctifs qui permettent de percevoir des sous-catégories au sein du roman nouvelle manière 718  ? Il ne s’agit pas, à coup sûr, d’une forme intercalaire qui impose ses normes à l’œuvre tout entière : nos auteurs recourent précisément à au moins deux types d’énoncés englobants, de manière à brouiller les indices de classement de leurs textes. S’il n’y a pas de domination d’une forme sur une autre, il faut chercher ce que les formalistes russes appellent la « dominante » de l’œuvre dans la co-présence de ressemblances entre ses divers niveaux de fonctionnement 719 . En passant en revue nos romans les uns après les autres, nous travaillerons donc sur ce qui permet à des œuvres bigarrées d’être conçues comme des assemblages de genres qui adhèrent solidement entre eux.

Notes
718.

Il va de soi que, si la distinction entre genre et espèce est acquise au XVIe siècle, la perspective adoptée ici est résolument moderne : puisque les contemporains n’identifient pas la singularité générique de nos œuvres, ils ne peuvent réfléchir à leur classement sous-générique... Selon G. Genette, d’ailleurs, pour pouvoir être parfaitement conceptualisée, cette subdivision suppose une définition à la fois énonciative, formelle et thématique des catégories englobantes, ce qui n’était pas acquis à l’époque (Introduction à l’architexte, op. cit., p. 69). Parmi les espèces qu’a produites le roman au cours des siècles, nous pouvons citer le roman de chevalerie, le roman picaresque, le roman épistolaire, le roman policier, le roman de science-fiction, etc.

719.

Selon Jakobson, dans Huit Questions de poétique, Paris, Seuil, « Point », 1977, « La dominante », pp. 77-85, « la dominante peut se définir comme l’élément focal d’une œuvre d’art : elle gouverne, détermine et transforme les autres éléments. C’est elle qui garantit la cohésion de la structure. La dominante spécifie l’œuvre. ». Pour illustrer son propos, l’auteur définit la fonction esthétique comme dominante de l’œuvre d’art ; pour notre part, nous ne nous attacherons qu’aux faits de style qui donnent une pertinence formelle aux textes.