d - Alector

Comment définir un fil directeur au roman d’Aneau quand une première lecture ne saurait donner du schéma narratif lui-même une vision d’ensemble ? Comment trouver des similitudes entre les genres qui concourent à présenter le destin de Franc-Gal et le devenir chevaleresque de l’» Escuyer errant » Alector ? Comment intégrer, enfin, à l’histoire respective des deux héros la ‘«’ ‘ Corographie ’» de la ville d’Orbe ? Ces questions trouvent une réponse dans l’articulation de deux niveaux dans la destinée respective de Franc-Gal et d’Alector : une dimension personnelle et une portée collective. Le premier ‘«’ ‘ se marie ’» avec Priscaraxe  si tant est que l’on puisse considérer ainsi l’échange d’un anneau , et attend d’elle un enfant ; ses aventures seront scandées par l’apport de nouvelles de Scythie, par la promesse qu’il a faite à la reine de revenir la voir et par la recherche d’Alector. Mais le vieux Macrobe est aussi un des premiers hommes de la terre et son parcours est placé sous le regard d’un Dieu tout-puissant 738 . Après un déluge universel, il civilise les populations qui ont survécu à la montée des eaux et leur inculque les principes sociaux et politiques de la vie en société. Quant à Alector, il semble un temps n’avoir que des préoccupations personnelles : tout en cherchant à retrouver son père, il acquiert de belles armes et en use pour sauver sa vie et celle de son amie. Or le jeune homme accomplit un bienfait civique à la fin du roman en libérant Orbe du serpent, ‘«’ ‘ terrestre ennemi de l’homme’ ‘ 739 ’ ‘ ’». Très précisément, à la suite de sa demande au ‘«’ ‘ Souverain Dieu JOVA ’» de venger la malheureuse Noémie, la flèche meurtrière qu’il lance en l’air va redescendre vers les arènes sous la forme d’un faisceau ardent et faire brûler tout vif Coracton. Du coup, la mise à mort par Alector de la bête malfaisante et du soupirant rejeté réunit finalement les niveaux divin, civil et amoureux. Parallèlement, les bienfaits de Franc-Gal pour l’humanité s’achèvent juste après ses retrouvailles avec son fils : il rend alors son âme à Dieu, qui remonte au ciel en fumée. Du coup, le roman retrace, sur un ton à la fois emphatique et facétieux, la destinée singulière mais à portée collective, voire universelle, de héros d’une même lignée.

Pour clore cette étude, nous pouvons dire que les auteurs déploient toutes sortes de moyens pour éviter d’inscrire leurs œuvres dans un seul genre. Si le nouveau roman se constitue comme le creuset de nombreuses formes, il ne rejoint pas pour autant la catégorie de l’informe. Contrairement aux formules un peu faciles employées parfois pour classer ces textes, il faut considérer ici l’existence d’une stratégie de brouillage de leur classement au sein d’une typologie claire. Celle-ci ne passe pas par une dissolution au sein du roman du contour des genres, mais par l’établissement d’une tension entre des formes encadrantes incompatibles. L’unification de cette diversité formelle peut être opérée par le lecteur s’il prête attention à la récurrence de données thématiques, stylistiques et compositionnelles. C’est à lui de transformer l’hybridation effective des romans en agrégation de formes.

Notes
738.

Sa destinée est présentée dans le mythe d’Anange, raconté par Franc-Gal lui-même : la vie des hommes est comme un cierge, reçu en dépôt « du plus grand Roy de tous les Roys » ; ceux qui ont des conduites honorables vont jusqu’au bout du chemin pour le lui rendre « en son temple » (Alector, chap. 12, p. 84).

739.

Ibid., chap. 23, p. 167. Dès lors, on comprend l’importance de la description utopique de la ville par le narrateur principal : elle donne une dimension abstraite aux hommes pour lesquels Alector va œuvrer.