I - Des paysages fictionnels composites

Si l’on envisage, pour commencer, la seule narration, sans les propos des personnages, le contenu référentiel de nos romans a de quoi surprendre. Il ne semble pas répondre à l’exigence de confomité avec le réel que Platon assigne au poète : les auteurs n’ont pas pour but de copier le monde et si certains éléments peuvent donner l’impression que les textes sont en prise sur l’histoire et la société, il ne s’agit là que d’effets formels  épars, de surcroît. Quant à la notion aristotélicienne de vraisemblance, qui soumet la fiction à des normes d’acceptabilité et d’universalité, il s’avère que les écrivains commencent à y prêter attention, sans en faire encore une norme pour leur création. Faut-il alors rattacher nos œuvres à la catégorie des ficta impossibilia, qui ne sauraient avoir de contact avec le quotidien ni même, par leur évidente fantaisie, être envisagées par l’esprit ? Cette conclusion, là encore, paraît réductrice. Le roman nouvelle manière est un laboratoire privilégié où s’expérimentent les relations de la fiction et du réel ; si la représentation qu’il bâtit n’est ni réaliste, ni possible, ni irrationnelle, c’est qu’elle est tout cela à la fois : des références composites perturbent l’instauration d’un univers imaginaire stable.