1 - Des catégories incompatibles : vrai, vraisemblable, impossible

Plutôt que d’envisager l’imitation poétique en termes d’assujettissement de l’art à la nature, il semble intéressant, pour des types de fiction aussi mensongers que le mythe ou le roman, de considérer autrement que de manière figée les rapports de la littérature et de la réalité empirique. Selon T. Pavel, le rôle d’un auteur est ainsi de créer des mondes possibles qui ont d’autant plus d’attrait qu’ils sont éloignés de celui dans lequel évolue le lecteur 762 . Du coup, la nature  et non la validité  d’un espace-temps fictif doit être évaluée en fonction de sa plus ou moins grande proximité avec la normalité : des individus réels aux êtres non existants, il existe une large palette d’entités qui acquièrent un statut ontologique dans la fiction romanesque. Les catégories du vrai et du vraisemblable elles-mêmes ne sont que provisoires et relatives puisqu’en fonction des époques et des cultures, les modèles du monde quotidien donnés par les œuvres et les schémas mimétiques rendus acceptables par les conventions sociales varient. Voyons donc quels les univers fictionnels nous proposent Rabelais, H. de Crenne, Des Autels et Aneau.

Rappelons, d’abord, en quels termes se pose au XVIe siècle le problème de la représentation romanesque et comment nos auteurs se situent par rapport à celui-ci. Nous avons vu qu’il n’est pas formulé de la même façon en France et en Italie 763 . De l’autre côté des Alpes, si l’on affirme que le romanzo admet la fiction totale, le paradoxe veut que l’on cherche à établir que les textes de l’Arioste puis de B. Tasso, comme les poèmes épiques, transforment le faux en vraisemblable. Giraldi et Pigna prônent l’idée que le caractère incroyable du romanzo est acceptable si le sujet merveilleux appartient à la tradition littéraire  tels les exploits de Roland ou d’Hercule  et si l’organisation d’ensemble des actions et des « digressions » trouve un principe quelconque d’unification  dans le recentrement autour d’un personnage unique, par exemple. On sait les contradictions que cette théorie soulève en elle-même ainsi que le décalage entre les analyses des doctes et les réalisations des auteurs. Le Tasse ira jusqu’au bout de la synthèse entre l’art épico-romanesque et la vraisemblance aristotélicienne ; le XVIIe siècle français reprendra le double impératif de l’adéquation du contenu et de la forme de l’œuvre épique, théâtrale et romanesque aux conventions de l’imitation littéraire, en y ajoutant la compatibilité aux prévisions de la raison et aux bonnes mœurs 764 . Au XVIe siècle, la France ne connaît pas, avant l’Abrégé de l’art poétique français et surtout les préfaces de la Franciade, d’analyse systématique sur le vraisemblable en tant qu’irrationnel institutionnalisé par l’autorité des grands auteurs. Mais les préfaciers de quelques romans traduits réfléchissent de manière précoce aux rapports entre une forme d’écriture particulièrement extravagante et la nécessité pour le poète ‘«’ ‘ d’imiter, inventer, et représenter les choses qui sont, qui peuvent être, ou que les anciens ont estimées comme véritables’ ‘ 765 ’ ‘ ’». La réflexion française sur la référence romanesque prend une orientation différente de celle du romanzo dans la mesure où les rapports du mensonge et de la vérité fictionnelle ne sont pas posés seulement en termes de vraisemblance : l’opposition entre les formes narratives de fiction et la chronique historique conduit moins à des analyses sur l’illusion d’un discours littéraire vrai que sur la cohérence et la logique de l’histoire, d’un côté, et sur l’exemplarité du roman, de l’autre. La première position est assumée par Amyot, qui anticipe les attaques d’érudits comme Baïf, Jodelle et La Noue contre le merveilleux magique des romans de chevalerie. Le traducteur de l’Histoire Æthiopique loue les romanciers capables d’élire un sujet antique, de le traiter sans contrevenir à la vérité historique et de le disposer d’une manière raisonnable et harmonieuse. Si idéal de « verisimilitude » et de convenance il y a sous la plume d’Amyot, il tient au respect du précepte horacien selon lequel ‘«’ ‘ il faut que les choses faintes, pour delecter, soient aprochantes des veritables » ’et de la théorie de l’ordo artificialis qui suppose un agencement méticuleux et sans discordance des parties du récit. Sevin et Gohory, pour leur part, se montrent soucieux du decorum dans le traitement des personnages, mais s’ils assimilent le vraisemblable et le nécessaire, c’est en les comprenant comme une manifestation particulière de l’utile dulci. Dans le discours présentatif des Amadis, est peu envisagé l’effet majeur que la tradition rhétorique attend de la production d’un discours, à savoir la conviction du lecteur : le vrai est déclassé au profit de la recherche d’une correspondance entre la fiction romanesque et un vraisemblable normatif qui, au lieu de se conformer aux attentes du public, élabore précisément l’image d’une société policée dont l’aristocratie a besoin. Du coup, la prise en compte des seules choses « possibles, bonnes et imitables » évacue la réflexion sur la construction d’une fiction plausible ; il ne s’agit pas de faire vrai ou de créer l’illusion du vrai, mais d’élaborer une convention sociale, de faire de l’univers imaginaire des Amadis un schéma culturel pour certains lecteurs. Comment les auteurs de nouveaux romans se positionnent-ils par rapport à ces conceptions de la référence de la fiction romanesque qui s’élaborent à partir de la fin des années 1540 ? Rabelais, Des Autels et Aneau expriment leur point de vue à ce sujet dans leurs manipulations lexicales autour de la notion d’histoire fabuleuse. Mais il est bien sommaire : sans prendre en compte la question de la transformation du faux en vraisemblable, ils soutiennent de concert que l’objet du roman n’est pas plus la véracité que l’édification. Comme Gohory, qui a suivi en partie Rabelais dans sa théorie, ils partent de l’idée que la tentative d’établir des rapports entre l’histoire et la poésie est vaine et que le roman a pour champ d’exercice le mensonge. Des trois termes de la Rhétorique à Herennius, à savoir la fabula, qui repose sur des choses ni vraies ni vraisemblables, l’historia, qui traite de faits réels mais éloignés de notre mémoire, et l’argumentum, qui porte sur des événements fictifs mais qui auraient pu se produire, nos écrivains, à la différence des théoriciens classiques, élisent, dans le sillage de Lucien ou de Macrobe, les deux premiers pour les opposer : le roman nouvelle manière prend le contre-pied de l’histoire et s’installe dans la fiction totale de la fable. Nous avons vu comment le modèle de la chronique pseudo-historique sert de repoussoir à la poétique romanesque dans Pantagruel, Gargantua et la Mythistoire et comment les narrateurs de ces récits se gaussent de la prétention des historiens à la véracité événementielle. Pour prendre un point de comparaison parmi les genres narratifs non codifiés de la Renaissance, le programme mimétique du roman se situe ainsi aux antipodes de celui de la nouvelle, qui recherche la vraisemblance pour produire la conviction du lecteur. Il est intéressant de remarquer que le Grand Siècle se souviendra de l’histoire fabuleuse, précisément pour la condamner comme une forme de récit surannée. On peut estimer, de fait, qu’Huet fait allusion à ce genre particulier quand il déclare, après avoir opposé le romancier et l’historien et avant de le confronter au fabuliste :

‘J’exclus aussi du nombre des Romans de certaines histoires entierement controuvées et dans le tout et dans les parties, mais inventées seulement au défaut de la verité. […] Je mets la mesme difference entre les Romans, et ces sortes d’ouvrages, qu’entre ceux qui par un artifice innocent se travestissent et se masquent pour se divertir en divertissant les autres ; et ces scelerats qui prenant le nom et l’habit de gens morts ou absens, usurpent leur bien à la faveur de quelque ressemblance. Enfin je mets aussi les Fables hors de mon sujet : car les Romans sont des fictions de choses qui ont pû estre, et qui n’ont point esté : et les fables sont des fictions de choses qui n’ont point esté, et n’ont pû estre 766 .’

Le théoricien classique brise ici le bel équilibre qu’ont trouvé les humanistes : le roman se trouve distingué de l’histoire fabuleuse, elle-même ravalée au statut de masque grotesque et grimaçant de la réalité. La « vraysemblance » est devenue un concept noble, dont il faut à présent bannir toutes les formes d’extravagance. Ce faisant, Huet met un terme au concept d’» histoire fabuleuse », par lequel les romanciers de la Renaissance ont réussi à établir que l’engendrement de la fiction n’est pas asservi à l’imitation de la nature et de la vérité.

En pratique, le roman se plaît à inventer des objets fictifs de toutes natures, soit qui appartiennent au réel, soit qui sont envisageables par l’esprit malgré leur évidente contradiction avec les lois naturelles, soit qui relèvent également de l’impossible mais que l’on ne veut nullement rendre acceptables par le lecteur. Pour éclaircir la présence de ces trois aspects dans nos texte, confrontons-nous à quelques indices fictionnels qu’ils soumettent à l’esprit de tout un chacun. Chez Rabelais, la fiction puise allègrement dans l’histoire et la géographie contemporaine 767 . L’espace-temps du Chinonais sert ainsi de cadre à la guerre picrocholine ; dans le Tiers livre, la mise en scène des figures d’Agrippa et de Rondelet, sous des noms approximatifs, crée une complicité certaine entre l’auteur et le public au fait de l’actualité scientifique et médicale du temps ; les descriptions du caméléon et de la baleine font état des connaissances de la Renaissance en matière de zoologie. Or les références à l’actualité contemporaine sont amenées à basculer dans l’univers fictionnel : le déplacement de Pantagruel et de ses compagnons de Paris au non-lieu d’Utopie suit la route traditionnelle de l’Inde puis se perd sur les rivages de pays imaginaires ; de même, le trajet de la navigation du Quart livre, quoique reprenant à son début les points de repères cosmographiques d’explorateurs tels J. Cartier et J. Alphonse, accumule vite des précisions ambiguës et fait hésiter entre un périple vers l’ouest et un voyage vers l’est 768 . Un degré supérieur d’invraisemblance est atteint dans les romans rabelaisiens par la mention d’éléments dont l’identification avec une quelconque réalité empirique est impossible 769 . Il s’agit d’abord d’êtres chimériques que l’auteur du Quart et du Cinquiesme livre se plaît à placer sur le parcours de la Thalamège : des trois « Unicornes » de l’île de Médamothi aux gens de l’île de Ruach, qui se repaissent d’air, en passant par Bringuenarilles, avaleur de moulins à vent, et les andouilles belliqueuses, le merveilleux populaire est convoqué, comme il l’était déjà dans le Disciple de Pantagruel. L’accent est mis à ce niveau sur l’étrangeté d’un règne humain et animal dont les lois font concurrence au régime de l’habituel ; la fantaisie veut ici séduire les amateurs d’histoires mythiques ou de contes de grand-mère...Mais il est des entités romanesques qui s’éloignent délibérément de l’imaginaire instauré par une longue tradition narrative pour rejoindre le monde de l’abstrait. Il s’agit, par exemple, de toiles achetées à Médamothi qui représentent les Idées de Platon, les Atomes d’Épicure et l’écho ; des habitants d’Ennasin dont les noms et la parenté sont déterminés par des rapprochements lexicaux  tel procès est souvent sur tel bureau, tel œuf dans telle omelette, etc.  et par le défigement d’expressions lexicalisées  un pois et une gousse font un pois en gousse, une corne et une muse font une cornemuse, etc. ; d’îles qui s’organisent en couples par un effet de paronomase sur leur appellatif ; ou des poissons d’avril et autres bêtes à deux dos de l’île de Frise 770 . Quant aux êtres contre-nature qui personnifient un vice moral, tels Carêmeprenant, Grippe-minaud et Ouï-dire, allégories respectives du jeûne, de la justice corrompue et de la médisance, tout en relevant de l’abstraction, ils sont déjà présents dans la littérature médiévale ; la Quinte-essence, pour sa part, est une figure nouvelle qui matérialise la substance impalpable que cherchent inlassablement à isoler les praticiens des sciences occultes. En ce cas, l’extraordinaire recule devant la valeur symbolique d’entités signifiantes qui, avant de posséder une unité visible pour l’œil, se présentent comme des signes à décrypter. Nous pouvons donc distinguer les chimères qui participent d’un ordre naturel duquel l’homme n’est pas familier, d’un côté, et les realia produites par des manipulations linguistiques ainsi que, quoique sur un plan un peu différent, les manifestations figurées de mœurs intellectuelles ou morales, de l’autre : au merveilleux, défini comme un surnaturel accepté en tant que tel par le lecteur, s’oppose l’essence abstraite d’idées incarnées, que le narrateur cherche rarement à animer d’une vie propre. Si l’on retrouve un peu ici la dichotomie entre les catégories du vraisemblable et de l’impossible, il faut surtout constater que chaque classe d’objets fictifs rabelaisienne renvoie à un univers ayant un fonctionnement spécifique et qu’elle appelle des modalités particulières de lecture. Chez nul autre de nos romanciers les ficta impossibilia n’atteignent ce degré de décalage avec le réel, pas même le cheval de mer Durat que dompte Franc-Gal. Il est plutôt le produit d’un mélange entre des éléments communs et des éléments exotiques, en l’occurrence le castor, la loutre, le dauphin et l’hippopotame 771 . D’un animal habile à la nage, Aneau fait un commode véhicule amphibie  après l’avoir domestiqué, le père d’Alector lui a planté des ailes dans le dos et l’a doté d’une armure ; pourvu de nombreuses pattes, il a pour manière privilégiée de déplacement la course au ras de l’eau. Son caractère colérique et son unique prise de parole ne lui donnent pas un caractère humain : Durat appartient exactement à l’univers du merveilleux populaire. En somme, on peut inventer une matière neuve et lui donner un caractère traditionnel, comme on peut reprendre des données léguées par des normes littéraires ou sociales antérieures et leur conférer une unité nouvelle. C’est ce qui se produit pour bon nombre de personnages principaux de nos romans : si la plupart des protagonistes secondaires sont des types figés  le mari jaloux d’Hélisenne, sa belle-sœur la dame « maldisante », l’usurier Mammon, le valet de comédie Olophor, le théologien Janotus de Bragmardo, le mauvais prince Picrochole, frère Gribouille et les sœurs paillardes du couvent de Fanfreluche , il est clair qu’Hélisenne, Guénélic, Alector, Franc-Gal, Pantagruel, Gargantua, Panurge, frère Jean, Fanfreluche et Gaudichon subissent un processus d’individuation au cours du récit 772 . De fait, ils ne se réduisent pas à incarner la mélancolie amoureuse, la sagesse des fondateurs de civilisation ou des libérateurs de cité, le stoïcisme et le platonisme antiques, la ruse populaire, la débauche monacale ou la trivialité sexuelle ; n’étant qu’en partie dotés d’une « épaisseur psychologique », ils voient leurs qualités abstraites s’enrichir de caractéristiques singularisantes et finissent par échapper à l’abstraction mécanique du type. Voilà confirmée, au niveau de la présentation des héros et de leurs acolytes, l’idée que la distance que les matériaux fictionnels entretiennent avec le ‘«’ ‘ paysage ontologique’ ‘ 773 ’ ‘ » ’de la Renaissance dépend de la capacité créatrice des auteurs. Par rapport aux pratiques référentielles de la prose didactique et aux schémas conventionnels de la littérature chevaleresque, les nouveaux romanciers font preuve d’innovation dans la mise en œuvre d’objets de discours pour lesquels l’axiome d’existence est à établir par le public. Qu’ils reprennent des codes anciens de la production fictionnelle ou qu’ils bâtissent de toutes pièces des monstres extravagants, ils font preuve d’originalité dans la construction d’objets fictifs variés et en appelant le lecteur à coopérer à la mimèsis fictionnelle.

Si nos auteurs ne souscrivent pas à la notion de poésie romanesque vraisemblable et s’ils postulent la liberté complète de l’écrivain en matière d’invention, ils maîtrisent à la perfection le degré de rapprochement ou d’éloignement des possibles fictionnels par rapport au réel. En ce sens, ils vont plus loin que les théoriciens contemporains du mensonge et de la vérité des romans d’aventures grec ou espagnol : tout en réfléchissant aux catégories du vrai, du vraisemblable et de l’impossible, ils montrent qu’elles sont insuffisantes pour cerner la complexité des rapports entre le monde réel et les mondes de la fiction. Ils illustrent plutôt les analyses des philosophes scolastiques sur la supposition logique, tout en montrant que des univers imaginaires distincts peuvent cohabiter dans la même œuvre. Ils appliquent finalement à la lettre l’aphorisme d’Horace qui enjoint de mêler le vrai et le faux, à ceci près qu’ils s’autorisent une licence infinie dans leur activité de production mimétique.

Notes
762.

Voir son ouvrage de référence : L’Univers de la fiction, T. Pavel (trad.), Paris, Seuil, « Poétique », 1988 [1ère éd. Cambridge (Massachusetts), 1986]. L’idée d’un remplacement de la réalité une et indivisible par une multiplicité de versions également valides du monde se trouve aussi exposée dans l’Art de l’éloignement. Essai sur l’imagination classique, Paris, Gallimard, « Folio/essais », 1996, en particulier pp. 316-317. L’auteur s’élève contre une approche formaliste de la référence fictionnelle, défendue par les linguistes russes et par les structuralistes français, et milite en faveur de la pluralité des relations entre le monde réel et les mondes des œuvres imaginaires.

763.

Nous allons résumer les conclusions de notre première partie au chapitre 2, pp. 120-121, 124, 126-129, 126-129 et 148-153 et au chapitre 4, pp. 248-251, 254-256, 264-265, 272-275 et 281.

764.

Pour une étude de l’influence du Tasse sur les théories classiques de la fiction romanesque et du dévoiement foncier de la Poétique par la définition d’enjeux pragmatiques au vraisemblable, voir l’article d’E. Bury intitulé « À la recherche d’un genre perdu : le roman et les poéticiens du XVIIe siècle », in Perspectives de la recherche sur le genre narratif français du XVII e siècle, Actes du colloque de Padoue, 1-3 octobre 1998, Slatkine, 2000, pp. 9-33, en particulier pp. 21 et 28.

765.

Abrégé de l’art poétique français, op. cit., p. 472.

766.

Lettre à M. de Segrais de l’Origine des Romans, op. cit., pp. 150-151.

767.

Pour les allusions historiques présentes an arière-plan des épisodes romanesques, voir M. Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, A. Robel (trad.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées », 1970 [1ère éd. Moscou], essentiellement pp. 433-450.

768.

Voir, pour ces deux glissements, Gargantua, chap. 24, p. 301 et la notice du Quart livre, pp. 1458-1460.

769.

L’étude qui suit, portant sur ce que la seconde scolastique appelle les entia rationis, s’inspire de deux articles de M.-L. Demonet-Launay : « L’essence du Quint Livre », in Le Cinquiesme Livre, op. cit., pp. 227-241, et « Les mondes possibles des romans renaissants », in Le Renouveau d’un genre…, op. cit. L’auteur montre qu’au début du XVIe siècle la catégorie des êtres inexistants mais ayant une réalité pour la raison est en passe d’acquérir un statut logique ; la métaphysique est, en somme, en train d’élaborer la théorie des mondes possibles. Pour les besoins de notre perspective, nous ajouterons à ce travail une distinction au sein des possibles non réalisés.

770.

Quart livre, chap. 2, p. 541 ; chap. 9, pp. 556-560 ; chap. 17, p. 581 ; et Cinquiesme livre, chap. 29, p. 802. Notons que la Briefve declaration glose le nom « Idées » par « Especes et formes invisibles » et le terme « Atomes » par « Corps petitz et indivisibles » (p. 706). Bien sûr,des dissociations d’expressions proverbiales et des jeux de mots rendant le réel maniable sous la plasticité du langage sont présents à d’autres endroits de l’œuvre de Rabelais (voir en particulier Pantagruel, chap. 31, p. 328 et Gargantua, chap. 11, pp. 33-35).

771.

Pour la description zoologique de Durat par Franc-Gal, voir Alector, chap. 14, p. 89.

772.

Dans « Les quatre Apostoles : échos de la poétique érasmienne chez Rabelais et Dürer », Revue d’Histoire Littéraire de la France , n° 6, 1995, pp. 887-905, J. Lecointe fait la démonstration pour les personnages rabelaisiens. Ils échappent par moments à l’emprise du decorum personae horacien pour être caractérisés individuellement ; ils deviennent des êtres protéiformes et inépuisables, qui possèdent une présence sur la scène de l’écriture et qui, malgré des ruptures de la cohérence dans l’évolution du récit, sont accessibles à une certaine forme de rationalité. Sans probablement avoir en tête Alector et la Mythistoire, A. Lorian fait remarquer avec justesse qu’hormis Du Fail, ce sont Rabelais et H. de Crenne qui, parmi les conteurs de la Renaissance, parviennent le mieux à singulariser leurs personnages (Tendances stylistiques…, op. cit., p. 32) :

La matière traitée dans les contes, les nouvelles et les romans du XVIe siècle suit en général la tradition et ménage peu de surprises au lecteur tant soit peu familier avec la littérature des époques antérieures. […] Combien de protagonistes viables, non conventionnels, reste-t-il de cette immense littérature ? Combien qui soient autre chose que fantoches, abstractions et thèses ? Aucun, si on laisse de côté Panurge et quelques personnages rabelaisiens épisodiques, dont Frère Jean des Entommeures ; peut-être aussi, sauvés de l’oubli total par leur sincérité, l’Eutrapel de Noël du Fail et l’Hélisenne de Marguerite Briet.
773.

L’Univers de la fiction, op. cit., p. 176. Pavel entend par là les capacités imaginatives d’une société en fonction de la réalité empirique à une époque donnée.