III - Les deux veines romanesques du corpus

Notre étude sur l’imitation a cherché jusqu’à présent à soulever des questions délicates et à y apporter les réponses suggérées par le fonctionnement des œuvres. Nous voudrions ici, sinon systématiser, du moins approfondir l’idée que les mécanismes de production d’images de langages ne convergent que jusqu’à un certain point au sein de notre corpus de romans. Pour ce faire, nous choisissons pour critères distinctifs la typologie des langages imités, leur portée référentielle et la diversité des champs du réel qu’ils prennent en charge. Ce genre d’ancrage stylistique évite les aléas des partis pris et des antithèses rapides, ce à quoi n’a pas échappé la seule classification des romans de la Renaissance que nous connaissons 819 . Forte de nos analyses antérieures, nous présenterons à grands traits deux tendances au sein de la poétique romanesque des années 1530 à 1560 : selon que le plurilinguisme et l’ouverture sur le monde seront réalisés de manière plus ou moins poussée, nous parlerons de « copia restreinte » ou de « copia étendue ». Les deux types de romans seront confrontés selon leur mise en œuvre des principes de l’imitation de discours et de la représentation du réel, en somme du double point de vue de l’imitatio et de la mimèsis.

Notes
819.

Il s’agit de celle d’A. Lorian, dans l’article cité en introduction : « Vieux roman, roman nouveau et anti-roman à la Renaissance ». Le spécialiste du style de la prose narrative eu XVIe siècle propose la répartition suivante pour des romans publiés entre 1450 et 1560 : dans les « vieux romans », il range Saintré, Jehan de Paris, Amadis et Alector ; il définit le roman sentimental comme le « roman nouveau » et y rattache pêle-mêle la première partie des Angoysses, Daphnis et Chloé et l’Amant resuscité ─ quoiqu’il s’apparente encore assez sensiblement, selon lui, au roman d’aventures ; quant au « roman satirique et philosophique » ou « anti-roman », il le voit réalisé dans les œuvres de Rabelais et la Mythistoire. Bien que les analyses restent valables dans leurs grands traits, ce classement souffre du défaut de l’anachronisme : si la fin du siècle va faire du récit sentimental un sous-genre de prédilection pour le roman, à l’époque qui nous concerne, il est par bien des aspects moins innovant que les Livres rabelaisiens. De plus, le critique admet lui-même que des « cas-limites » invalident en partie sa catégorisation.