I - Brouillage de l’instance d’écriture

Selon Benvéniste, ‘«’ ‘ est ‘ego’ celui qui ’ ‘dit ’ ‘‘ego’’ ‘ 826 ’ ‘ ’». Cela signifie qu’avant de renvoyer à un sujet historique ou psychologique, la prise de parole à la première personne donne un statut linguistique au locuteur ; un tel acte énonciatif suppose un destinataire du propos, qui ne désigne pas non plus un individu. Cette idée selon laquelle les pronoms je et tu échappent au fonctionnement de « tous les autres signes du langage » trouve une application saisissante dans les nouveaux romans de la Renaissance : ces récits ont la particularité d’être écrits, tout ou partiellement, à la première personne. Mais au lieu d’une maîtrise de la narration par le porte-parole officiel de l’auteur, s’y produit un brouillage entre l’instance de production du texte, celles qui rapportent la diégèse et celles à qui on délègue la parole au sein de l’histoire. Du coup, les propos auctoriaux se voient concurrencés par ceux de locuteurs de tous ordres ; le lecteur ne peut que ressentir un trouble face à cette interférence entre les éléments de subjectivité. Nous tenterons de mettre en lumière les effets du refus de la narration univocale en nous demandant non pas à qui je se réfère, mais quels sont ceux qui disent je dans nos romans.

Notes
826.

Formule extraite du chapitre intitulé « De la subjectivité dans le langage », in Problèmes de linguistique générale, 2 t., Paris, Gallimard, « Tel », t. I, pp. 258-266 et ici p. 260.