II - L’art de la glose romanesque : présence diffuse d’une posture critique

L’originalité de la pratique du romancier réside à la fois dans la représentation de discours doués d’une visée idéologique et dans la distanciation de l’intentionnalité de chacun d’eux. Nous avons montré la réalisation de ce double mouvement dans le Premier livre de Amadis, où s’élabore un modèle de vie pour la société aristocratique en même temps qu’est montré ce qu’il a d’artificiel 858 . Mais les moyens mis en œuvre par nos auteurs pour représenter un langage, l’interpréter et, ce faisant, nuancer sa perspective sont plus variés que ceux d’Herberay. Nous allons ainsi exposer trois types de rapports entre imitation et commentaire, en somme les grands principes de fonctionnement de la glose romanesque : le premier, reposant sur un rendu objectif du discours, ne fait pas résonner la voix du locuteur dernier dans l’unité langagière, mais à l’extérieur de celle-ci ; les deux autres, où le caractère subjectif de la représentation est d’emblée sensible, laissent plus ou moins de marge au lecteur pour déterminer les intentions de l’auteur par rapport à l’énoncé. Pour mesurer la diversité des degrés de manifestation d’une conscience qui évalue les « limites 859  » du discours étranger, nous allons passer en revue les cas que nous avons dégagés : imitation fidèle et retrait maximal de la voix de l’auteur, infléchissement d’intention et absence de netteté du projet du second énonciateur puis franche distanciation et limpidité relative de la position axiologique de celui-ci.

Notes
858.

Voir partie I, chapitre 3, pp. 218-221.

859.

Selon Bakhtine, créer une image verbale suppose de révéler « non seulement la réalité, mais les virtualités du langage donné, ses limites idéales, si l’on peut dire, son sens total, cohérent, sa vérité et sa limitation » (Esthétique et théorie…, op. cit., p. 173).