III - Structure narrative et cadre herméneutique : divers niveaux d’interférence

Après le brouillage de l’instance d’écriture et l’interaction conflictuelle entre diverses voix, un second mécanisme vient perturber l’interprétation des nouveaux romans de la Renaissance : à la différence des traducteurs d’Amadis, qui tentent de plaquer artificiellement un sens à la fois extérieur et étranger sur l’histoire rapportée, Rabelais, H. de Crenne, Des Autels et Aneau jugent nécessaire la transformation du modèle herméneutique médiéval. Pour brouiller le symbolisme des aventures, ils choisissent d’agir sur l’axe horizontal de l’action et déforment par toutes sortes de variations la ligne narrative traditionnelle. Du coup, pour eux, le mythos ne consiste pas en la mise en ordre du réel, mais en la restitution du chaos du monde. Cette proximité entre le travail de l’agencement du tissu narratif et celui de la portée métaphysique ou morale des romans transparaît, d’abord, au niveau des consignes de lecture fournies par leur métadiscours : soit celles-ci déconstruisent d’emblée les méthodes d’exégèse des textes sacrés et profanes, soit elles s’y soumettent mais le mouvement de la fiction a tôt fait de les contredire. L’extrême concertation dont font preuve nos auteurs dans l’organisation du récit se manifeste également dans leur manière de ménager le suspens : ils procèdent à des interruptions contrôlées de l’avancée de l’histoire qui agissent comme un catalyseur important de la désorientation interprétative du lecteur.