I - Le Moyen de parvenir : du dialogue des langages au galimatias

Homme de lettres et homme de guerre, Béroalde de Verville a été formé à l’école de l’encyclopédisme, comme l’atteste l’ampleur et la diversité de sa production écrite : du traité scientifique au discours politique ou moral en passant par la poésie didactique, philosophique ou lyrique et le roman d’aventures, sentimental ou d’analyse, il s’est essayé à tous les genres. Qu’il a lu et assimilé la poétique des romans de la Renaissance, c’est ce dont nous assure l’utilisation qu’il fait de leur métalangage. Jouant sur les rapports entre les substantifs histoire, fable et vérité, il définit ainsi les Avantures de Floride, son premier roman, comme une ‘«’ ‘ Histoire fabuleuse, ou fable historiée ’» et intitule le Voyage des Princes Fortunez ‘«’ ‘ Histoire véritable »’ ‘ 1105 ’ ‘. ’Seulement, l’évolution de sa production traduit une défiance progressive vis-à-vis du savoir, qui trouve sa manifestation la plus aboutie dans le Moyen de parvenir. Étant le « le centre de tous les livres », le texte est indifféremment appelé « cet œuvre », « ce volume », « cet ouvrage », « ce livre », « ce bel objet » ou « ces saints mémoires de perfection ». Il ne contient pas, comme les Livres de Rabelais, des langages clairement identifiés, mais des commentaires d’ouvrages : il se constitue comme ‘«’ ‘ une bonne revisitation de textes, paraphrases, commentaires, métaphrases, homélies, annotations, notes, adversaires, lectures, leçons et autres telles négoces et inventions de gloses interlignes et pedantines’ ‘ 1106 ’ ‘ ’». La glose livresque, plutôt que le discours des autres, envahit à tel point l’œuvre que l’auteur risque à tout moment de perdre le contrôle de la prolifération verbale. Cette accumulation de prises de paroles hétérogènes est-elle contenue par leur mise en dialogue savante, ce qui inviterait à faire entrer l’œuvre dans la catégorie du roman humaniste, ou bien le pot-pourri d’éléments pris çà et là confine-t-il au galimatias, c’est-à-dire à la confusion et à l’énigme ? Autrement dit, l’éparpillement des énoncés est-il provisoire ou définitif dans le Moyen de parvenir ?

Notes
1105.

Les advantures de Floride, Rouen, R. du Petit Val, 1601, partie I, « Avertissement », non paginé et L’Histoire véritable ou le Voyage des Princes Fortunez, Paris, C. de la Tour, 1610. Nous remercions G. Polizzi de nous avoir indiqué ces variations sur les expressions veritable histoire et histoire fabuleuse. Verville infléchit sciemment la définition que ses prédécesseurs leur ont donnée : le contexte de la première occurrence insiste sur l’absence totale de vérité événementielle de l’œuvre, « retirée de l’artifice de [l’]esprit » de l’auteur, au profit d’un sens supérieur, tandis que l’» Advis aux beaux esprits » revendique, au contraire, le caractère d’» Historien » du narrateur-personnage, qui s’estime moins menteur en racontant sa vie que ne le sont ceux qui rapportent les faits des grands hommes.

1106.

Le Moyen de parvenir, op. cit., chap. 12, p. 30.