1. Problèmes définitoires

C’est dans la perspective de description du quotidien précédemment évoquée que la question des interactions de commerce et des interactions de service s’insère. Mais quel fondement donner à cette étude comparative ? Par définition, le but de la comparaison est de chercher les différences et les ressemblances de deux ou plusieurs objets. Si intuitivement, il est possible pour tout un chacun de percevoir une différence entre « commerce » et « service », il reste beaucoup plus délicat, voire difficile de l’expliciter. La différence se fonde tout d’abord sur le fait qu’il y a deux mots à notre disposition dans la langue française. Pour le commun des mortels, cette différence recoupe la plupart du temps les dichotomies public/privé – tout ce qui touche au commerce relèverait du privé alors que les services sont assimilés au public – et/ou la nécessité ou non d’une compensation financière. Si elles s’avèrent utiles dans certains cas, ces dichotomies ne sont d’aucune utilité dans certains autres. De prime abord, il semblerait que l’on n’ait pas affaire à deux types d’interaction distincts mais à un seul type présentant un script relativement similaire (Dumas, 2000a), le script étant défini par Schank et Abelson comme une suite d’actions qui s’enchaînent de manière prédéterminée :

‘A script is a structure that describes appropriate sequences of events in a particular context. A script is made up of slots and requirements about what can fill those slots. The structure is an interconnected whole, and what is in one slot affects what can be in another. […] Thus, a script is a predetermined stereotyped sequence of actions that defines a well-known situation (1977 : 41).’

Il faut donc se résoudre à envisager l’hypothèse selon laquelle la différence ne se situe pas au niveau interactionnel. La question se pose alors de savoir à quel niveau situer cette différence.

Ce qui fait d’un emplacement quelconque un endroit propice aux activités de type « commerce » ou « service », ce sont avant tout la disposition interne du lieu ainsi que les personnes qui s’y trouvent. Deux catégories d’individus distinctes doivent être différenciées : les individus qui se trouvent en permanence dans ce lieu, les commerçants et agents, et les individus que l’on peut dire « de passage » dans la mesure où ils n’y demeurent qu’un laps de temps contraint, les clients et usagers. Une première différence apparaît : pour les premiers, il s’agit d’un lieu de travail. De plus, la dichotomie public/privé permettant de caractériser un lieu de commerce ou de service s’applique également aux individus exerçant leur profession sur ce lieu.

Les détours effectués dans d’autres champs disciplinaires ne se sont pas montrés très fructueux pour aider à différencier les commerces et les services.

Dans le droit français, il est évident que les définitions et notions apportées clarifient certains points, mais il subsiste néanmoins une impression qui fait que l’on a l’air de « tourner autour du pot » : malgré les apports non négligeables sur les activités de commerce et de service, celles-ci ne sont jamais définies en des termes précis permettant de fixer les choses de manière définitive. Par exemple, le service public est appréhendé à partir de la présence ou de l’absence d’un certain nombre d’éléments, quand les activités commerciales se définissent par les personnes et le type d’activité qu’elles exercent. Il est difficile, dans ces conditions, de parvenir à une comparaison satisfaisante de ces notions dans le droit français.

Quelques points peuvent cependant être retenus car ils permettent d’avancer en direction d’une possible distinction. La notion de service ne concerne que les services publics, c’est-à-dire ceux que l’État a choisi de satisfaire lui-même. Ce qui les distingue des services « privés » assurés par des particuliers car l’État n’a pas choisi de les satisfaire lui-même, c’est moins la notion d’intérêt général que l’obligation de rentabilité. Un service public n’a pas besoin d’être rentable pour continuer à fonctionner : il est généralement financé par les impôts et n’a pas pour mission principale de dégager un profit des services rendus. Il dispose, par ailleurs, d’un monopole qui ne le soumet généralement pas à la concurrence, principalement parce qu’il n’existe pas de concurrent. De la notion de commerce, on peut retenir les éléments inverses : toute activité commerciale est soumise à une obligation de rentabilité – sous peine de faillite – ainsi qu’à une libre concurrence. La catégorie des activités commerciales semble relativement large et compte deux cas particuliers d’activités commerciales : les services « privés » et l’artisanat.

Plutôt que de chercher à tout prix à isoler les paramètres permettant distinguer commerces et services, les théories du marketing et de la mercantique les regroupent en s’appuyant sur la théorie des besoins du psychologue Maslow (1972 et 1976), puisque,

‘dans ce domaine, tout commence par des besoins. Réels ou supposés, primaires ou secondaires, « naturels » ou créés de toutes pièces, ils sont la locomotive, le nerf de la guerre des échanges (Fouilhé, 1966 : 17, souligné par l’auteur).’

Cette notion de besoin aplanissant la différence entre commerces et services semble intéressante : en leur donnant une raison d’être commune, elle justifie la démarche de différenciation entreprise ici. Les différences sont cependant à rechercher ailleurs que dans les théories du marketing et de la mercantique.