2. Les critères distinctifs
De nombreux axes de classement permettant d’organiser les interactions de commerce et de service apparaissent.
- L’objet de la transaction : je ne reviendrai pas sur la différence entre bien et activité largement abordée précédemment, et ne tenterai pas non plus de dresser une liste des objets-biens ou des objets-activités qui peuvent aller de l’information à la vente en passant par la prévention, le conseil ou la mise à disposition.
- La durée : alors que certaines interactions de commerce et de service peuvent aboutir en quelques secondes (acheter un paquet de cigarettes, ou un timbre, etc.), d’autres peuvent s’étendre sur plusieurs dizaines de minutes (souscrire un plan épargne logement, faire l’acquisition d’une voiture, etc.).
- La fréquence : en fonction du type d’interactions de commerce ou de service considéré, la fréquence peut varier et les interactants peuvent se rencontrer de manière journalière (acheter son journal) ou occasionnelle (acquitter une contravention).
- La rémunération : les biens acquis au cours d’une interaction de commerce nécessitent une compensation financière de manière systématique. En revanche, seules certaines activités donnent lieu à rémunération.
- L’attitude du commerçant ou de l’agent (Quatrebarbes, 1996 : 231) : de sa rencontre avec un commerçant ou un agent, le client ou l’usager attend normalement amabilité, écoute, attention, prise en compte de sa demande et de son contexte, compétence, etc. Derrière les premiers mots qu’il prononce peut se déceler une attitude que les psychologues appellent l’empathie.
‘L’empathie est la capacité à participer au sentiment de l’autre, à rendre la relation positive et constructive. Cette capacité est souvent perçue à travers le visage de l’employé avant d’être ressentie dans son comportement. Des études montrent que cette empathie est plus importante dans la perception que l’usager a de son interlocuteur que sa présentation physique ou l’argumentaire, et qu’elle est un facteur déterminant de crédibilité et de perception de la compétence (
ibid., 233).’
Si le client ou l’usager détecte de l’empathie chez le commerçant ou l’agent, leur relation plus ou moins forcée peut prendre un tour plus personnel et devenir amicale.
- La relation : de la fréquence des rencontres ainsi que de la présence ou l’absence d’empathie peut naître ou non une relation sociale et amicale entre les participants
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- L’initiateur : il peut s’agir du client ou de l’usager (vêtements, nourriture, démarche administrative, etc.), du commerçant ou de l’agent (impôts, justice, vente par correspondance, etc.), ou d’un tiers (police, pompiers, etc.)
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- La localisation de l’interaction : trois configurations sont possibles en fonction du participant qui maîtrise ou non l’espace :
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- les points d’accueil ou de vente avantageant le commerçant ou l’agent (bureau de poste, banque, mairie, boulangerie, etc.) ;
- au domicile du client ou de l’usager avec un avantage pour celui-ci (assistante sociale, facteur, démarcheur à domicile, etc.) ;
- le lieu public mettant tous les participants sur un pied d’égalité (le policier dans la rue, l’agent de travaux publics sur la route, etc.).
- Le support du contact : l’interaction peut être basée sur un contact physique impliquant ou non un face à face, mais aussi sur un contact téléphonique ou épistolaire.
- L’usage de la politesse : Kong (1998) distingue quatre types différents d’interactions commerciales en fonction de l’usage égalitaire ou décalé que font les participants des règles de politesse sur un site particulier :
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- les gatekeeping encounters : le client ou l’usager fait un emploi massif de formules de politesse quand le commerçant ou l’agent en utilise peu, voire pas du tout ;
- les casual sales service encounters : ce type d’interaction est marqué par une différence de pouvoir, mais un souhait commun de continuité de la relation;
- les solidarity encounters : le commerçant ou l’agent initie un discours amical. Le client ou l’usager participe à la construction de ce discours amical. Dans ce type d’interaction, tous les participants tirent profit d’un bon rapport et de stratégies de politesse réciproques ;
- les network marketing encounters between friends. Il s’agit d’une forme populaire d’interactions au Japon au sein de laquelle les distributeurs de produits sont les consommateurs eux-mêmes. Dans le but de toucher une commission, ils revendent les produits à leur cercle d’amis. Dans ce type d’interaction, les différences de pouvoir sont quasi-inexistantes car les participants sont amis. La différence fondamentale réside dans les espérances mutuelles de continuité de la relation.
Les critères distinctifs permettant l’identification des interactions de commerce et de service sont donc très nombreux et ne peuvent pas être employés tous en même temps. Il convient de faire des choix en fonction de ses objectifs de recherche.
Notes
26.
Gadrey attire l’attention sur une assimilation fréquente entre l’établissement d’une relation et l’intérêt financier de la transaction : « les liens et les réseaux sociaux qui permettent le fonctionnement "commercial" de la relation ne sont pas uniquement construits sur la base des intérêts commerciaux des acteurs » (1994 : 384).
27.
Goffman exclut d’ailleurs totalement ces cas de son modèle en se limitant à des situations de « personal service », c’est-à-dire de service désiré par le destinataire.