3.2. Les conventions sociologiques

Fondée sur le questionnement des économistes du travail de classification et de production de catégories statistiques, cette approche se centre sur les modes de coordination et de qualification auxquels les agents ont recours pour s’ajuster rationnellement les uns aux autres (cf. Salais & Thévenot, 1986 ; Revue économique, 1989 ; Orléan, 1994). Pour ce faire, les chercheurs ont recours à des règles et des conventions autorisant la coordination des agents, ce que Salais considère comme ‘« un système d’attentes réciproques sur les compétences et les comportements, conçus comme allant de soi et pour aller de soi » (1986 : 18)’, et Favereau comme des ‘« dispositifs cognitifs collectifs » (1989 : 321).’ Ces dispositifs ont le pouvoir de retarder la régulation marchande telle qu’elle est envisagée par la théorie standard : elles renvoient régulièrement à d’autres modes d’anticipation et d’ajustement.

Par exemple, pour rendre compte des innovations d’un office HLM, Eymard-Duvernay et Marchal (1994) relèvent la coexistence simultanée de deux formes distinctes de coordination dans l’organisation générale. La première entre en jeu lorsque les agents, dans le but de s’ajuster aux locataires prennent appui sur des règles générales préalablement définies – textes de loi, statistiques, etc. – la seconde quand ils doivent faire directement appel à la négociation en face à face qu’ils ont avec les habitants en vue de définir la situation et d’ajuster les termes de l’application des consignes. Ainsi, les agents ont la possibilité d’appliquer les règles à la lettre ou de développer un travail d’adaptation de ces règles vis-à-vis des usagers, affichant par-là même l’intérêt qu’ils leur portent.

En ce sens, la typologie des formes de coordination élaborée rejoint le cadre théorique plus large de ce que Boltanski et Thévenot appellent « l’économie de la grandeur » (1991), et qui a trait aux formes de justification et aux diverses manières de spécifier le bien commun. Cette perspective a servi de base à des recherches sur la modernisation administrative (cf. Lafaye, 1990 ; Corcuff & Lafaye, 1993) qui tentent de saisir la base cognitive et morale des pratiques des agents publics. Pour ce faire, elles restituent les jugements portés par le personnel sur le public, rendent compte des catégories mentales auxquelles les agents ont recours à propos d’objets aussi variés que le RMI (Astier, 1993) ou la sécurité (Dodier, 1989) et se penchent sur la confrontation des agents face aux innovations managériales (Camus, Corcuff & Lafaye, 1993).