Malgré les investigations menées dans le champ des sciences humaines et les détours effectués vers d’autres disciplines, la tentative de différenciation entre les commerces et les services, et par voie de conséquences entre les interactions de commerce et les interactions de service s’est révélée un échec : la binarisation est impossible. Cet insuccès est principalement dû au fait que chaque site possède ses propres spécificités interdisant tout regroupement dans des catégories rigides aux propriétés clairement définies. Ce premier échec de catégorisation des interactions de commerce et de service n’implique cependant pas l’abandon de l’étude comparative entreprise : au contraire, il renforce la détermination du chercheur à vouloir trouver d’autres pistes que celles envisagées jusqu’ici afin de rendre compte de cet objet qui lui résiste.
Le travail que je présente ici s’inscrit, comme indiqué en introduction, dans la continuité des mes propres travaux de recherche ainsi que dans celle du projet « commerces » du GRIC. Les travaux effectués sur les interactions de commerce et de service et sur la relation de service ont contribué à forgé ce travail, mais les analyses effectuées adopteront la perspective interactionniste qui s’est révélée une source inépuisable de théories, modèles et outils pour parvenir à identifier des critères distinctifs pour les interactions de commerce et de service. L’identification de tels critères passe par deux objectifs distincts mais complémentaires. Le premier objectif, résolument descriptif, est imposé par le type d’étude entrepris : avant toute chose, elle se pose comme une étude des interactions ayant pour but de situer le type particulier des interactions de commerce et de service au sein d’une typologie plus large. C’est d’ailleurs cette possibilité qui donne au travail descriptif toute son importance et permet de lui attribuer un caractère « scientifique ». Le second objectif est d’ordre comparatif : la description des interactions se déroulant au sein de plusieurs sites a pour finalité de mettre en évidence les similitudes, mais surtout les différences dans le fonctionnement de ces interactions. Les cinq sites soumis à questionnement présentent des similitudes dans la mesure où toutes les interactions qui s’y déroulent mettent en scène des participants ayant des rôles complémentaires qu’ils actualisent dans le but de mener à bien une transaction, mais elles présentent également des différences de fonctionnement. Ce sont ces différences que je cherche à établir et à mettre en corrélation. Au total, ce sont trois types de différences qui seront recherchés ici : les différences impliquées par les éléments externes à l’interaction elle-même (importance du cadre spatio-temporel, absence ou obligation de rémunération, fréquence des rencontres entre les participants, etc.), les différences dans le fonctionnement global de l’interaction (script, organisation séquentielle, etc.), et les différences dans le fonctionnement plus local de l’interaction (actes de langages, routines conversationnelles, etc.). La perspective interactionniste me permettra d’évaluer dans quelle mesure les différences externes à l’interaction entraînent ou se manifestent par certaines différences dans le déroulement de l’interaction et des échanges entre les participants, mais également de repérer les différences internes aux interactions et aux échanges typiques en vigueur sur chaque site.
Pour ce faire, je m’intéresserai à différents aspects des interactions de commerce et de service en commençant par poser le cadre spatio-temporel de la librairie-papeterie-presse, du tabac-presse, de la banque, du bureau de poste et du service de l’état civil étudiés (chapitre 2).
Je poursuivrai cette investigation dans les interactions de commerce et de service en m’intéressant à la manière de demander, obtenir et acquitter le bien ou le service car les propriétés du site exercent non seulement une influence sur la nécessité ou non d’une rétribution financière, mais également sur le moyen de se procurer le bien ou le service que le cliager peut soit obtenir lui-même en s’en emparant dans le cas du libre-service soit obtenir en formulant une demande auprès du commagent avant de pouvoir y accéder. De même, le site ainsi que le type d’objet transactionnel demandé contraint les formulations possibles pour cette demande. Je m’attacherai donc dans un premier temps à la description et à l’identification des activités langagières et des gestes praxiques rencontrés dans les interactions de commerce et de service, puis verrai de quelle manière ils entrent en relation pour participer conjointement à l’aboutissement des actions et de la transaction (chapitres 3, 4 et 5).
Dans une toute autre perspective, j’ai été intéressée par le fait que les énoncés, en fonction du marquage prosodique dont ils font l’objet, peuvent se doter de valeurs illocutoires différentes ou supplémentaires. Prenant l’exemple de l’acte de langage de salutation, il est possible d’identifier une valeur illocutoire très facilement par son contenu sémantique. Sur cette valeur illocutoire principale de salutation peut venir se greffer une valeur illocutoire subordonnée, plus délicate à mettre en valeur car elle relève du niveau supra-segmental 42 . Il arrive en effet que la salutation du commagent se termine par une intonation montante. Cette intonation ascendante constitue un cas marqué, apparemment spécifique à certaines interactions de commerce et de service. Aussi sera-t-il intéressant d’identifier quels sites ou types de sites peuvent autoriser ces intonations montantes, puis de les interpréter d’un point de vue pragmatique 43 (chapitre 6).
Enfin, j’ai souhaité poursuivre les investigations débutées lors de mes recherches précédentes sur les phénomènes de politesse avec l’idée préalable que les cinq sites soumis à questionnement devaient certainement faire augmenter le nombre de types de politesse précédemment identifiés : la politesse familière et la politesse formelle. La politesse, omniprésente tout au long de l’interaction, fera l’objet d’une attention particulière dans les séquences qui conduisent au tissage d’un lien social : les séquences d’ouverture, les séquences de clôture, et les modules conversationnels (chapitres 6, 7 et 8).
La communauté scientifique ne s’accorde pas sur l’existence et/ou la dénomination du niveau supra-segmental. Pour une discussion, se reporter à Rossi (1999 : 19-33).
Sur le glissement des fonctions sémantiques aux fonctions pragmatiques de la prosodie, cf. Caelen-Haumont & Bessac (1997).