Voilà déjà plusieurs décennies que l’anthropologue Malinowski soulignait l’importance d’étudier le langage sur le terrain afin de décrire et de tenter d’expliquer le fonctionnement des sociétés indigènes. L’appel lancé aux chercheurs afin d’appréhender « les discours vivants, dans le contexte de leurs situations réelles » (Malinowski, cité par Bachmann, Lidenfeld et Simonin, 1981 : 44) a donné naissance à de nouveaux courants de recherche au sein desquels le contexte permet d’identifier et de décrire les énoncés dans une langue donnée. De ce point de vue,
‘la signification d’un mot est rigoureusement réduite à la situation qui le voit naître, et la traduction sera un processus de contextualisation (Bachman, Lindenfeld & Simonin, 1981 : 43, souligné par les auteurs).’Il convient donc de considérer la situation comme un élément incontournable pour l’analyse des mots, mais aussi, plus généralement, pour celle des interactions. Il existe néanmoins un certain flou terminologique autour de cette notion représentant pour Yule « the physical environment in which a word is used » (1996 : 128), et pour Kerbrat-Orecchioni « l’environnement extra-linguistique de l’énoncé » (1990 : 76). Dans un effort de réorganisation terminologique, Vion (1992 : 106) délimite la notion de situation comme englobant le contexte (l’extra-linguistique), le cotexte (le linguistique) et le texte (l’énoncé), ce qui n’est pas sans poser de problèmes car il semble difficile d’intégrer l’énoncé lui-même dans la situation. Pour Vion, la situation englobe donc le contexte alors que pour Kerbrat-Orecchioni, conformément à un usage qui tend à se généraliser, et qui sera repris ici, les termes « contexte » et « situation » sont à considérer comme des équivalents 44 .
De ces approches théoriques différentes, il est possible de distinguer deux grands courants permettant d’aborder la notion de contexte :
1 – L’ethnographie de la communication.
La conception de la situation développée par Hymes s’inscrit dans la tradition anthropologique. Il propose, en effet, un modèle visant à étudier la communication humaine pour lequel l’analyste doit se munir d’un « arsenal de catégories déterminées à l’avance qui lui serviront de point de départ, de grille préliminaire, pour l’observation et la description d’une situation de communication » (Baylon, 1991 : 257). Dans cette perspective, le contexte est donné à l’avance et préexiste à l’interaction. Hymes s’est employé à spécifier les différentes composantes de la situation par le biais de son modèle dit « speaking » (1972) organisé autour :
À travers chacune de ses composantes, le modèle de Hymes autorise la perception des fonctions du phénomène de communication. Cette manière de conceptualiser le contexte ne fait pourtant pas non plus l’unanimité : on lui reproche d’amalgamer
‘certains constituants du contexte (le « site », les « participants » et les « buts »), mais aussi d’autres éléments qui sont à considérer plutôt comme des moyens, des propriétés, ou même des ingrédients (les « actes ») de l’interaction elle-même (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 77).’2 – La microsociologie
Dans la perspective de Goffman (1973a), la situation est beaucoup moins déterminante pour l’interaction : les participants qui sont réduits à de simples composantes de la situation par Hymes, deviennent pour Goffman de véritables acteurs sociaux. Assimilé à un acteur, le participant doit agir de façon à donner, que ce soit intentionnellement ou non, une expression de lui-même, qu’à leur tour, les autres doivent interpréter de manière à en retirer une certaine impression. Impliqués dans une interaction, les acteurs définissent conjointement la situation. Par le biais de la métaphore théâtrale, Goffman montre que, ce faisant, les acteurs entrent en représentation, « représentation » devant être entendu comme
‘la totalité de l’activité d’une personne donnée, dans une occasion donnée, pour influencer d’une certaine façon les autres participants (1973a : 23).’Dans cette approche dite « interactionnelle », la « façade » constitue la partie de la représentation qui a pour but à la fois d’établir et de fixer la définition de la situation qui est proposée aux observateurs. Elle se compose de deux éléments principaux :
Une interaction se co-construit par le biais des représentations des acteurs, la façade devenant une « représentation collective » qui s’institutionnalise en fonction des attentes stéréotypées et abstraites qu’elle détermine.
La définition goffmanienne de la situation peut être schématisée ainsi :

Ainsi est-il possible d’aborder le contexte différemment : soit en le considérant comme une donnée préalable à l’interaction, soit en l’envisageant comme une donnée modifiable au cours de l’interaction, « comme un produit de l’activité des sujets, comme une construction » (Vion, 1992 : 105). La conception interactionniste, et plus particulièrement celle de Vion, peut envisager que la situation se modifie perpétuellement à partir du moment où le texte est intégré à la situation. Il semble, en réalité, comme précédemment indiqué, que le contexte soit à la fois préexistant à l’interaction et remodifié dans l’interaction. En effet, une partie des éléments du contexte est antérieure à l’interaction et subsistera, par ailleurs, à l’interaction – le site, son emplacement géographique et sa disposition intérieure, le rôle des participants, leur histoire conversationnelle, etc. Une autre partie des éléments constitutifs du contexte est reformatée en permanence, au fur et à mesure que l’interaction se déroule – la relation entre les participants, les savoirs sur les participants, etc.
Avant de poursuivre plus avant cette incursion dans les éléments constitutifs du contexte, il convient de procéder à la présentation des corpus, de leur cadre, des participants et des cadres participatifs.
S’il tend à se répandre, cet usage ne fait cependant pas l’unanimité. Cf., par exemple, Searle (1972) pour qui la notion de contexte est plus large que celle de situation, Ducrot & Schaeffer (1995 : 631) qui opposent « contexte » (entourage linguistique d’un élément) à « situation » (ensemble des circonstances de l’énonciation, écrite ou orale), ou encore Gumperz (1992 : 45) qui précise que la « situation » doit être comprise comme activité et non comme environnement physique.
Pour une présentation détaillée du modèle, se reporter à Bachmann, Lindenfeld et Simonin (1981 : 72 sqq).