Les interactions qui composent ce corpus ont été enregistrées dans une librairie-papeterie-presse de la Loire, plus précisément dans la ville de Le Coteau, les 2 novembre et 26 décembre 1997, puis les 11 et 14 avril 1998. Ce commerce a été choisi principalement parce qu’à cette époque, j’y travaillais moi-même, ce qui a facilité l’accès à toutes les informations utiles. Deux problèmes ont néanmoins surgi lors de la réalisation de ce corpus.
Lorsque les libraires, M. et Mme B. s’absentent, ils sont remplacés par une autre équipe composée de N. et de moi-même. Les cliagers ne sont pas habitués à voir en même temps M. et Mme B. et moi-même. Ainsi, lorsque j’ai voulu effectuer un premier recueil de données, les cliagers ont été extrêmement perturbés par nos présences conjointes. J’ai obtenu des interactions totalement inhabituelles essentiellement basées sur le pourquoi de ma présence et non pas sur la transaction. Je ne suis donc pas parvenue à effectuer les enregistrements pendant le temps de travail de M. et Mme B., ce qui m’aurait permis une meilleure observation, notamment au niveau des éléments non-verbaux. Le corpus a donc finalement été enregistré pendant mon temps de travail, rendant plus difficile la prise de notes.
Par la suite, les premiers enregistrements ont révélé que seules les ventes de presse réalisées à proximité du DAT dissimulé près de la caisse étaient audibles. Les enregistrements des ventes de papeterie et de librairie qui se déroulent pour la plupart au cœur même des rayons au fond du magasin étaient totalement inexploitables. Pour remédier à ce problème, l’acquisition d’un micro « cravate » a été nécessaire. Le micro, de très petite taille, était alors dissimulé dans mes cheveux et le DAT enfoui dans une de mes poches, les deux parfaitement invisibles pour les cliagers. De cette manière, quelques interactions portant sur la vente d’un article de librairie ou de papeterie ont pu être recueillies puisque le micro se déplaçait avec moi, c’est-à-dire avec la vendeuse, et donc le ou les cliagers.
En ce qui concerne ce corpus, j’occupe donc successivement la position de participante aux interactions en tant que vendeuse, puis celle d’analyste. Il convient de préciser qu’au début, cette double position s’est révélée particulièrement gênante, surtout au niveau de la retranscription des interactions car il est très difficile de travailler sur sa propre voix. Deux types de difficultés ont surgi. Sachant pertinemment qu’il s’agissait bien de ma voix, je ne reconnaissais pas son timbre en tant que tel. Un temps d’adaptation a donc été nécessaire pour m’accoutumer à l’enregistrement de ma propre voix car lorsque je parle, j’entends un timbre de voix que j’identifie comme étant le mien. Mais, sur la bande sonore, il s’agissait d’un second timbre de voix que j’ai dû apprendre à reconnaître comme étant le mien également. Par la suite, j’ai été gênée par mes tics de langage, et principalement par la présence excessive de « ben » et de « voilà » dans mes interventions. Certains de ces tics de langage m’étaient familiers, mais d’autres me sont apparus en cours d’étude, retenant toute mon attention pendant un certain laps de temps, ce qui m’empêchait de me concentrer sur l’étude que je tentais de mener à bien. Paradoxalement, le blocage entraîné par cette focalisation sur ma voix et mes tics de langage ne s’est absolument pas produit pour les tics des autres : bien qu’attirant mon attention, ils n’entraînaient aucune focalisation.
Néanmoins, j’ai vite perçu l’avantage que ma double position offrait : le fait d’avoir connaissance de l’histoire conversationnelle 47 des protagonistes a évité, à certaines occasions, d’avoir recours à l’échafaudage d’hypothèses pour reconstituer des implicites conversationnels ou au concours des libraires pour qu’ils m’ouvrent l’accès à la totalité des éléments contextuellement pertinents.
Enfin, c’est un problème d’éthique qui s’est posé, car les enregistrements réalisés l’ont été avec l’accord de M. et Mme B., mais sans celui des cliagers. Les cliagers n’ont pas été informés de l’enregistrement de leurs propos par crainte qu’ils ne fassent attention à ce qu’ils disaient, qu’ils contrôlent leurs énoncés. Le but étant d’obtenir des conversations authentiques et spontanées, les cliagers n’ont jamais su qu’ils étaient enregistrés. Le même problème s’est posé pour moi lors des premiers enregistrements, mais après un certain temps de cohabitation avec le DAT, on s’habitue à sa présence ainsi qu’à celle du micro et on cesse d’y prêter attention. N., quant à lui, n’a pas réellement ressenti la présence du matériel d’enregistrement dans le sens où il ne les portait pas sur lui et n’y prêtait donc attention que lors du changement de cassettes ou de piles.
C’est à cause de ces problèmes d’adaptation qu’au total quarante et une heures d’enregistrements ont été réalisées et seules environ une heure et trente minutes retranscrites pour figurer dans le corpus. Les premiers enregistrements n’ont pas du tout été exploités. Par la suite, aucune interaction ayant eu lieu dans les premières minutes d’enregistrement n’a été utilisée.
Le choix des interactions figurant dans le corpus a été motivé par plusieurs facteurs. Des statistiques ont été réalisées à la librairie-papeterie-presse à partir des fiches de caisse sur la période d’un mois, pour obtenir une répartition en pourcentage des ventes. Le résultat de ces statistiques montrait 48 :
La première raison qui a motivé le choix des interactions figurant dans le corpus a donc été le respect de ces chiffres afin d’obtenir un rendu fidèle à la situation. La seconde raison est due à des motivations pratiques. En effet, les interactions où il y avait trop de participants, de chevauchements de parole, de passages inaudibles ont été éliminées. Les interactions à plusieurs participants exploitables ont toutes été gardées, les autres ne mettant en scène que deux participants : un commagent et un cliager.
La troisième justification du choix des interactions constituant le corpus incombe à la diversité. D’une part, autant que possible, les interactions représentent des transactions dans lesquelles l’article acheté par le cliager est différent des articles achetés dans les interactions précédentes. D’autre part, il n’y a pas de cliager qui intervienne deux fois dans le corpus.
Enfin, les interactions qui composent le corpus ont été enregistrées à l’occasion de jours fériés, que ce soit le jour même ou le lendemain. Ce n’est pas un hasard : les jours de la semaine, qui ne sont pas marqués par une quelconque fête religieuse ou nationale, voient régulièrement les mêmes cliagers se succéder. En revanche, les jours fériés, ainsi que les jours qui les suivent, il y a un certain nombre de cliagers inhabituels qui viennent se mêler aux habitués. Ce sont des gens qui sont en visite chez des parents ou amis. La présence conjointe dans le même corpus d’interactions mettant en scène des cliagers habituels et des cliagers inhabituels a semblé idéale pour réaliser une comparaison du comportement de ces deux types de cliagers.
Une étude de l’histoire conversationnelle est proposée au chapitre 8.
Par discrétion, et pour respecter les souhaits de M. et Mme. B., les ventes concernant les jeux de hasard n’ont pas été prises en compte dans ces statistiques. On en trouve tout de même quelques unes dans le corpus lorsqu’elles sont associées à une autre demande.