Ce corpus a été recueilli dans un tabac-presse de la Loire, situé au cœur du village de Neulise, les 8 et 27 avril 1999. Ce commerce a été choisi parce qu’il présentait à la fois des similitudes et des différences avec le commerce du Coteau qui avait servi de base à l’amorce de cette étude. On y vend également de la presse, mais aussi du tabac. Le choix de ce site a été motivé par le fait qu’une différence de type de commerce, aussi minime soit-elle, peut apporter une différence dans le déroulement des interactions. Mais par-dessus tout, ce qui a motivé le choix de ce site particulier plutôt que celui d’un site du même type se situant dans une autre ville, c’est la relation qui unit les participants. Avant de réaliser les enregistrements, la buraliste avait déclaré avoir une clientèle d’habitués et entretenir des relations privilégiées avec la plupart de ses cliagers. Ce site semblait donc idéal pour travailler dans une perspective comparative.
Comme pour le corpus de la librairie-papeterie-presse, quelques problèmes ont surgi lors de la réalisation des enregistrements.
La caisse enregistreuse de la buraliste est excessivement bruyante et il a été particulièrement difficile de trouver une place au micro « cravate ». Pour les raisons invoquées ci-dessus, il n’a pas été possible de le mettre près de la caisse enregistreuse. Il n’a pas non plus été possible que la buraliste le prenne sur elle, comme je l’avais fait moi-même à la librairie-papeterie-presse du Coteau, car le comptoir-caisse est vraiment large et les paroles des cliagers étaient souvent inaudibles. En dernier recours, la buraliste a eu la gentillesse de fixer le micro « cravate » sur une bobine de frise à cadeau qu’elle a posée à côté du ramasse-monnaie, à égale distance entre elle-même et les cliagers. De manière très surprenante, elle n’a manifesté aucune gêne à cause de la présence inaccoutumée du micro. Elle s’est comportée de manière habituelle et n’a pas été tentée de surveiller ses propos comme cela aurait pu être le cas. Son aisance a sans aucun doute été favorisée par le fait qu’elle ne portait ni le micro-cravate ni le DAT sur elle.
Compte tenu de la position du micro, les interactions qui prennent place au cœur du magasin n’ont pu être retranscrites. Quelques unes des interactions ayant eu lieu devant le comptoir-caisse comportent tout de même beaucoup de passages inaudibles en raison de la manipulation des pièces de monnaie qui se déroule bien trop près du micro. À signaler que le micro ne devait pas être assez bien dissimulé puisque le client n°15 dans l’interaction n°12 a remarqué sa présence. Cette découverte a créé une situation anodine où les participants étaient tantôt proches du fou rire, tantôt tentés de clore l’interaction de manière gestuelle sans prononcer un mot supplémentaire.
Exemple de passages de l’interaction prêtant à rire :
| (( Le client n°15 prend la bobine de frise à cadeau sur laquelle est fixé le micro puis la retourne et regarde attentivement le micro cravate. )) | |
| (34) | Buraliste : ne touche pas |
| (35) | Client n°15 : (rires) (inaudible car le client a la main sur le micro) |
| (( Le client n°15 repose la bobine de frise à cadeau sans la quitter du regard. )) | |
| (36) | Buraliste : perdant (rires étouffés) |
| […] | |
| (( Bruits de caisse enregistreuse. Le client n° 15 recommence à toucher le micro cravate. )) | |
| (50) | Buraliste : [(eclats de rire) |
| (51) | Observatrice : [(eclats de rire) |
| (52) | Client n°15 : (large sourire) |
Exemple d’un passage où le cliager ne souhaite plus s’exprimer verbalement :
| (54) | Buraliste : t(u) es le premier qui a remarqué hein |
| (55) | Client n°15 : oui… (ton ironique) merci m’dame |
| (56) | Buraliste : ((essayant de garder son sérieux)) je te souhaite une excellente journée |
| (( Le client n°15 promène son regard de la buraliste à l’observatrice et sourit très largement. )) | |
| (57) | Buraliste : on verra ça plus tard hein (rires) |
| (58) | Client n°15 : ouais |
| (59) | Buraliste : autant parler à un mur là [ hein |
| (60) | Client n°15 : [ ouais (sourire) |
Enfin, dans un certain nombre d’interactions, la buraliste s’adresse à moi, me prend à partie ou bien fait des commentaires sur les cliagers qui me sont destinés. Il est vrai que je lui avais demandé d’agir de la sorte afin de pouvoir brièvement présenter les cliagers qui interviennent dans les interactions, mais je pensais qu’elle ferait cela en dehors de la présence des cliagers. Ces interactions ont été éliminées d’office parce que dans ce corpus, je ne souhaitais occuper que la position d’analyste et non plus celle de participante. À noter tout de même que j’ai dû faire appel aux connaissances de la buraliste sur les cliagers eux-mêmes et à son histoire conversationnelle avec eux pour pouvoir donner un sens à certains passages qui s’avéraient totalement incompréhensibles.
Finalement, le même problème d’éthique qui s’était posé pour le corpus librairie-papeterie-presse s’est également posé pour le corpus tabac-presse, car les enregistrements réalisés l’ont été avec l’accord de Mme P., mais pas celui des cliagers. Les cliagers n’ont pas été informés de l’enregistrement de leurs transactions, car ils auraient pu, eux-aussi, surveiller leurs propos.
Comme pour le corpus librairie-papeterie-presse, le choix des interactions figurant dans le corpus a été motivé par les chiffres de vente fournis par la buraliste. Elle a donné les chiffres suivants 49 :
Ces proportions ont été prises en considération afin de réaliser le corpus dans lequel on les retrouve exactement. De même, les interactions comportant trop de chevauchements de paroles et/ou de passages inaudibles en raison du nombre élevé des participants ont été éliminées. Toutes les interactions à plusieurs participants qui pouvaient être exploitées l’ont été. Il s’agit malheureusement d’une minorité et la plupart des interactions ne comportent que deux participants : la buraliste et un cliager – plus l’observatrice (moi-même), dont le statut sera discuté ultérieurement.
Il arrive que l’on retrouve le même cliager dans le corpus, car les deux interactions étaient en fait reliées, mais ceci est signalé dans la présentation sommaire donnée sur le cliager. Il arrive également que l’on trouve à quelques interactions d’écart le mari et l’épouse. Ceci est également précisé. En revanche, il n’y a que peu de cliagers de passage. Presque tous les cliagers sont des villageois ou des habitués du magasin. Le faible nombre de cliagers de passage incombe au fait que la route qui traversait le village jusqu’en 1998, la route nationale 82 qui reliait Saint-Etienne à Roanne, a été déviée par une rocade, et la route qui traverse Neulise a été déclassée au rang de route départementale. Les routiers, représentants et vacanciers qui constituaient une importante partie de la clientèle de passage du magasin ne traversent plus Neulise et la clientèle de passage est devenue extrêmement peu nombreuse.
Tout comme les libraires, la buraliste a souhaité garder secret le montant des ventes de jeux de hasard. On en trouve tout de même quelques unes dans le corpus lorsqu’elles sont associées à une autre vente.
Parmi les ventes diverses figurent les ventes de timbres, de piles, de cartes téléphoniques, de confiseries diverses, de livres et de quelques articles de papeterie dont les chiffres ne sont significatifs qu’au moment de la rentrée des classes.