Les interactions qui constituent le corpus « crédit agricole » ont été recueillies dans un établissement bancaire de la ville du Coteau, du 29 février au 4 mars 2000. Le choix de ce site a été motivé par le fait que, contrairement aux deux sites précédents, il met en scène des participants qui ne troquent pas d’argent avec une valeur de rétribution en échange d’un bien emmené ou d’un service rendu. Certes, il y a de l’argent qui passe d’une main à une autre, mais il n’est pas échangé : il passe du compte du cliager à son porte-monnaie, ou vice versa. Ceci est vrai dans l’instant de la transaction, mais ne se vérifie pas sur la durée : le cliager doit acquitter chaque année des frais de gestion de dossier, de renouvellement de carte bancaire, etc. C’est donc un service qui est rendu dans l’instant. Une dissemblance de ce type peut impliquer des différences dans le déroulement des interactions. De plus, il est permis de faire l’hypothèse d’une relation en quelque sorte privilégiée entre les cliagers et les attachés de clientèle même si la personne que l’on désigne comme étant « mon banquier » n’est pas un attaché de clientèle mais un attaché commercial. L’adjectif « mon » ne semble pas, dans ce cas, être attribué en fonction de la fréquence des rencontres : on rencontre généralement plus souvent les attachés de clientèle que les attachés commerciaux. La relation personnelle avec l’attaché commercial s’établit parce qu’il est le dépositaire de mon argent.
Les problèmes qui ont surgi lors des séances d’enregistrement sont de nature différente.
Selon l’accord conclu avec M. G, responsable du bureau du Coteau, seuls les membres du personnel qui avaient donné un accord préalable pouvaient faire l’objet de séances d’enregistrement. Seuls quatre attachés de clientèle ont accepté de se prêter à ces séances, les autres voyant en l’observatrice une sorte d’espionne envoyée par leur hiérarchie afin d’enquêter sur leurs méthodes de travail.
L’imprimante utilisée par les attachés de clientèle pour imprimer les bordereaux de remise et de retrait est ancienne et utilise encore le système d’une aiguille reproduisant des points sur le papier. Particulièrement bruyant, ce système rendait tous les passages durant lesquels il y avait une impression de bordereau totalement inaudibles. Afin de respecter les souhaits de M. G., il n’était pas possible de placer le micro sur la banque, ni du côté du cliager. Il a été possible de trouver un compromis en plaçant tout de même le micro sur la banque mais en le recouvrant d’une pile de prospectus pour des produits bancaires. Ainsi, le micro était parfaitement invisible pour les cliagers et se trouvait en même temps suffisamment loin des imprimantes pour permettre une écoute des bandes sonores.
Un nombre important d’interactions s’est avéré parasité par les appels téléphoniques de cliagers. Le bureau du Coteau ne possède pas de centre d’appel téléphonique pouvant recevoir les appels, les trier, et les renvoyer sur le bon poste ou le bon interlocuteur. C’est aux attachés de clientèle qu’incombe cette tâche. Lorsqu’un attaché de clientèle effectue une opération pour un cliager et que le téléphone de l’agence sonne, il est tenu de répondre. Les interactions contenant une réponse à un appel téléphonique ont majoritairement été évincées car il n’était pas possible d’avoir accès aux propos de l’autre personne en conversation téléphonique. Ces passages n’apportaient donc rien d’intéressant pour l’étude en cours.
De même que pour les précédents corpus, seuls les attachés de clientèle avaient connaissance de la présence du micro et du DAT, les cliagers ignorant qu’ils étaient enregistrés. En plus des problèmes d’éthique précédemment évoqués, un autre type de difficulté s’est manifesté : celui de la divulgation d’informations confidentielles. En effet, si dans les corpus librairie-papeterie-presse et tabac-presse, les seules indications pouvant éventuellement permettre l’identification des cliagers se limitaient à l’usage de prénoms ou de noms patronymiques, les interactions du corpus Crédit Agricole contiennent en plus les coordonnées bancaires des cliagers. La présence de ces coordonnées constitue une réelle atteinte à la vie des cliagers. La solution envisagée visait l’effacement de l’énoncé des numéros de comptes des bandes sonores, ou bien alors la diffusion d’un bip sonore à ce moment-là. Aussi satisfaisant soit-il, ce procédé s’est malheureusement révélé trop onéreux. La dissimulation de ces informations confidentielles est l’une des raisons qui imposera la nécessité des retranscriptions.
Les interactions choisies pour figurer dans le corpus l’ont été en fonction de plusieurs facteurs. Contrairement aux responsables des sites précédents, M. G. n’a pas été en mesure de fournir des chiffres relatant les types d’activité en vigueur dans l’établissement. Une évaluation s’est tout de même avérée possible à partir des activités qui se sont déroulées pendant la semaine des enregistrements. Voici le résultat 50 :
Ces proportions ont été prises en considération afin de réaliser le corpus dans lequel on les retrouve précisément. De même que pour les autres corpus, les interactions comportant trop de chevauchements de paroles et/ou de passages inaudibles en raison du nombre élevé des participants ont été éliminées. Tous les polylogues qui pouvaient être exploités l’ont été, mais il ne s’agit que d’une minorité. Il est apparemment assez rare d’entrer dans une banque en groupe, tous les cas attestés faisant intervenir des couples ou un parent avec son ou ses enfants. La plupart des interactions ne mettent donc en présence que l’attaché de clientèle et un cliager, ainsi que l’observatrice qui n’intervient que si elle est sollicitée. Enfin, les interactions ont également été choisies afin de mettre en scène tous les attachés de clientèle qui avaient accepté de faire l’objet d’enregistrements.
La catégorie des rendez-vous regroupe à la fois les prises de rendez-vous pour une date ultérieure et les appels téléphoniques passés aux conseillers de clientèle pour les informer que le(s) cliager(s) avec le(s)quels ils avaient rendez-vous est arrivé.