4. Le corpus « La Poste »

Ce corpus a été recueilli dans un bureau de poste de la Loire, situé au cœur du village de Saint Just la Pendue, les 13 et 16 juin 2000. Ce site offrait l’avantage d’établir un lien entre les autres sites. En effet, les interactions mettent en scène des participants qui sont tantôt en situation de service en monnayant directement ce service (vente de timbres), tantôt en situation de service commercialisé en se remettant de l’argent mais sans valeur de rétribution. Il semble intéressant de voir si les interactions dans lesquelles le service est directement monnayé présentent une différence avec celles dans lesquelles le paiement est différé. De plus, ce site présentait l’avantage de se trouver dans un petit village, ce qui autorisait la formulation de l’hypothèse selon laquelle les participants devaient bien se connaître et entretenir une histoire conversationnelle. Ceci mérite d’être signalé puisque normalement les postiers ne sont pas trop appréciés car réputés pour être lents et peu gracieux. S’il est coutumier de désigner son banquier au moyen de « mon banquier », personne ne parle de son postier en disant « mon postier ». Ces généralisations ne s’appliquent cependant pas aux facteurs puisqu’il est habituel de désigner la personne qui distribue le courrier par « mon facteur », instaurant ainsi un certain degré de familiarité. Cet autre constat à propos de l’emploi de « mon » confirme la complexité d’emploi de cet adjectif normalement « possessif » qui ne semble être liée ni à l’idée de possession – personne ne possède un être humain – ni à la fréquence des rencontres puisqu’on dira aussi bien « mon facteur » que l’on ne voit pas forcément souvent que « mon boucher » chez lequel on se rend normalement régulièrement.

Une difficulté majeure s’est présentée lors des enregistrements à cause de la présence de l’hygiaphone. L’hygiaphone de La Poste de Saint Just la Pendue n’est pas un hygiaphone classique formé d’une plaque transparente permettant aux personnes placées de part et d’autre du guichet de se parler en évitant toute contamination. Le seul passage dans la vitre est matérialisé par une simple trouée par laquelle transitent argent, timbres et enveloppes. Il y a de fréquents malentendus entre les participants liés à des difficultés d’audition. Dans ces conditions, c’est une entreprise ardue que de vouloir capturer les propos des participants sur une bande audio, même digitale.

De nombreuses tentatives se sont avérées nécessaires avant de trouver une place au micro « cravate » qui permette d’obtenir un rendu acceptable des paroles énoncées de part et d’autre du guichet. Finalement, le micro a été placé le long de la vitre du guichet, plaqué contre la trouée et recouvert d’enveloppes timbrées. Ainsi, il s’est avéré possible d’avoir accès à la quasi-totalité des échanges des participants mais avec l’inconvénient de fréquents bruits de pièces lors des échanges de monnaie.

De même que pour les précédents corpus, seuls les commagents avaient connaissance de la présence du micro et du DAT, les cliagers ignorants qu’ils étaient enregistrés. Cependant, contrairement au corpus Crédit Agricole, le problème de la divulgation d’informations confidentielles ne s’est pas montré aussi présent. En effet, les interactions dans lesquelles les cliagers sont amenés à divulguer leurs coordonnées bancaires sont assez rares. S’agissant d’un petit bureau de poste, le nombre de cliagers ayant un compte bancaire dans ce bureau est limité. Les commagents ont à leur disposition un petit cahier sur lequel figurent tous les numéros de compte des cliagers, évitant ainsi de leur faire répéter ce numéro à chaque opération. Seuls les cliagers de passage sont amenés à donner leur numéro de compte, mais ils sont excessivement peu nombreux.

Les interactions choisies pour figurer dans le corpus l’ont été en fonction de plusieurs facteurs. De la même manière que le responsable de l’établissement bancaire précédent, M. A., chef receveur remplaçant, n’a pas été en mesure de fournir des chiffres relatant les types d’activité en vigueur dans le bureau. Une évaluation s’est tout de même avérée possible à partir des activités qui se sont déroulées pendant la semaine des enregistrements. Voici le résultat :

Figure 4 –Répartition des opérations à La Poste
Figure 4 –Répartition des opérations à La Poste

Ces proportions ont été prises en considération afin de réaliser le corpus dans lequel on les retrouve précisément. De même que pour les autres corpus, les interactions comportant trop de chevauchements de paroles et/ou de passages inaudibles en raison des échanges de monnaie ont été éliminées. Tous les polylogues qui pouvaient être exploités l’ont été, mais il ne s’agit que d’une minorité. La plupart des interactions ne mettent donc en présence qu’un commagent et un cliager, ainsi que l’observatrice qui n’intervient que si elle est sollicitée.