L’importance de la notion de contexte s’est accrue avec la pragmatique, étude du langage en contexte, et l’approche interactionniste. Auparavant, l’unité de description était bien plus souvent la phrase que le texte, cette dernière étant analysée sans prise en compte d’un environnement contextuel, finalement plus en langue qu’en parole. C’est avec la naissance de l’approche interactionniste que le souci du contexte d’actualisation deviendra prégnant. L’objet d’étude est depuis lors centré sur « des discours actualisés dans des situations concrètes de communication » (Kerbrat-Orecchioni, 1996a : 16). Sa prise en compte se justifie aisément par le fait que les contributions langagières des participants sont contextshaped (Drew & Heritage, 1992 : 18), c’est-à-dire qu’une même phrase énoncée dans deux contextes différents peut se voir attribuer deux valeurs illocutoires différentes. Dans l’interaction n°1 du corpus librairie-papeterie-presse, l’énoncé (2) du cliager peut avoir des significations différentes selon le contexte d’emploi.
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n° 1
| (2) | Client n°1 : ah:: ah mais j- j’arrive un peu de bonne heure moi |
Si deux amis ont rendez-vous dans un café à 9h30 pour prendre le petit déjeuner ensemble et que l’un d’eux arrive à 9h20, s’aperçoit qu’il est le premier, regarde sa montre et dit : « ah mais j’arrive un peu de bonne heure moi », cet énoncé n’a qu’une valeur de constatation. Si par contre, comme dans le cas de l’interaction citée en exemple, un cliager entre dans un commerce près d’une heure après l’heure d’ouverture et, ne voyant pas les journaux du jour dit : « ah mais j’arrive un peu de bonne heure moi », cet énoncé a une valeur de reproche, reproche adressé à la commagente. Cette valeur de reproche est d’ailleurs confirmée par la suite :
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n° 1
| (6) | Client n°1 : pa’ce que je vois que c’est... pas déballé |
Cet exemple illustre bien l’importance du contexte pour donner sa valeur réelle et empiriquement adéquate à un énoncé et montre que seule la prise en compte des variables contextuelles permet de « dégager une signification enrichie du discours » (Erpicum & Pagé, 1988 : 168). Reste néanmoins le problème de savoir quelle valeur attribuer à la notion de contexte.
Il existe, aujourd’hui encore (cf. chapitre 1), un certain flou autour de cette notion de contexte, flou subsistant en raison de l’absence de limites nettement instaurées.
‘La notion de contexte est d’une telle souplesse et d’un accueil si généreux qu’il est difficile de considérer qu’elle a des frontières suffisamment établies pour jouer un rôle théorique non équivoque (Latraverse, 1987 : 194, cité par Kerbrat-Orecchioni, 1996b : 39).’Le contexte est cependant devenu incontournable (Kleiber, 1997 : 65). S’il est indispensable tant pour l’approche sémantique que pragmatique, le problème du contexte n’en reste pas moins qu’il n’est clairement défini ni par les sémanticiens, ni par les pragmaticiens. Certaines distinctions sont néanmoins possibles ; la principale concernant d’une part le contexte situationnel (extra-linguistique), d’autre part le contexte linguistique baptisé cotexte (Kerbrat-Orecchioni : 1980). Maintes fois analysé dans des perspectives différentes (Benveniste, 1966 ; Dubois & Dubois, 1971 ; Cosnier & Brossard 1984 ; Yule, 1996 ; Cusin-Berche, 1997), le cotexte fera l’objet ici d’une attention particulière à chaque fois que l’environnement linguistique d’un énoncé pourra apporter un éclairage sur cet énoncé. Le contexte situationnel, quant à lui, sera pris en compte dans la mesure où il est « un pourvoyeur d’informations qui permettent d’éclairer le texte, une sorte de réservoir dans lequel on puise selon ses besoins pour améliorer le travail descriptif 59 » (Kerbrat-Orecchioni, 1996b : 44). Le contexte fera donc référence à l’environnement extra-linguistique (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 76, Maingueneau, 1996 : 22). On distingue généralement un contexte étroit – ou micro – d’un contexte large – niveau macro (Charaudeau & Maingueneau, 2002 : 135). Envisager le contexte d’un point de vue macro revient à prendre en compte quelque chose d’aussi vaste que le contexte institutionnel, c’est-à-dire l’ensemble du monde physique et du monde social. Mon investigation du contexte se limitera au niveau micro avec la prise en compte du contexte immédiat.
Les éléments constitutifs du contexte sont explicités dans le modèle établi par Brown et Fraser (1979), et représentés sous forme de structure arborescente. L’avantage de ce modèle tient au fait qu’il permet d’organiser les différents constituants de la situation les uns par rapport aux autres plutôt que d’en dresser une simple liste comme le prévoyait le modèle speaking de Hymes. La structure arborescente proposée par Brown et Fraser est reprise et simplifiée par Kerbrat-Orecchioni (1990 : 77) comme suit :

La tentative de Cosnier (1987) avec son modèle baptisé « le contexte situationnel » mérite d’être signalée, même s’il s’agit d’une conception très proche du modèle de Brown et Fraser puisqu’elle en reprend – tout en les subdivisant – les principaux constituants. À noter également la tentative d’Erpicum et Pagé (1988 : 164), mais il s’agit là encore d’un ersatz du modèle de Brown et Fraser. Malgré quelques légères différences, ces modèles convergent, comme le remarque Maingueneau, sur le fait qu’« il existe un noyau de constituants qui font l’unanimité : les participants du discours, son cadre spatio-temporel, son but » (1996 : 22). Ce sont donc ces trois principaux éléments qui feront l’objet d’une analyse détaillée.
Cette signification de la notion de contexte est critiquée par Kleiber parce que « plutôt que de réfléchir sur la notion de contexte, on préfère s’en servir. La plupart des travaux, quelle que soit leur origine, manipulent le contexte pour montrer comment il agit, où il agit, en somme, quelle est son influence. » (1997 : 65).