1. Le cadre

La notion de cadre correspond aux termes de « setting » (Hymes, 1972 ; Brown et Fraser, 1979) et de décor (Goffman, 1973a). Il s’agit, dans la perspective adoptée ici, du cadre spatio-temporel.

1.1. Le cadre spatial

Rigoureusement décrit par le champ de la proxémique développé par Hall (1971), le cadre spatial permet de distinguer trois formes d’espaces (129 sqq) :

  • l’espace à organisation fixe s’intéresse aux aspects matériels tels que l’organisation des villages et des villes, la répartition des bâtiments, leur mode de regroupement, et même l’organisation des pièces au sein du bâtiment en rapport avec leur fonction ;
  • l’espace à organisation semi-fixe représente ce qui peut être déplacé, comme le mobilier, c’est-à-dire l’organisation interne d’une pièce ;
  • l’espace informel correspond à l’espace qui sépare les individus les uns des autres, variant perpétuellement dans l’interaction, et soumis à différentes normes culturelles et sociales ainsi qu’à un apprentissage de ces normes culturelles, notamment par le savoir-vivre (Marc & Picard, 1989).

Ainsi défini, l’espace ne peut s’appréhender clairement qu’en étant rattaché au concept de territoire développé par la psychologie environnementale qui étudie les territoires humains à l’intérieur de cadres sociaux. Dans cette perspective, ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est que le premier ne s’approprie pas uniquement un territoire, mais aussi des valeurs ou des objets. Altman (1975) distingue trois types de territoires.

  • Le territoire primaire est un espace géographique occupé de manière régulière et clairement établi comme sien. Il est contrôlé par des occupants qui s’y trouvent habituellement pour un temps prolongé. Le logement ou le bureau personnel au travail en sont de parfaits exemples. Ce type de territoire assure une fonction d’intimité (privacy) et peut être personnalisé. Toute intrusion sera donc ressentie comme une violation. Dans de tels territoires, le contrôle de l’accès est hautement valorisé. L’identité du propriétaire est si fortement évidente que l’invasion ou l’intrusion peuvent être ressenties comme une agression. Les territoires primaires constituent donc des supports essentiels aux processus de régulation des frontières interpersonnelles et de l’identité personnelle.
  • Le territoire secondaire est un lieu moins prégnant. Semi-public ou semi-privé, il est régi par des règles plus ou moins formellement définies concernant son droit d’accès et son usage. Les occupants détiennent une autorité relative sur ces lieux mais ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui les occupent au même moment. Ce sont par exemple les bistrots ou les clubs. Ce type de territoire est donc l’objet d’un mode d’appropriation défini de manière plus ambiguë que sur le territoire primaire.
  • Le territoire public est un lieu accessible à tous et occupé temporairement. Les bancs publics ou les cabines téléphoniques en sont de parfaites illustrations. Les comportements sont régis en grande partie par les normes et les coutumes. Ces territoires offrent un support relativement faible aux processus de régulation des frontières interpersonnelles. Si l’aménagement de l’espace offre peu d’intimité, on peut, par exemple, recourir à divers expédients pour établir des distances avec autrui. 

La représentation du territoire proposée par la microsociologie goffmanienne varie en fonction de l’organisation de celui-ci. Il est également possible d’en distinguer trois (Goffman, 1973b : 43-44).

  • Les territoires fixes sont marqués par des repères géographiques et relèvent de la responsabilité d’une seule personne souvent soutenue par une mesure législative. Les champs, les cours ou les maisons représentent cette catégorie de territoires.
  • Les territoires situationnels constituent la partie fixe du lieu, qu’il s’agisse d’une propriété publique ou d’une propriété privée et sont laissés à la jouissance des individus en tant que biens d’usage. Ils dépendent d’une location temporaire informelle qui soulève continuellement des problèmes de début et de fin de location tels que ceux rencontrés avec les bancs publics et les tables de restaurants.
  • Les réserves égocentriques entourent « l’ayant-droit », telles que les sacs à main. Elles sont généralement revendiquées à long terme, mais pas toujours systématiquement.

Seule l’analyse de l’espace à organisation semi-fixe (Hall) correspondant plus ou moins fidèlement au territoire secondaire (Altman) et au territoire situationnel (Goffman) semble pertinente pour appréhender le cadre spatial des sites étudiés. Une autre distinction qui n’apparaît pas chez les auteurs cités semble s’imposer entre le cadre spatial extérieur au site et le cadre spatial intérieur du site.