Les participants engagés dans une activité discursive forment ce que Goffman appelle le participation framework (1981 : 141 sqq) ou cadre participatif (1987 : 147 sqq.). Cette notion de cadre participatif se substitue au schéma binaire traditionnel locuteur/allocutaire ou émetteur/récepteur considéré par certains, dont Kerbrat-Orecchioni (1990 : 89 sqq), comme trop réducteur. Ce schéma binaire est effectivement approprié pour rendre compte des interactions ne mettant en scène que deux participants, mais trop limité pour analyser les interactions faisant intervenir plusieurs participants.
Goffman établit deux catégories de participants. D’une part, il y a les participants ratifiés ou autorisés qui
‘font officiellement partie du groupe conversationnel, ainsi qu’en témoignent surtout « l’arrangement » physique de ce groupe, et le comportement non verbal de ses membres (distance et organisation proxémique, configurations posturales, réseau des regards, intensité vocale) (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 86).’La catégorie des participants ratifiés se subdivise en participants addressed auxquels le locuteur s’adresse directement et participants unadressed qui ne sont pas les destinataires directs des propos du locuteur. À l’opposé se trouvent les bystanders – intrus, spectateurs ou témoins de l’échange – qui sont en principe exclus de l’interaction. Goffman distingue parmi les bystanders les overhearers, les personnes accessibles visuellement pour le locuteur qui ne peut ignorer leur présence au sein de l’espace interlocutif 74 , et les eavesdroppers qui sont des intrus dans le cadre participatif : ils agissent, en effet, dans l’ombre, sans que le locuteur ait conscience de leur présence. Un participant engagé dans un certain cadre participatif peut occuper diverses positions durant l’interaction. Ainsi, il pourra passer du statut d’interlocuteur direct à celui de participant passif si l’interaction se poursuit entre deux ou plusieurs autres participants sans qu’il n’intervienne. Kerbrat-Orecchioni (1990 : 86) schématise ainsi le cadre participatif proposé par Goffman :
André-Larochebouvy propose un autre type de distinction entre interlocuteurs de plein droit, c’est-à-dire les membres de la famille, les intimes « à qui on peut toujours et en toutes circonstances adresser la parole, même s’il n’a pas lui-même envie d’entrer en conversation » (1984 : 31), interlocuteurs légitimes tels que les collègues de travail, « à qui on peut adresser la parole dans des circonstances données et si lui-même est disposé à converser » (ibid., 32), interlocuteurs autorisés tels que les commerçants « à qui on peut adresser la parole dans des circonstances précises, définies par nécessité, ou éventuellement définies par une situation exceptionnelle » (ibid.), et interlocuteurs improbables : le « participant inconnu qui a toutes les chances de le rester » (ibid.,33).
Grâce à la place qu’ils occupent sur la scène interactionnelle, à leur identité – physique, sociale et psychologique – ainsi qu’à leurs représentations mutuelles – degré de connaissance, lien socio-affectif – les participants entretiennent diverses positions, les rôles, qui déterminent le type de relation dans lequel ils s’engagent.
La notion goffmanienne de cadre participatif semble davantage convenir à l’analyse des interactions des corpus collectés puisqu’elle tient compte à la fois du cadre temporel, du nombre de participants et de leur statut interlocutif, ce que Traverso (1997a : 57) résume par une question : « qui participe à quoi ? », question qui peut être complétée par : à quel moment et pour combien de temps ?
Dans l’étude des corpus, seuls les participants à l’interaction de type autorisé sont pris en compte, c’est-à-dire les participants
‘à qui on peut adresser la parole dans des circonstances précises, définies par une nécessité ou définies par une situation exceptionnelle (André-Larochebouvy, op. cité).’Ce n’est que parce qu’ils se trouvent ensemble dans ce site particulier qu’ils entrent en interaction. Il est facile d’imaginer que s’ils se trouvaient dans un autre lieu faisant apparaître d’autres circonstances, ils ne se parleraient pas. Les participants aux interactions soumises à analyse sont ratifiés, donc autorisés à se trouver dans le contexte situationnel décrit. Ces participants ratifiés ne sont intégrés au groupe conversationnel que s’ils s’investissent dans l’échange qui a lieu au sein du groupe, et produisent certains signes visant à manifester leur engagement dans l’interaction en cours. Ces signes sont de nature assez différente : verbale, posturo-mimo-gestuelle ou paraverbale. Ils peuvent par exemple être de nature proxémique et se manifester par l’orientation du corps ou du regard. Ils peuvent également se refléter à travers le sujet de la conversation ou s’exprimer par des régulateurs verbaux tels que « mhm », « oui », « ouais », « voilà », « bon », « ben », « bon ben », etc. Tous ces signes sont essentiels pour assurer le bon fonctionnement des interactions car ils manifestent l’engagement des participants à la construction d’un échange commun : les interactants participent d’une co-construction de l’interaction.
Les participants mis en présence dans le type d’interaction décrit occupent des rôles complémentaires, à savoir ceux de cliagers et de commagents, les derniers occupant une position institutionnalisée. La configuration des sites impose plusieurs types de contraintes. Tout d’abord, des contraintes au niveau de l’interaction : il n’est pas inutile de rappeler que lorsqu’un individu pénètre dans un site transactionnel, il est généralement considéré par les commagents comme un cliager potentiel. Les autres contraintes imposées par le site concernent les cliagers. Elles sont de deux types :
Les participants occupent des rôles interlocutifs qui se modifient constamment, et ce, pendant toute la durée de l’interaction. Toutefois, si l’échange communicatif n’implique l’existence que d’un seul émetteur (sauf pour les cas de chevauchement de parole), il peut mettre en présence plusieurs récepteurs qui n’auront pas tous le même statut. Ceci implique que les rôles interlocutifs des participants mis en présence ne sont pas fixes et qu’ils varient sans cesse au gré des tours de parole. Le cadre participatif dans lequel les commagents dirigent leur énonciation admet le ou les cliager(s) de la transaction en cours, mais il peut également autoriser :
Levinson (1988 : 170) considère ces participants comme des spectateurs (audience), c’est-à-dire des participants physiquement présents mais qui ne sont pas pris en compte en tant que locuteurs ni en tant que destinataires des échanges en cours. Afin de déterminer les statuts participatifs de tous ces individus, Traverso propose de faire intervenir
‘leur degré de ratification et le degré auquel on s’adresse à eux (leur « degré d’adresse ») puisqu’en effet, comme le montre Kerbrat-Orecchioni (1990 : 89 sqq.), les dichotomies « participant ratifié vs non-ratifié » et « destinataire direct vs indirect » s’avèrent beaucoup trop radicales pour rendre compte de nombreuses situations (1997a : 61, souligné par l’auteur).’C’est effectivement le cas des interactions qui composent les corpus où l’on peut dégager les statuts suivants :
À signaler, comme le démontre Traverso (ibid.), que les interactions de commerce et de service se prêtent à l’établissement d’un tel degré de ratification entre les participants. Ainsi, les cliagers qui attendent derrière le guichet, la banque ou le comptoir-caisse sont plus ratifiés que ceux qui sont encore en train de fureter dans les allées. De même, parmi les cliagers en attente derrière le guichet, le premier cliager de la file d’attente est plus ratifié que le dernier ; et l’autre commagent est plus ratifié que n’importe lequel des cliagers car il fait partie du personnel de l’établissement.
Ces éléments permettent de proposer un cadre participatif général qui sera bien évidemment différent selon les sites pris en considération et les situations soumises à analyse.
Vion définit l’espace interlocutif comme « une image de l’interaction construite par l’activité des sujets engagés dans la gestion de cette interaction » (1993 : 79).