La transaction constitue le corps de l’interaction, tant par sa place – elle est encadrée par des échanges à valeur d’ouverture et de clôture – que par sa finalité : elle constitue la raison d’être de l’interaction de commerce ou de service. Le site contraint normalement le type d’interactions à venir, mais il est tout à fait envisageable d’imaginer que d’autres interactions, à finalité non transactionnelle, puissent s’y dérouler. À titre d’exemple, je peux tirer ici profit de mon expérience de vendeuse à la librairie-papeterie-presse pour illustrer cet état de fait : il est arrivé à plusieurs reprises que des parents ou amis qui passaient devant le magasin entrent uniquement pour me saluer et prendre de mes nouvelles. Dans ce genre de cas, la rencontre entre les participants ne donne pas lieu à une transaction. La question se pose dès lors de savoir ce qui fait qu’une interaction initiée dans un lieu institutionnel à fonction transactionnelle devient une interaction transactionnelle. À partir de quel moment les interactants revêtent-ils leurs rôles de commagent ou de cliager ? Ventola fournit un premier élément de réponse :
‘service encounter is a genre where interaction is mainly oriented towards demanding and giving goods and services (1987 : 115).’De cette citation, il est possible de déduire que ce qui fera d’une interaction se déroulant dans un cadre institutionnel à fonction transactionnelle une interaction transactionnelle, c’est la structure conversationnelle attendue. Cette structure conversationnelle est destinée à organiser les échanges autour d’actions et de rôles préexistants à la situation mais négociables, c’est-à-dire autour d’un script. L’entrée en conversation de deux participants sur un site à but transactionnel ne suffit donc pas à faire de leur interaction une interaction transactionnelle.
Ainsi, dès qu’il franchit la porte, le piéton se voit attribuer un rôle potentiel de cliager qu’il ne tient qu’à lui de convoquer ou de ne pas convoquer. Dès lors, il convient de se demander comment le cliager parvient à actualiser son rôle et à s’engager dans une interaction transactionnelle. Pour ce faire, le cliager potentiel doit formuler une demande explicitant le but de son entrée sur le site. C’est au moment où il formule sa demande que l’énonciateur devient cliager, et qu’ainsi, il assigne à son interlocuteur le rôle de commagent. Dans le cas des visites rendues par des parents et amis à la librairie-papeterie-presse, nous avons pu avoir une interaction conversationnelle à but non transactionnel dans un lieu pourtant spatialement organisé pour accueillir ce genre d’interactions parce que les visiteurs n’ont pas actualisé le script de l’interaction transactionnelle en ne se mettant pas en position de demandeurs. La place occupée par les participants dans l’espace transactionnel ne joue aucun rôle puisque les participants à une interaction non transactionnelle à la librairie-papeterie-presse se trouvent aux mêmes places que les participants à une interaction transactionnelle : la vendeuse derrière le comptoir-caisse et le cliager/visiteur devant le comptoir-caisse.
Il est tout de même possible de remarquer une différence entre les participants aux interactions transactionnelles et non-transactionnelles : hormis le fait que les participants à une interaction non-transactionnelle du type visiteurs ne s’approprient pas le comptoir-caisse en posant quelque chose dessus, ils ont également davantage tendance à se déplacer le long du comptoir-caisse que les cliagers.


Dans ces interactions, les participants ne s’attribuent pas des rôles complémentaires, mais symétriques. Il convient, en effet, de rappeler que dans les interactions de commerce et de service, les deux rôles mis en présence – celui de commagent et celui de cliager – sont, d’un point de vue social et discursif, très différents. Le contexte de l’interaction transactionnelle pose un ensemble de présuppositions normalement partagé par les participants. Il y a notamment le présupposé que le cliager a besoin de quelque chose que le commagent peut lui procurer, parfois moyennant finances. Cette présupposition pose les deux rôles indispensables à l’interaction transactionnelle comme étant en distribution complémentaire.
‘Public service encounters are an institutionalized and routinized discourse genre where one of the participants makes some requests – of goods or information – and the second participant has the institutionalized role of trying to comply with them (Ciliberti, 1988 : 53).’Le rôle de cliager n’a donc d’existence que par rapport au rôle de commagent, et vice versa. Les interactions sont, ainsi, réalisées grâce à la production conjointe des interactants. Les participants sont tour à tour locuteurs et allocutaires, émetteurs et récepteurs. Ils ont cependant des rôles différents sur le plan actionnel dans la définition des activités, et sur le plan discursif dans la définition des thèmes du discours.
La transaction est une séquence mixte en ce sens qu’elle fait intervenir successivement des actes langagiers et des actes non-langagiers unis par un lien d’interdépendance. Dans cette séquence, le langage est plus que jamais lié à l’action : une intervention initiative verbale peut donner lieu à une intervention réactive non-verbale, et vice versa. Actes langagiers et non-langagiers sont alors complémentaires, comme le suggèrent, dès 1956, les analyses d’un même entretien filmé de dix minutes réalisées par Bateson, Brasin, Hockett, McQuown, Fromm-Reichmann, et Birdwhistell qui, bien que réalisées dans des perspectives différentes, mettent toutes l’accent sur la complémentarité du verbal et du non-verbal dans la communication 88 .
D’autres chercheurs, et plus particulièrement Goffman, se sont intéressés aux cas où la parole ne constitue pas l’essentiel de l’interaction. La parole n’est alors pas considérée comme primordiale : il s’agit d’une composante, mais d’une composante parmi d’autres qui s’insère séquentiellement et contextuellement dans un but finalisé.
‘On observera également que le monde matériel peut faire plus que de brèves incursions dans le monde parlé. Il est très courant, en effet, que la structure même du contact social mette en jeu des mouvements matériels plutôt que verbaux (ou gestuels), (Goffman, 1987 : 45).’Dans les interactions transactionnelles, les participants ont successivement recours à des actes langagiers et non-langagiers afin d’aboutir à la réalisation d’un but global qui passe par deux phases successives : une phase de demande et une phase de délivrance. La remise du bien ou du service convoité – matérialisé par un objet quelconque – se réalise souvent gestuellement, sauf dans le cas où l’interaction ne vise qu’à l’obtention d’un renseignement, considéré dans ce cas tantôt comme un « bien invisible » (invisible commodity) (Yli-Jokipii, 1994 : 51), tantôt comme un « service linguistique » :
‘even demanding and giving information in this genre [public service encounters] may be treated as a service, a linguistic service (Ventola, 1987 : 115, italiques ajoutées).’Le maillage des actes langagiers et non langagiers dans les interactions de commerce et de service ne peut s’appréhender que par une analyse fine et détaillée de la transaction qui permette de mesurer la place et l’importance de chaque type d’actes, c’est-à-dire une analyse qui réponde aux questions suivantes : que font les participants lors de la transaction ? Et comment le font-ils ?
La transaction est généralement envisagée comme une séquence globale, mais elle se subdivise en sous-séquences. Le nombre et la particularité de ces sous-séquences dépendent du type de transactions envisagées. Par exemple, pour les transactions professionnelles qui s’effectuent principalement par correspondance, Yli-Jokipii distingue trois phases (1994 : 51) :
Dans le cadre des interactions transactionnelles, pré- et post-transaction n’ont pas de raison d’être : les biens sont disponibles immédiatement et ne peuvent pas donner lieu à réclamations. En tant que séquence, la transaction sera donc envisagée à partir de trois sous-séquences : demander le bien ou le service désiré (chapitre 3), obtenir le bien ou le service désiré (chapitre 4), et donner/recevoir une contrepartie financière lorsque l’échange est monnayé (chapitre 5).
Extrait disponible sur le CD-Rom sous le fichier Extrait1.mov.
Études publiées en 1971 par Norman McQuown sous le titre The natural history of an interview, microfilm collection of manuscripts on cultural anthropology, n°95, série XV, Chicago : University of Chicago Library,.