La requête constitue un acte de langage au sens austinien du terme, c’est-à-dire que
‘In saying something a speaker also does something (Austin, 1970 : 18).’Cette vision de la requête, et des actes de langage en général, conduit à accepter une division des actes en actes locutoires, illocutoires et perlocutoires (Austin, 1970 : 108). Searle (1972) a revu et étendu la théorie austinienne en établissant un ensemble de conditions 90 , les conditions de félicité, desquelles dépend la réalisation d’un acte de langage. Les notions d’actes de langage directs et indirects qui en ont découlé ont été particulièrement étudiées sur la base de l’acte de langage de requête (Ervin-Tripp, 1976 ; Morgan, 1978 ; Clark, 1979 ; Blum-Kulka, 1987 et 1989 ; Weizman, 1989).
Avant de poursuivre, il semble important de définir l’acte de requête. Étant donné le nombre d’études touchant de près ou de loin aux requêtes, les définitions sont nombreuses :
‘[La requête exprime] le désir chez le locuteur d’une action ne dépendant pas uniquement de sa propre volonté (Gardiner, 1989 : 269).’ ‘A request is an illocutionary act whereby a speaker (requester) conveys to a hearer (requestee) that he/she wants the requestee to perform an act which is for the benefit of the speaker (Trosborg, 1995 : 187).’ ‘Nous parlerons de requête chaque fois qu’un locuteur produit un énoncé pour demander à son interlocuteur d’accompli [sic] un acte quelconque (à caractère non-langagier), (Kerbrat-Orecchioni, 2001a : 98, souligné par l’auteur).’Si les trois définitions sélectionnées présentent quelques variantes, elles convergent toutes vers un point commun : la requête formulée par le locuteur appelle une réaction de la part de l’allocutaire. Elle vise à faire faire quelque chose. En ce sens, elle constitue un énoncé préalable à une action (pre-event) (House & Kasper, 1981 : 159 ; Blum-Kulka, House & Kasper, 1989 : 11), un déclencheur d’action. Reste que le type d’action attendue peut revêtir deux formes : une forme verbale ou une forme non-verbale, laissant ainsi entrevoir un réel problème terminologique. Certains auteurs gardent le terme générique de requête puis précisent s’il s’agit d’une demande de parole ou d’une demande d’action (Searle, 1972 ; Vanderveken, 1988 ; Trosborg, 1995). D’autres chercheurs scindent cette catégorie en deux sous-groupes en fonction de la réaction attendue (Gardiner, 1989 ; Kerbrat-Orecchioni, 2001a) : les requêtes sont alors considérées comme des demandes de faire et les questions comme des demandes de dire.
‘Dans les requêtes, une action spécifiquement nommée est exigée par le locuteur, tandis que dans les questions, c’est une réponse verbale pertinente qui est attendue (Gardiner, 1989 : 263).’Cette vision des deux actes de langage soulève deux problèmes distincts : le premier consiste à déterminer si la question est ou non incluse dans la requête, le second a trait à la spécificité de l’ordre. En effet, la distinction entre la question et la requête bâtie sur le type de demande effectuée semble plus que légitime, la différence permettant, par ailleurs, de les regrouper au sein d’une même classe : celle des demandes. Reste à prendre une décision en ce qui concerne l’ordre 91 . Soulevée par Kerbrat-Orecchioni (2001a : 84), l’ambiguïté de la relation entre l’ordre et la requête recoupe celle qui existe entre faire et dire.
En effet, la pragmatique est basée sur le principe que dire, c’est faire ; ce qui implique que la question est considérée par le récepteur comme un commandement au même titre que la requête : elles cherchent toutes deux à faire faire quelque chose au récepteur. Or, si certaines des formes langagières utilisées pour exprimer les demandes de dire sont structurellement identiques à celles employées pour véhiculer des demandes de faire (les assertions), les demandes de dire possèdent un équivalent sous forme de structure interrogative que ne possèdent pas les demandes de faire. Le critère formel permet déjà une première différenciation.
Kerbrat-Orecchioni (ibid.) résout le problème terminologique en considérant que la question et la requête font partie d’une même catégorie : celle des demandes, et que l’ordre n’est qu’un type particulier de requête, même si dans certains cas, les limites entre la requête et la question sont particulièrement floues 92 :

Cette distinction entre la question et la requête se retrouve dans les interactions de type transactionnel puisque le cliager peut aussi bien demander des biens ou services non-verbaux, c’est-à-dire des objets, des actions, ou services quelconques, mais il peut également demander des biens et services verbaux, tels que des informations (Trosborg, 1995 : 187).
Les valeurs illocutoires relativement stables de l’acte de requête ont donné lieu à de nombreuses études visant, entre autres, à mettre en évidence tantôt les spécificités d’une société particulière à partir d’études interculturelles (Ervin-Tripp, 1976 ; Brodine, 1991 ; Wierzbicka, 1991 ; Béal 1994 ; Kerbrat-Orecchioni, 1994 ; Hmed, 1997 et 1998 ; Trinh 2002), ou intraculturelles (Kerbrat-Orecchioni, 2001a), tantôt les phénomènes de politesse (Leech, 1983 ; House & Kasper, 1981 ; Brown & Levinson, 1987 ; Blum-Kulka, 1987 ; Held, 1997).
La formulation d’une requête permet au locuteur de tenter d’imposer la réalisation d’un acte à l’allocutaire (an impositive act), (Trosborg, 1995 : 187), si possible, sans porter atteinte à sa liberté, en le laissant libre d’accepter ou de refuser de l’accomplir.
‘Impositive speech acts are described as speech acts performed by the speaker to influence the intentional behaviour of the hearer in order to get the latter to perform, primarily for the benefit of the speaker, the action directly specified or indirectly suggested by the proposition (Haverkate cité par Trosborg, 1995 : 188, italiques ajoutées).’La formulation de la requête s’avère donc un moment délicat dans l’interaction car en tant que tentative d’imposition d’un faire, elle peut affecter la face des participants. La requête est un FTA en puissance. Le locuteur qui énonce la requête tente d’exercer un pouvoir ou un contrôle direct sur les intentions du destinataire. La requête peut, en effet, constituer une menace pour la face négative de l’allocutaire s’il l’interprète comme un empiètement sur sa liberté d’action ou comme la démonstration d’un pouvoir du locuteur. La requête contraint ainsi son destinataire à stopper net ce qu’il est en train de faire pour satisfaire la demande reçue. Elle présente également une menace pour la face positive du locuteur qui, en formulant sa demande, manifeste le besoin d’une aide extérieure et se dévoile ainsi comme incapable de réaliser l’acte en question. La face du locuteur peut aussi se voir menacée par le risque encouru lors d’un éventuel refus d’agir du destinataire.
Le cas des requêtes formulées dans le contexte des interactions de commerce et de service est cependant différent : le caractère menaçant de la requête est largement atténué par le fait que le cliager doit passer par cette formulation pour expliciter le but de l’interaction (Dumas, 1999 : 134). La requête se présente donc comme un acte de langage légitime attendu et même souhaité par le commagent. En réalité, « ce serait au contraire l’absence de toute requête qui passerait pour menaçante » (Kerbrat-Orecchioni, 2001a : 107) car le script de l’interaction de commerce ou de service exige que le cliager formule une requête. De ce point de vue, la requête dans les interactions de commerce et de service est davantage un FFA qu’un FTA : elle évite au commagent d’avoir à demander au cliager quel est le but de leur rencontre. Par ailleurs, si le cliager ne pénètre pas sur le lieu institutionnel au hasard, mais qu’il a préalablement sélectionné ce site comme susceptible de contenir les biens qu’il souhaite acquérir, la requête peut être l’indication d’une préférence accordée à ce site plutôt qu’à un autre, et dans le cas où le bien sera monnayé, la promesse d’un gain pour le commagent (ibid.).
Les requêtes énoncées en situation transactionnelle ont fait l’objet d’un certain nombre d’études centrées autour de l’acquisition en langue étrangère (Aston & al., 1988 ; Trosborg, 1995), d’interactions téléphoniques (Kelly, 2001), postales (Yli-Jokipii, 1994), ou en face à face (Chaboud, 1997 ; Sitbon, 1997 ; Casolari, 1998 ; Dumas, 1999 ; Mena, 2000 ; Hmed 2002). La plupart de ces analyses sont centrées sur la requête énoncée par le cliager et ne tiennent pas ou relativement peu compte des échanges intermédiaires qui peuvent avoir lieu entre l’énoncé de la demande et la délivrance du bien souhaité, une étude de Merritt (1976) excepté. Des requêtes ou questions intermédiaires peuvent être nécessaires afin de parvenir à la réalisation du but de la transaction, et plus globalement de l’interaction. Ces requêtes ou questions sont généralement prises en charge par le commagent. Il sera donc utile de distinguer des demandes principales formulées par le cliager à destination du commagent, en tant qu’explicitation du besoin du cliager, et par inférence, de la tâche que devra accomplir le commagent ; des demandes subordonnées énoncées elles aussi par le cliager et liées à la demande principale ; et des demandes de précision émises par le commagent à destination du cliager lorsque la demande principale est mal formulée ou incomplète. Par ailleurs, chaque type de demande peut lui-même prendre la forme d’une requête ou d’une question.
Les demandes principales sont inscrites dans le script de l’interaction de commerce et de service et constituent l’acte principal que devra accomplir le cliager pour remplir convenablement son rôle. C’est par l’explicitation de cette demande que le cliager se pose en tant qu’individu ayant un besoin à satisfaire, et qu’il sélectionne le commagent comme individu ayant la capacité de satisfaire ce besoin. Les demandes principales prennent donc la forme de requêtes ou de questions. En règle générale, si le besoin à satisfaire passe par la mise à disposition d’un bien ou d’un service matérialisé par un support tel qu’un document, le cliager a recours à une requête. En revanche, s’il s’agit d’un service « invisible » dans la mesure où il sera délivré oralement et ne laissera donc pas de traces matérielles, le cliager formule sa demande au moyen d’une question.
Les requêtes sont largement majoritaires sur tous les sites. Mais, plus intéressant, semble le fait qu’aucune question principale ne soit attestée à la librairie-papeterie-presse ou au tabac-presse, c’est-à-dire les deux commerces prototypiques. Néanmoins, que le cliager ait recours à une requête ou une question pour formuler sa demande, cette dernière génère l’attente d’une action tangible, action verbale ou non-verbale impliquant un engagement réel de la part du commagent.
Sur les pré-conditions de la requête, cf. Merritt (1976) et Levinson (1983).
Si le métalangage des pragmatiques, et des linguistes en général, est essentiellement basé sur le langage ordinaire, il nécessite cependant parfois le recours à des décisions plus ou moins arbitraires.
Sacks, quant à lui, souligne la difficulté de distinguer dans certains cas l’offre, la requête, l’avertissement et la menace (1995 : Winter 1971, March 11).
Résultats présentés en pourcentages et obtenus à partir du nombre total de demandes répertoriées.