Dans une étude menée dans le cadre du projet CCSARP (Cross-Cultural Speech Acts Research Project), Blum-Bulka, House et Kasper envisagent la requête comme une séquence (request sequence) composée d’un ou plusieurs tours de parole émis par le même locuteur afin de compléter la séquence de requête (1989 : 17). L’aspect séquentiel de la requête prôné par ces auteurs, incompatible avec la notion d’acte de langage, ne sera pas retenu ici. Trois composantes peuvent former la requête, bien qu’elles ne soient pas toutes indispensables.
Ils précèdent généralement la requête et visent à attirer l’attention du destinataire de la demande. La plupart des interpellateurs prennent la forme de termes d’adresse utilisés pour désigner verbalement le destinataire de la requête 97 .
Ils précèdent également la requête et sont destinés à vérifier la disponibilité ou le bon vouloir du destinataire et/ou à obtenir un pré-engagement de sa part qu’il va accomplir l’acte demandé. Les évaluateurs peuvent, dans certaines circonstances, être accompagnés par des justifications (grounders) ayant pour visée première de convaincre le destinataire d’accomplir l’acte demandé. Dans certains cas, les justifications peuvent elles-mêmes constituer la requête (« "I must have left my pen somewhere" » responded "here, take mine" », Blum-Kulka, House & Kasper, 1989 : 17).
Il s’agit de la requête elle-même, c’est-à-dire de la partie qui permettra de réaliser l’acte de demande indépendamment des autres éléments. Le cœur de la requête est sujet à deux types de variations : l’une en rapport avec le type de stratégie utilisée, l’autre avec la perspective adoptée.
Affinant des classifications établies par Ervin-Tripp (1976) et House et Kasper (1981), Blum-Kulka, House et Kaper (1989 : 18) proposent un classement des requêtes en fonction de la stratégie choisie par le locuteur, et distinguent 9 types mutuellement exclusifs 98 :
La requête offre un choix varié de perspectives. Les requêtes peuvent mettre l’accent sur le rôle du solliciteur, le cliager, et être ainsi orientées vers le locuteur (speaker oriented), ou sur le rôle du sollicité – le commagent – et être donc orientées vers l’allocutaire (hearer oriented). Deux autres possibilités s’offrent au locuteur en formulant sa requête de manière inclusive – impliquant à la fois le locuteur et l’allocutaire – ou impersonnelle. Le choix d’une perspective plutôt que d’une autre modifie le statut de la requête : dans la mesure où les requêtes constituent des actes destinés à imposer quelque chose à l’interlocuteur, le fait de ne pas le désigner explicitement peut contribuer à la réduction du niveau de coercition.
Dans une optique quelque peu différente, Anderson, Aston et Tucker distinguent, pour le projet PIXI, une requête (core request) sur laquelle peuvent se greffer des éléments externes capables de précéder (request prefaces) ou suivre (request extensions) la requête elle-même (1988 : 137). Bien que la classification proposée par Blum-Kulka, House et Kasper constitue un outil descriptif de qualité, il semble que le découpage proposé par Anderson, Aston et Tucker soit davantage adapté aux données étudiées. La requête constitue, en effet, un élément central pouvant dans certaines circonstances être complété par des éléments externes. Cette vision d’éléments externes, pouvant venir se rajouter au cœur de la requête, autorise le positionnement des éléments externes indifféremment avant ou après le cœur de la requête. La position syntaxique de ces éléments externes dépend du choix du locuteur. La perspective de Blum-Kulka, House et Kasper ne permet pas de rendre compte aussi fidèlement de ce choix qu’opère le locuteur. Pour le cas des justifications de la requête, par exemple, Blum-Kulka, House et Kasper les font systématiquement figurer en tant qu’éléments précédant la requête. Une plongée dans les corpus montre que la justification peut aussi bien précéder la requête que la suivre.
Justification précédant la requête :
Corpus mairie : interaction n°5
| (3) | Client n°9 : pour les cartes d’identité qu’est-ce qu’i m’a d’mandé un acte de naissance |
Justification suivant la requête :
Corpus mairie : interaction n°6
| (2) | Cliente n°11 : moi c’est pour un bulletin de naissance avec filiation c’est pour faire renouv’ler ma carte d’identité |
En considérant les éléments de ce type comme des éléments externes à la requête, on ne leur attribue pas de place prédéfinie et ils peuvent figurer, en fonction du choix du locuteur, en amont ou en aval de la requête.
Admettre qu’il y a des éléments externes à l’acte de requête pose inévitablement la question de savoir quels sont les éléments internes, c’est-à-dire les éléments indispensables afin que le destinataire identifie l’énoncé comme une demande de faire. Deux éléments semblent requis.
‘In order to be accessible in these terms, a customer’s request must communicate the referent (i.e. what is being asked for), and that the utterance is intended as a request (Anderson, Aston & Tucker, 1988 : 138).’Le fait que le destinataire comprenne l’énoncé comme une requête ne pose pas de problèmes en ce qui concerne les données étudiées ici : de par son rôle, le commagent est placé en situation de réception et de traitement des requêtes des cliagers. Quant à l’explicitation du référent de la requête, c’est-à-dire du bien ou du service désiré, elle est supposée par le fait même de formuler une requête dans un cadre transactionnel. Il arrive d’ailleurs parfois que la requête ne soit composée que par l’explicitation du référent.
Corpus tabac-presse : interaction n°2
| (5) | Client n°3 : un p’tit Gris |
En fonction des types de biens disponibles sur tel ou tel site, le nombre des éléments indispensables afin de permettre l’identification du référent peut varier. Par exemple, pour demander un livre à la librairie-papeterie-presse, le cliager devra au minimum fournir le titre et l’auteur de l’ouvrage, la date et le lieu d’édition étant optionnels. Dans le cas du tabac cité en exemple ci-dessus, le référent ne pourra être identifié qu’à l’aide de la marque de tabac souhaitée, et de la taille du paquet si plusieurs formats sont proposés. L’absence de l’un de ces éléments nécessitera un réajustement.
‘If one of these « obligatory » elements is not provided, it generally leads to a request for clarification on the part of the assistant (Anderson, Aston & Tucker, 1988 : 139, souligné par les auteurs).’Si l’on reste sur l’exemple du tabac, lorsque la requête du cliager ne comprend pas les deux éléments requis afin de permettre l’identification du référent, la buraliste est obligée de demander au cliager de préciser l’élément manquant.
Corpus tabac-presse : interaction n°1
| (103) | Client n°2 : un Marlboro |
| (104) | Buraliste : un paquet… de dix ou de vingt |
| (105) | Client n°2 : euh: vingt vingt |
La requête du cliager est alors composée de deux énoncés, sans pour autant former une séquence.
À l’explication du référent, d’autres éléments optionnels peuvent venir s’ajouter. Ils seront considérés comme des modifications internes de la requête (Blum-Bulka, House & Kasper, 1989 : 19 ; Anderson, Aston & Tucker, 1988 : 137). Anderson, Aston et Tucker (ibid.) distinguent quatre catégories de modifieurs internes : les modaux, les variations lexicales, les enchâssements et l’usage d’intonations spécifiques. Cette typologie des modifieurs internes sera appelée à être remodelée afin de pouvoir rendre compte des requêtes soumises à analyse.
L’influence des modifieurs internes de la requête se fait ressentir de deux manières différentes. En tout premier lieu, les modifieurs internes agissent comme des indicateurs (indicating devices) (Blum-Kulka, House & Kasper, 1989 : 19), indicateurs de la valeur pragmatique, mais aussi de la valeur socio-pragmatique accompagnant l’impact social que l’énoncé requérant va avoir (Blum-Kulka, 1987 ; House, 1989). Dans un deuxième temps, grâce à leur rôle socio-pragmatique, les modifieurs internes peuvent agir en tant qu’atténuateurs 100 ayant pour but d’adoucir l’acte de langage, ou bien en tant qu’intensifieurs ayant pour but d’augmenter le degré de coercition (House & Kasper, 1981 ; Faerch & Kasper, 1989).
Pour une définition des items compris dans la catégorie des termes d’adresse, se reporter à la troisième partie.
Le classement proposé par Blum-Kulka, House et Kaser n’est pas le plus affiné qui ait été proposé : Fraser et Nolen (1981) ont répertorié 25 manières différentes de formuler une requête et ordonné leur classement de la formulation la plus indirecte à la plus directe.
La terminologie pour référer à ces atténuateurs est particulièrement floue puisque Brown et Levinson les nomme softeners (1987) quand il s’agit de downgraders pour House et Kasper (1981), ou de disarmers et sweeteners pour Trosborg (1995). Parmi l’abondante littérature, Kerbrat-Orecchioni (1992 : 196) a également relevé cajolers, compromisers et mitigators.