5.3. S’il vous plaît

Il est possible d’adoucir la formulation d’une demande par l’ajout de la lexie « s’il vous plaît », que cette demande soit considérée comme une question ou comme une requête. Or de la même manière que les pré-questions portent les désactualisateurs modaux et temporels, ce sont elles aussi qui sont suivies de « s’il vous plaît » (cf. § 5.1.2.). Ce double constat renforce l’idée selon laquelle les questions acceptent plus facilement les modifications externes que les modifications internes.

En revanche, la lexie « s’il vous plaît » accompagne fréquemment les requêtes et peut se combiner à loisir avec l’indirection et les désactualisateurs. Elle s’insère cependant plus volontiers dans les formulations elliptiques de la requête que dans les formulations indirectes. On la retrouve en effet avec 100% des requêtes elliptiques à la mairie et à La Poste, et 31.4% au tabac-presse. Ce constat avait déjà été établi par House à propos des équivalents anglais please et allemand bitte (1989 : 102).

Corpus La Poste : interaction n°9

(1) Client n°11 : un carnet s’i vous plaît

Corpus tabac-presse : interaction n°31

(7) Client n°44 : un Brooklyn s’i vous plaît

Une différence importante apparaît ici avec le corpus de la mairie collecté par Chaboud (1997) : alors que la totalité des requêtes elliptiques sont adoucies par « s’il vous plaît » dans le corpus présenté ici, seule une occurrence sur deux l’est à la mairie lyonnaise. Il est cependant difficile d’attribuer une raison à cette différence : s’agit-il d’un problème de représentativité de l’un des deux corpus ? De régionalisme ? Ou de spécificité de certains locuteurs qui modifient les données ?

« S’il vous plaît » s’ajoute aux formulations indirectes relevant de la stratégie n°6 dans 50% des cas à La Poste, et à celles relevant de la stratégie n°8 dans 50% des cas au Crédit Agricole. Les requêtes relevant de ce type contiennent alors deux atténuateurs.

Corpus La Poste : interaction n°7

(2) Cliente n°8 : vous pouvez me faire un peu de monnaie s’i vous plaît

Corpus Crédit Agricole : interaction n°38

(3) Client n°47 : ce s’rait pour pouvoir avoir une procuration s’i vous plaît

On la retrouve également en accompagnement de la stratégie n°1 dans 55.5% des cas à La Poste, 33.3% au tabac-presse, 25% à la librairie-papeterie-presse et 16.6% au Crédit Agricole. Les requêtes de ce type renferment donc trois atténuateurs.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°26

(12) Cliente n°34 : et puis je voudrais un paquet d’enveloppes... s’i vous plaît

Corpus La Poste : interaction n°23

(2) Cliente n°26 : j’aurais voulu des timbress’i vous plaît

Les deux derniers exemples sélectionnés, s’ils font bien apparaître « s’il vous plaît », soulèvent néanmoins un problème quant à l’intégration de cette lexie à la requête en tant que modifieur externe. S’il ne fait aucun doute qu’elle vient modifier la requête du cliager à La Poste, la présence d’une intonation descendante à la fin de la requête et de la micro-pause qui la précède à la librairie-papeterie-presse, pose un problème d’intégration : peut-on encore la considérer comme un modifieur externe ? Il semble évidemment difficile de la considérer autrement, bien qu’une différence soit perceptible entre les deux exemples. Ce problème peut être résolu en posant l’existence d’un degré d’intégration, le « s’il vous plaît » de l’extrait de La Poste faisant davantage partie de la requête que celui de l’extrait de la librairie-papeterie-presse.

Il en va de même pour les pré-requêtes et les pré-questions : la présence, parfois troublante d’une micro-pause et/ou d’une intonation descendante entre le pré- et la requête ou la question conduit également à poser un degré d’intégration à la demande plus ou moins prononcé. Le phénomène s’accentue avec les justifications qui sont fréquemment détachées par une intonation et une micro-pause. Et que dire des justifications qui apparaissent tardivement (cf. ci-dessus, l’exemple de l’interaction n°29 à la mairie) ? Peut-on encore, dans ce cas-là, considérer la justification comme un modifieur de la requête ?

Les résultats ainsi obtenus sur la fréquence de la lexie « s’il vous plaît » en accompagnement de la requête sont particulièrement intéressants car ils montrent que son emploi n’est systématique ni avec les requêtes elliptiques, ni avec les requêtes indirectes. Le recours à d’autres interactions en contexte transactionnel permet également d’aboutir à cette non-systématicité de l’adoucissement des requêtes par la lexie « s’il vous plaît ». En reprenant le corpus de La Poste de Dugarret (2002), on relève 16.6% de requêtes adoucies par « s’il vous plaît », 35% à la boulangerie (Sitbon, 1997), et 43.2% à l’agence des TCL (Mena, 2000). Il est tout de même intéressant de noter que le plus grand nombre d’occurrences de la lexie en accompagnement de la demande se rencontre sur les sites de grande affluence : boulangerie et agence TCL où les participants sont normalement astreints au principe de célérité. Ce constat permet de préciser cette notion de principe de célérité qui ne doit pas être confondue avec celle de minimalisme. Ainsi, pour toute interaction de commerce et de service, il existe un script minimal, une sorte de « squelette », sur lequel peuvent venir se greffer un certain nombre d’éléments supplémentaires. Respecter le principe de célérité, c’est avant tout se conformer au minimalisme du script, sans pour autant ôter des éléments nécessaires au bon fonctionnement de l’interaction. Cet exemple emprunté à Sibon (1997 : 99) suit à la lettre le script minimal de l’interaction : aucun élément superflu n’apparaît.

B = boulangère ; C = client

1C bonjour
2B bonjour
3C une baguette s’il vous plaît
4B quatre quatre vingt s’il vous plaît (caisse) merci
5C merci au r(e)voir
6B au r(e)voir

Or dans les manuels de didactique et de FLE (Français Langue Étrangère) plus particulièrement, elle accompagne toujours la requête, quelle que soit sa forme.

  M. et Mme Martin déjeunent au petit restaurant du village.
M me Martin (au garçon) : je voudrais une omelette aux champignons, s’il vous plaît
[…]
Le garçon : vous buvez du vin ?
M. Martin : non, de l’eau. Une carafe, s’il vous plaît ! 116

Cette remarque porte à croire que les manuels de FLE offrent uniquement des dialogues fabriqués aux apprenants et donne toute sa valeur à l’analyse des conversations authentiques.

Les atténuateurs laissent ainsi la possibilité au cliager de formuler une requête sans avoir à se montrer trop directif envers le commagent au cas où le contexte transactionnel ne suffirait pas à effacer complètement le caractère directif et menaçant de la requête.

L’étude des modifications externes des requêtes conduit aux mêmes hypothèses interprétatives et conclusions que l’étude des modifications internes : plus les cliagers sont familiers avec le script, plus ils perçoivent les interactions comme étant routinisées, et moins les modifications paraissent utiles. À la mairie, où les interactions semblent être les moins routinisées de toutes les interactions soumises à analyse, 25% des requêtes sont accompagnées d’une pré-requête et 41.6% d’une justification ; à La Poste, on a respectivement 23.1% et 24% ; et au Crédit Agricole, 12% et 23.1%. L’étude des modifications internes des requêtes avait déjà conduit au même type de classement des interactions de commerce et de service.

Les demandes d’information, quant à elles, semblent peu propices aux justifications. Une seule question principale à la mairie fait l’objet d’une justification.

Corpus mairie : interaction n°19

(5) Cliente n°24 : euh j’ai égaré mes livrets de famille
(6) Guichetière n°2 : mhm
(7) Cliente n°24 : est-ce qu’i faut faire un duplicata

En tant que tentative d’imposition d’un faire, la requête semble donc devoir être davantage justifiée que la question : les cliagers expliquent plus fréquemment quels sont les motifs qui les ont conduits à devoir faire faire quelque chose au commagent que ceux qui les ont conduits à venir solliciter une information. Ils ont donc l’air de considérer la réalisation d’une requête comme plus coûteuse pour le commagent et plus improbable que la réponse à une question, d’où les différences constatées au niveau des justifications accompagnant les requêtes et les questions.

Notes
116.

Dominique P., Girardet J., Verdelhan M. & Verdelhan M., 1988, Le nouveau sans frontières 1, Paris : CLE international, 64.