6.2. Les questions co-construites

Les cas de co-construction de la question sont beaucoup moins fréquents que ceux de co-construction de la requête : seuls un cas au Crédit Agricole et un autre à la mairie ont pu être relevés. La maxime de quantité semble donc davantage respectée par les cliagers lorsque la demande concerne un « bien linguistique ».

Corpus Crédit Agricole : interaction n°28

(2) Client n°33 : ce s’rait pour un renseignement… je voudrais savoir si la:: la responsabilité civile… prend en compte les accidents du:… pour un animal (silence 3’’)
(3) Attachée de clientèle n°3 : provoqués par un animal

Corpus mairie : interaction n°32

(3) Cliente n°38 : c’était pour un renseignement s’il vous plaît… est-ce que je peux avoir un duplicata de::… (claquement de langue)… de livret de famille
(4) Guichetière n°2 : oui
(5) Cliente n°38 : de madame euh… madame Pierrette euh Martin
(6) Guichetière n°2 : mais de vous-même =
(7) Cliente n°38 : = mhm =
(8) Guichetière n°2 : = pour vous
(9) Cliente n°38 : oui… pour moi
(10) Guichetière n°2 : c’est:… vous z’êtes madame Martin

Une autre différence apparaît entre les requêtes et les questions : de nombreuses requêtes sont mal formulées et donnent lieu à une petite négociation entre les commagents et les cliagers afin de permettre l’identification d’un référent acceptable alors que peu de questions principales donnent lieu à ce genre de négociation. Les cliagers savent apparemment mieux formuler leurs demandes de dire que leurs demandes de faire. À signaler tout de même que les négociations auxquelles donnent lieu l’identification du référent sont assez courtes car elles portent sur un objet existant matériellement, et dont le cliager a également une idée bien précise. Il a simplement du mal à « mettre en mots » la représentation de cet objet. D’autres interactions de commerce ou de service peuvent donner lieu à des négociations beaucoup plus longues lorsque le référent n’est pas un objet en tant que tel et qu’il doit être établi conjointement par le cliager et le commagent. C’est notamment le cas dans les salons de coiffure au moment de la négociation de la coupe.

Exemple emprunté à Carcel (1998 : 121)

A = apprentie coiffeuse ; C = cliente

7A alors dites-moi qu’est-ce que vous avez envie
8C i faut les couper vous voyez parce que mais alors je voudrais pas dégradés si c’est possible j’sais pas mais un peu long de là pas un dégradé voyez pas court heu:::
9A oh là là
10C je sais pas si c’est possible pas trop court de là
11A vous avez plus envie de dégrader
12C non pas de dégradé (inaudible)
13A mais vous allez =
14C = je sais pas
15A vous voulez quelque chose de lisse
16C un p’tit peu enfin heu::: enfin sur les bords (inaudible) pas très bouclé plutôt lisse (inaudible) (12’)
17A oui mais ça va pas vraiment aller avec le devant parce que (.) bon devant vous aimez un mouvement vous aimez comme ça
18C (inaudible) (9’)
19A j’ vais vous montrer des modèles parce que::: (..) non mais à partir du moment où c’est long heu::: dans la nuque (.) c’est quelque chose de lisse et j’ vous sens pas bien dans quelque chose de lisse vous allez aimer ça
20C (inaudible) quand c’est très court de là tout d’ suite ça =
21A = ah oui non mais bon entre très court et laisser tout long
22C oui enfin non peut-être pas tout long oui mais =
23A = par rapport à votre forme de visage vous avez quand même au niveau du profit besoin de volume ici et si je fais long ça va être je sais pas je je:::
24 (elle cherche des modèles) (23’)
25A alors je vous montre ce que c’est qu’un carré hein derrière
26C oui (inaudible) un dégradé très net =
27A = mais regardez celle-ci c’est long dessus et c’est dégradé là ça vous aimez pas
28C oui si là [justement c’est là c’est là que j’ veux qu’ ce soit un p’tit peu [long un p’tit peu long là
29A [si vous aimez ça [d’accord
30C si là j’ veux bien un [p’tit peu
31A [là je peux quand même dégrader [parce que vous voyez j’ vous vois pas tout
32C [oui oui oui
33A long comme ça j’ vous sens pas que ce soit tout dégradé là =
34C = non non non non pas comme ça non non mais ce que je veux pas c’est que ce soit tout dégradé là =
35A = d’accord ok

Tous ces exemples, y compris celui du salon de coiffure, mettent en relief la qualité d’expert du commagent. Le commagent détient le pouvoir dans les interactions avec les cliagers, pouvoir considérable puisqu’il lui permet de contrôler l’interaction (Dumas, à paraître a). Ce pouvoir peut prendre deux formes : celle du pouvoir formel, le pouvoir de statut autorisé car seul le commagent a le pouvoir de mener à bien les transactions, et celle du pouvoir d’expertise et de contrôle du script qu’il exerce d’un bout à l’autre de la transaction.