En fonction du site, deux possibilités s’offrent aux cliagers afin d’obtenir le bien ou le service convoité. Ces deux possibilités peuvent faire l’objet d’un choix de la part du cliager, ou bien l’une d’entre elles peut être imposée par le site. Les cliagers peuvent donc se procurer le bien requis en se servant eux-mêmes dans les rayons quand les biens sont en libre-service, ou en formulant une demande auprès d’un commagent. Généralement, comme indiqué au chapitre 3, le cliager doit s’adresser à un commagent et formuler une requête afin que celui-ci le serve. Mais le libre-service est également une possibilité qui n’est offerte au cliager qu’à la librairie-papeterie-presse et au tabac-presse, et pour certains articles seulement. Dans ce cas, le geste praxique nécessaire au libre-service ne s’inscrit pas dans un échange : le cliager se retrouve seul pour effectuer son geste et n’attend aucune réaction de la part du commagent. En revanche, si une demande est émise auprès du commagent, la première partie de la transaction est prise en charge par le cliager qui exprime la nécessité d’un besoin à satisfaire et formule une demande au commagent qu’il a sélectionné comme individu ayant la capacité de satisfaire ce besoin. Quelle que soit la forme que prend la demande du cliager – question, requête verbale, non-verbale ou mixte – elle constitue un acte initiatif appelant une réponse de la part du commagent. La réponse préférée est évidemment la satisfaction de la demande.
‘For requests, compliance appears to be the preferred response, while non-compliance (refusal) is dispreferred (Anderson, Aston & Tucker, 1988 : 143).’L’analyse conversationnelle définit généralement les réponses préférées comme étant systématiquement recherchées (pursue) (Pomerantz, 1984b) alors que les réponses non-préférées sont systématiquement évitées et réparées si elles n’ont pu être évitées. Dans une critique du parallèle dressé par Leech (1983) entre les éléments préférés et non-marqués, et les éléments non-préférés et marqués 129 , Merlini Barbaresi (1988) pose que l’action sous-jacente à l’interaction de commerce ou de service nécessite une coopération entre le commagent et le cliager pour parvenir à la réalisation du but transactionnel. Pour ce faire, les participants doivent privilégier les réponses préférées.
‘This allows us to expect strategies on the side of the two interactants jointly leading to a situation where agreements, positive responses and compliances are the unmarked options (ibid., 178).’Il semble donc que la réponse préférée à une demande en contexte transactionnel soit la délivrance du bien, qu’il s’agisse d’un bien verbal ou non-verbal (Anderson, Aston & Tucker, 1988 : 143). Les résultats obtenus pour les corpus soumis à analyse vont dans le même sens : seules 7.6% des demandes à la librairie-papeterie-presse, 4% à La Poste, 2% à la mairie et 1.6% au tabac-presse ne trouvent pas de réponse préférée, c’est-à-dire que le bien ou le service demandé n’est pas disponible ou pas accessible au commagent. Les réponses non-préférées, peu nombreuses, vont être traitées immédiatement.
Toutes les demandes non satisfaites donnent effectivement lieu à réparation, excepté une demande non satisfaite au tabac-presse car le produit n’est pas disponible, et une autre à la mairie où le bien requis est une information accessible au commagent mais non transmissible au cliager.
Corpus tabac-presse : interaction n° 29
| (2) | Client n°54 : je voudrais un paquet de… Kim orange s’i vous plaît (pause 3’’) |
| (3) | Buraliste : j’ai pas |
Corpus mairie : interaction n° 29
| (14) | Client n°35 : donc je voudrais savoir si i z’existent toujours: euh… ses enfants |
| […] | |
| (72) | Guichetière n°5 : non je peux pas vous dire |
Les commagents admettent leur impossibilité à fournir le bien ou le service requis sans se justifier, ni fournir d’explication. Ils ne s’excusent pas non plus.
Dans tous les autres cas où la demande du cliager n’est pas satisfaite, le commagent offre une réparation, réparation qui peut se manifester de trois manières différentes.
Corpus La Poste : interaction n°17
| (2) | Client n°19 : je voudrais faire un retrait |
| […] | |
| (10) | Guichetière : je peux:… rien vous donner |
| […] | |
| (12) | Guichetière : pa’ce que vous z’avez déjà retiré dans d’aut(res) bureaux (pause 2’’) donc vous z’avez dû dépasser le: |
L’explication fournie par la commagente de La Poste peut être considérée comme une réparation dans la mesure où elle ne confronte pas le cliager à un simple refus injustifié, comme le fait la commagente de la mairie dans l’exemple cité ci-dessus, par exemple.
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°27
| (2) | Client n°35 : je::: cherchais Philippe Alexandre (silence 3’’) |
| […] | |
| (5) | Vendeuse : ouais... si c’est politique j’aurais pas ça |
| […] | |
| (11) | Vendeuse : je suis désolée |
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n° 39
| (2) | Client n°53 : est-ce que vous z’avez des toutes petites calculatrices mais euh… vous savez les toutes simples là… pour:: |
| […] | |
| (9) | Vendeuse : ah oui… non je fais pas ça |
| […] | |
| (13) | Vendeuse : désolée |
L’expression du refus du commagent d’accéder à la demande du cliager est accompagnée par une excuse visant à atténuer l’expression de ce refus.
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°31
| (3) | Cliente n°44 : vous z’avez que ça comme recharges pour les z’agendas comme ceci |
| […] | |
| (8) | Vendeuse : pa’ce que c’est pas… c’est pas... un article de papeterie |
| […] | |
| (12) | Vendeuse : ben: en général ça se recharge pas ça |
| (13) | Cliente n°44 : d’accord... bon (rires) merci |
| (14) | Vendeuse : je suis désolée: hein |
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°33
| (1) | Client n°46 : vous z’avez des petits z’agendas::: (inaudible) les jours (pause 2’’) tout simple... normal... j’en sais rien moi... grand comme ça |
| […] | |
| (8) | Vendeuse : eh ben non ... c’est qu’au mois de septembre ou au mois de décembre les tr- les choses comme ça hein |
| […] | |
| (45) | Vendeuse : désolée |
Cette forme réparatrice est la plus complète : la commagente fournit tout d’abord une explication destinée à justifier l’impossibilité d’accéder favorablement à la demande du cliager et la fait suivre d’une formule d’excuse généralement conclusive.
L’analogie entre ces notions semble propre à Leech car la théorie de la préférence organisationnelle (Schegloff, Jefferson & Sacks, 1977 ; Pomerantz 1978 et 1984a ; Wootton, 1981) ne l’admet pas.