2. Le paiement

La réaction du cliager à la requête d’argent du commagent consiste à fournir la compensation financière qui lui permettra de repartir avec les biens. Le paiement s’effectue toujours de manière non-verbale : il s’agit d’un faire réalisé au moyen de gestes praxiques. Le cliager cherche dans son porte-monnaie ou dans son portefeuille. Dès qu’il a trouvé ce qu’il cherchait – que ce soit l’appoint ou non – le cliager doit mettre l’argent à la disposition du commagent. À La Poste, le cliager n’a qu’une seule possibilité de faire parvenir l’argent au commagent : il doit le glisser par la trouée de la vitre de l’hygiaphone. À la librairie-papeterie-presse et au tabac-presse, deux possibilités s’offrent au cliager : il peut déposer l’argent sur le ramasse-monnaie – ou sur les articles qui sont fréquemment posés sur le ramasse-monnaie – ou le remettre au commagent de la main à la main, à condition que le commagent comprenne les intentions du cliager et accepte de tendre la main. Les films réalisés à la librairie-papeterie-presse aident à comprendre ce qui se passe à ce moment-là : la commagente tient généralement la main droite serrée à proximité du ramasse-monnaie. Elle suit des yeux la trajectoire de la main du cliager et reste immobile si la main du cliager se dirige vers le ramasse-monnaie.

Extrait corpus vidéo librairie-papeterie-presse :

La main de la vendeuse est immobile. Le cliager pose une pièce sur sa revue.
La main de la vendeuse est immobile. Le cliager pose une pièce sur sa revue.
La main de la vendeuse reste immobile jusqu’au moment où la pièce est posée et où elle effectue un mouvement en avant pour la prendre.
La main de la vendeuse reste immobile jusqu’au moment où la pièce est posée et où elle effectue un mouvement en avant pour la prendre. Extrait disponible sur le CD-Rom sous le fichier Extrait5.mov.

En revanche, si la main du cliager se dirige vers la sienne, elle se trouve dans une position où il lui est très facile d’ouvrir rapidement sa propre main afin de réceptionner l’argent.

Extrait corpus vidéo librairie-papeterie-presse :

La main de la vendeuse est serrée. Elle suit la main du cliager des yeux.
La main de la vendeuse est serrée. Elle suit la main du cliager des yeux.
Lorsqu’elle comprend que la main du cliager se dirige vers la sienne, elle l’ouvre pour réceptionner le billet.
Lorsqu’elle comprend que la main du cliager se dirige vers la sienne, elle l’ouvre pour réceptionner le billet. Extrait disponible sur le CD-Rom sous le fichier Extrait6.mov.

La buraliste, elle, a recours à une stratégie similaire faisant cependant intervenir une petite variante : elle tient sa main posée à plat sur le ramasse-monnaie et parvient tout aussi rapidement à la retourner pour que le cliager dépose l’argent dans la paume de sa main.

En fonction de la somme donnée par le cliager, l’acte de paiement peut s’interrompre ici avec l’appoint que le commagent n’a plus qu’à ranger dans son tiroir-caisse, ou se poursuivre par un rendu de monnaie.

Si le cliager a l’appoint, il peut le donner simplement en le posant sur le ramasse-monnaie ou en le tendant au commagent. C’est généralement le cas lorsque celui-ci a préparé sa monnaie à l’avance.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°6

(5) Vendeuse : alors quinze francs
  (( Le client pose quinze francs sur le ramasse-monnaie. ))

Corpus La Poste : interaction n°4

(3) Guichetière : deux soixante-dix: (pause 7’’)
  (( La guichetière prend le classeur dans lequel sont rangés les timbres et en sort un. La cliente ouvre son enveloppe et vide de la petite monnaie sur le guichet puis fait glisser les pièces sous la vitre. La guichetière se lève et compte la monnaie en la ramassant. ))

Le cliager peut également accompagner son geste praxique par un marqueur de structuration. Ce type d’accompagnement verbal est tout de même assez rare et ne se rencontre que dans 9.5% des cas où le cliager donne l’appoint à La Poste, 4.8% à la librairie-papeterie-presse, et 3.6% au tabac-presse. Le geste praxique est toujours accompagné de « voilà ». Son apparition un peu plus fréquente à La Poste en accompagnement de l’appoint peut sans doute se justifier par la présence de l’hygiaphone. Il est indéniable qu’il représente une gêne auditive, gestuelle et visuelle pour les interactants. En accompagnant verbalement son geste praxique, le cliager attire en quelque sorte l’attention de la commagente sur le fait qu’il vient de glisser l’argent par la trouée dans la vitre et qu’elle peut le prendre.

Corpus tabac-presse : interaction n°13

(15) Buraliste : alors vingt et un
(( Le client n°17 pose l’appoint sur le ramasse-monnaie. ))
(16) Client n°17 : voilà

Corpus La Poste : interaction n°27

(15) Guichetière : trois francs…s’il vous plaît
  (( Le client glisse la monnaie sous la vitre. ))
(16) Cliente n°31 : voilà

Lorsque le cliager n’a pas préparé l’appoint, il est amené à chercher dans son porte-monnaie, ou son portefeuille et sort généralement une par une des pièces qu’il pose sur le ramasse-monnaie. Ces gestes praxiques sont fréquemment accompagnés d’un autre type de verbalisation : le comptage des pièces. Ce comptage effectué à voix haute par le cliager lui est bien sûr destiné afin de savoir où il en est, mais il s’adresse également au commagent afin que celui-ci puisse vérifier qu’il y a bien correspondance entre les pièces posées par le cliager sur le ramasse-monnaie et le compte qu’il est en train d’effectuer. Ce type de verbalisation n’est pas très fréquent non plus : il n’apparaît que dans 6.2% des cas où le cliager donne l’appoint au tabac-presse, et 3.5% à la librairie-papeterie-presse. Aucune verbalisation de ce genre n’apparaît à La Poste, vraisemblablement à cause de la présence de l’hygiaphone.

Corpus tabac-presse : interaction n°22

  (( La cliente n°32 commence à sortir les pièces qu’elle pose sur le ramasse-monnaie. ))
(20) Cliente n°32 : dix… douze (pause 2’’) treize…quatorze

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°2

  (( Le client fouille dans son porte-monnaie et commence à sortir ses pièces qu’il pose sur le ramasse-monnaie. ))
(7) Client n°2 : quat(re)… cinq… six… sept

Le fait que le cliager n’ait pas l’appoint ne change que peu de choses à sa manière de donner l’argent : il peut tout aussi bien le poser sur le ramasse-monnaie que le glisser dans la main des commagents. Les cas d’accompagnement verbal sont cependant beaucoup plus rares : un seul cas faisant intervenir le marqueur de structuration « voilà » a pu être relevé dans le corpus librairie-papeterie-presse.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°41

(15) Vendeuse : cent quatre-vingt-dix-neuf
  (( Le client pose un billet de deux cents francs sur le ramasse-monnaie. ))
(16) Client n°56 : voilà

Si le cliager n’a pas l’appoint, le commagent doit lui rendre la monnaie. Le rendu de monnaie est fréquemment accompagné par un comptage verbal du commagent utile pour lui-même comme pour le cliager afin de vérifier qu’il n’y a pas d’erreur. Ici encore, la disposition des sites implique une différence qui dépend de facteurs contextuels.

À La Poste, la présence de l’hygiaphone ne permet pas aux cliagers de visualiser les gestes des commagents. Ils préparent donc leur monnaie silencieusement – sauf en cas de superposition avec un module conversationnel – et ne produisent l’accompagnement verbal qu’au moment où ils refont le compte devant le cliager pour vérification. Ce comptage à voix haute accompagne 91.4% des rendus de monnaie. Les commagents de La Poste sont donc amenés à recompter la monnaie deux fois de suite.

Corpus La Poste : interaction n°1

  (( La guichetière pianote sur son clavier d’ordinateur puis range le billet dans sa caisse et prépare la monnaie. Elle fait le compte devant l’hygiaphone. ))
(64) Guichetière : trente… cinquante… et cent francs
  (( Elle glisse la monnaie sous la vitre. ))

À la librairie-papeterie-presse et au tabac-presse, la disposition de la caisse enregistreuse sur le comptoir-caisse permet au cliager d’exercer un contrôle visuel – et auditif en cas de verbalisation – sur la monnaie que prépare le commagent. La verbalisation se superpose donc à la préparation de la monnaie et est suivie du geste praxique de dépôt sur le ramasse-monnaie ou de remise dans les mains du cliager dans 82.4% des cas de rendu de monnaie à la librairie-papeterie-presse, et 67.8% au tabac-presse.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°24

  (( La vendeuse ramasse le billet de la cliente et le tient à la main tandis qu’elle rend la monnaie à la cliente. ))
(13) Vendeuse : soixante-neuf soixante-dix…et trente qui font cent
  (( La vendeuse pose la monnaie sur le ramasse-monnaie. La cliente la range dans son porte-monnaie. ))

Corpus tabac-presse : interaction n°9

  (( Le client n°11 pose un billet de deux cent francs sur le ramasse-monnaie. La buraliste le prend et le range dans la caisse. ))
(7) Buraliste : et trente… cinquante… et deux cents
  (( Elle pose la monnaie sur le ramasse-monnaie. ))

Extrait corpus vidéo librairie-papeterie-presse :

La vendeuse enregistre le montant des articles sur la caisse enregistreuse. Le cliager pose un billet de cinquante francs sur le journal.
La vendeuse prend le billet posé par le cliager.
La vendeuse prend le billet posé par le cliager.
La vendeuse prépare la monnaie en la comptant à voix haute…
La vendeuse prépare la monnaie en la comptant à voix haute…
… puis la remet au cliager qui tend la main.
… puis la remet au cliager qui tend la main.

La visualisation d’un rendu de monnaie en images montre qu’au moment de la remise de l’argent au cliager – ou du dépôt sur le ramasse-monnaie – les commagents remercient généralement le cliager.

Notes
150.

Extrait disponible sur le CD-Rom sous le fichier Extrait5.mov.

151.

Extrait disponible sur le CD-Rom sous le fichier Extrait6.mov.