Le problème qui se pose est de savoir ce que l’on admet réellement comme salutation d’ouverture car si la salutation évoque souvent un item verbal, dans certaines situations, la salutation verbale peut être accompagnée par un geste tel qu’une poignée de mains ou une bise, lequel peut éventuellement se substituer à l’énoncé et fonctionner comme une salutation. Ces gestes sont très peu attestés dans les corpus et semblent plutôt réservés à des situations moins formelles où les participants entretiennent une relation plus intime. En rapport avec le caractère plus intime de la relation nécessaire à ce genre de manifestations gestuelles, on peut signaler le cas du Crédit Agricole qui en est une parfaite illustration. En effet, il n’y a pas de poignée de mains échangée entre les attachés de clientèle et les cliagers alors que tout entretien entre un conseiller de clientèle et un cliager débute systématiquement par une poignée de main. Il est vrai que conseillers de clientèle et cliagers sont plus proches à partir du moment où un conseiller de clientèle est « attaché » à un cliager et qu’avec le suivi, une certaine relation finit par s’établir entre eux. Au guichet, en revanche, le cliager est souvent servi par des attachés de clientèle différents. Cependant, ce qui semble encore plus important à ce niveau tient au fait que les cliagers ont normalement pleine confiance en leur conseiller, et cela crée des liens. Il est possible de trouver une trace verbale de cette relation : lorsqu’on dit « mon banquier », on ne fait pas référence à l’attaché de clientèle qui va nous remettre un chéquier ou effectuer une opération pour nous, mais au conseiller qui assure la gestion de nos comptes.
De plus la poignée de main semble davantage réservée aux hommes et l’échange de bises aux femmes ou bien aux situations asymétriques faisant intervenir une femme et un homme 165 , même si elle est autorisée entre hommes s’ils appartiennent à la même famille. Il faut également tenir compte de la configuration du site qui peut les proscrire. À La Poste, par exemple, l’échange de bises est totalement impossible en raison de l’hygiaphone. Dans les autres sites, le guichet constitue lui aussi un obstacle : en fonction de sa largeur, il pourra les autoriser ou les empêcher.
Le Petit Robert (2000) définit la salutation comme l’acte d’adresser une marque extérieure de reconnaissance, de civilité et de respect à autrui. En contexte transactionnel, l’entrée dans le lieu clos et la pénétration du territoire qui en découle supposent le début d’une interaction verbale, d’après la distinction que fait Goffman à propos de l’orientation qu’impliquent les salutations lors d’une rencontre. La salutation est ainsi orientée essentiellement vers l’avant 166 . Cette orientation vers l’avant est attestée dans tous les cas de figure puisqu’elle se confirme même dans les situations où les participants ont déjà une histoire conversationnelle. En effet, leur présence au sein de l’espace formel a pour but une transaction, qu’elle soit d’ordre matériel ou immatériel et commercial ou non, et non pas simplement une conversation.
Cette marque extérieure de reconnaissance orientée vers l’avant peut revêtir la forme de salutations verbales ou de salutations non-verbales.
Il convient par ailleurs de signaler que l’échange de bises est surtout pratiqué en France et qu’il peut s’avérer inconvenant pour des individus ayant d’autres coutumes, comme le signale Kerbrat-Orecchioni : « Parmi les comportements relationnels des Français, la "bise" est considérée par les étrangers comme très caractéristique (et pour certains choquante) » (1994 : 73).
« Les salutations associées aux rencontres regardent dans deux directions : en arrière vers la relation, mais aussi en avant, vers la période d’accroissement de l’accès mutuel qui vient de commencer » (Goffman, 1973b : 86).