1.1. Les ouvreurs non-verbaux

Les salutations non-verbales sont peu nombreuses en contexte transactionnel. De plus, les occurrences relevées s’avèrent particulièrement difficiles à traiter, en raison de l’absence d’enregistrements vidéo pour tous les sites. Les remarques qui suivent sont donc établies à partir des notes prises au cours des séances d’enregistrement et doivent, par conséquent, être supposées incomplètes.

Les situations dans lesquelles la poignée de main ou le sourire se substituent à l’énoncé verbal sont très peu attestées dans les corpus. Ils semblent plutôt réservés à des situations moins formelles où les participants entretiennent une relation plus intime. En réalité, un seul cas de poignée de mains est attesté dans les corpus, et il convient de signaler le caractère intime de la relation qui semble unir les participants : pour le premier exemple, « salut » au lieu de « bonjour », poignée de mains, et « tu es revenu » qui implique que le cliager avait connaissance du départ du commagent ; pour le second exemple, le commagent sort de l’espace qui lui est réservé pour aller faire la bise à la cliagère.

Corpus mairie : interaction n°28

(62) Guichetier n°3 : salut Pierre
  (( Le guichetier n°3 vient se placer debout à côté de la guichetière n°5. Il serre la main du client. ))
(63) Client n°33 : t’es rev’nu

Corpus Crédit Agricole : interaction n°6

(1) Attaché de clientèle n°1 : bonjour (silence 3’’)
  (( L’attaché de clientèle n°1 se lève, passe de l’autre côté du guichet et va faire la bise à la cliente n°6. ))

Dans les cas rapportés, il n’y a pas vraiment de troncation, tout au plus un effet d’inachèvement de l’échange de salutations verbal puisque la réponse verbale ne trouve pas d’écho verbal mais un témoignage de proximité.

Dans un autre exemple, la salutation non-verbale n’accompagne pas un énoncé verbal mais se substitue à lui en tant que formule réactive.

Corpus tabac-presse : interaction n°32

  (( La sonnette de la porte d’entrée retentit. ))
(1) Buraliste : bonjour (sourire)
(2) Cliente n°45 : (sourire)

C’est un exemple un petit peu particulier et d’ailleurs très inhabituel. Le fait qu’une troncation soit ressentie dépend en fait des individus en présence. La buraliste déclare n’en ressentir aucune car un sourire vaut bien une salutation. Firth (1972 : 34) abonde d’ailleurs dans le sens de la buraliste puisque selon lui, peu importe la forme que prend la salutation, l’essentiel étant qu’il y ait une réponse. S’il y a troncation, elle est effectivement ressentie de façon beaucoup moins nette que s’il n’y avait pas de sourire pour compenser l’absence de salutation verbale.

Les sourires sont très fréquents, surtout de la part des commerçants, et plus rarement de la part des agents et guichetiers ou des cliagers, mais ils ne remplacent pas d’énoncés verbaux : ils accompagnent la salutation comme en témoigne l’intervention de la buraliste dans l’exemple cité ci-dessus.

‘« Le bonjour appuyé par le sourire » de la guichetière veut manifester que la Maison est heureuse de vous servir en tant que son client. Se sentant en confiance, le client répond d’emblée à son sourire par un sourire en lui disant bonjour (Gaston, 2000 : 104).’

Peu de sourires apparaissent dans les transcriptions de la part des cliagers. Il se peut que ceux-ci sourient moins fréquemment, mais il se peut également que mon attention se soit portée involontairement sur une observation plus fine du comportement des commagents que des cliagers. Toutefois, en plus du signal visuel, le sourire émet également un signal acoustique localisé dans les trois premiers formants (Aubergé & Cathiard, 2003 : 94-95). En plus de se voir, le sourire s’entend donc. Cette double propriété fait du sourire un marqueur de politesse à part entière. Il semble bien, d’après une écoute attentive des salutations d’ouverture, que ce signal acoustique accompagne plus fréquemment les salutations des commagents que celles des cliagers. Ceci ne signifie cependant pas que les cliagers ne sourient pas en saluant : peut-être le font-ils également, mais avec une intensité moindre, rendant donc la perception de ce signal acoustique difficile à l’oreille. Seule une étude prosodique permettrait d’affirmer ou d’infirmer cette hypothèse.

De même, le fait que les sourires des commerçants ne trouvent que rarement un écho chez les cliagers doit-il conduire à la conclusion que les cliagers ne font pas confiance aux commerçants ? Selon Soares (2000 : 107), l’absence de réponse du cliager à un sourire implique la non-reconnaissance du travail du commagent. Il semble plutôt qu’il soit fonction de la tâche qui incombe aux participants – le commagent doit se montrer accueillant – ainsi que de la relation qu’entretiennent les participants. En effet, au tabac-presse où les interactants se connaissent bien, les sourires réciproques sont habituels, et c’est l’occasion pour la buraliste de demander de ses nouvelles à son cliager.