2.2. Les assertions de salutation

Parmi les assertions de salutation, Kerbrat-Orecchioni (1994 : 55) distingue plusieurs sous-catégories : les commentaires sur le temps qu’il fait, sur l’apparence physique de l’interlocuteur, ou son activité du moment.

Ce type de commentaires doit être distingué des réponses aux questions de salutation faisant intervenir la météorologie dans la mesure où il ne vient pas en réponse à une question. Il est introduit immédiatement après l’échange de salutations et juste avant l’exposé du but de l’interaction ; c’est ce qui lui confère un statut de salutation complémentaire.

Corpus Crédit Agricole : interaction n°20

(1) Attachée de clientèle n°2 : bonjour madame
(2) Cliente n°22 : bonjour
(3) Attachée de clientèle n°2 : vous nous z’am’nez pas le soleil
  (( La cliente n°22 ouvre son sac à main et en sort son chéquier qu’elle pose sur le guichet. ))
(4) Cliente n°22 : ben non… je voudrais r’tirer trois cents francs
(5) Attachée de clientèle n°2 : c’est les giboulées de mars [qui commencent
(6) Cliente n°22 : [ah oui

À noter, comme c’est d’ailleurs le cas dans l’exemple cité ci-dessus que ce commentaire météorologique peut, une fois initié, se superposer avec la réalisation du but, mais cette superposition n’est toujours que de courte durée.

Les commentaires sur l’apparence physique de l’interlocuteur ou sur son activité du moment peuvent être regroupés sous la notion de commentaire de site définie par Traverso comme

‘un acte indirect (sa valeur illocutoire de demande d’explication est seconde et elle est calculée à partir des données de la situation de communication) (1996 : 122).’

Ils concernent généralement un élément nouveau, un changement concernant l’un des participants qu’il semble important de remarquer et de faire savoir que l’on a remarqué, comme pour prouver son intérêt pour l’interlocuteur. Goffman signale cet état de fait à propos des relations entre le personnel médical et les malades en milieu hospitalier.

‘Lié aux salutations, il y avait le fait de « remarquer » tout changement d’aspect, de statut ou de réputation, comme si un tel changement avait représenté un engagement de la part de l’intéressé, que le groupe devait contresigner (1974 : 64).’

Plus largement, ces commentaires de site s’inscrivent dans ce que Goffman appelle des rites de présentation (ibid.) et visent à marquer un témoignage d’intérêt envers son interlocuteur. Ces FFAs émis par les cliagers sont centrés sur la situation de communication, et en particulier sur la modification d’un des éléments du site. Il s’agit en l’occurrence du changement de l’un des participants ratifiés qui se trouve en position institutionnelle, ou de la présence d’un participant inhabituel : l’observatrice. Ils ne sont attestés que dans les corpus librairie-papeterie-presse et tabac-presse, et de manière inégale, la primauté de ces marques de déférence revenant aux cliagers de la librairie-papeterie-presse.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°6

(1) Vendeuse : bonjour mon:sieur
(2) Client n°9 : bonjour... c’est vous qu’êtes de garde aujourd’hui

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°32

(1) Vendeuse : bonjour mon [sieur
(2) Client n°45 : [messieurs dames... bonjour... oh: on a r’pris du service

Corpus tabac-presse : interaction n°30

(4) Client n°43 : (voix faible) bonjour ma sœur (sourire)
(5) Buraliste : bonjour mon père (pause 2’’)
(( Le client n° 43 qui a remarqué l’observatrice se met à la regarder fixement. ))
(6) Client n°43 : oh:: vous z’avez une… petite jeune comme ça
(7) Buraliste : oui… une jeune fille n’est-ce pas
(8) Observatrice : (rires étouffés) bonjour monsieur
(9) Client n°43 : [bonjour:
(10) Buraliste : [la fait pas rougir
(11) Client n°43 : une petite jeune comme ça… elle est mignonne comme tout
(12) Buraliste : oui… c’est vrai

On peut d’ailleurs souligner, à partir des suggestions de Traverso, que ces commentaires de site ont un statut un peu particulier. Ils fonctionnent à la fois comme une question totale non pertinente alors qu’ils cachent en fait une question partielle.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°7

(1) Vendeuse : bonjour monsieur
(2) Client n°10 : bonjour: (pause 2’’) mad’moiselle (pause 4’’) de corvée

Cet énoncé du cliager fonctionne comme une question totale non pertinente à valeur de constatation qui peut être glosée par « ah tiens, c’est vous qui servez aujourd’hui! ». Mais il a également une valeur illocutoire de demande d’explication : « où sont donc passés les patrons ? ». En effet, la curiosité pousse les cliagers à en savoir plus sur le pourquoi de l’absence des commagents. Leur question n’est pas ouvertement posée, mais elle est implicite et sous-entendue. Par habitude, et par souci du respect de la vie privée des commagents, la vendeuse enchaîne toujours sur la valeur locutoire d’assertion et néglige complètement l’aspect interrogatif de l’énoncé.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°7

(1) Vendeuse : bonjour monsieur
(2) Client n°10 : bonjour: (pause 2’’) mad’moiselle (pause 4’’) de corvée
(3) Vendeuse : ah: oui chacun son tour
(4) Client n°10 : c’est bien... c’est bien ça

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°32

(1) Vendeuse : bonjour mon [sieur
(2) Client n°45 : [messieurs dames... bonjour... oh: on a r’pris du service
(3) Vendeuse : oui:::
(4) Client n°45 : (rires) oh c’est bien

Bien qu’insatisfaits de la réponse de la vendeuse, la plupart du temps, les cliagers s’en tiennent là et poursuivent l’interaction soit en allant prendre leur(s) article(s) dans les rayons, soit en passant sans transitions à la séquence de paiement parce qu’ils sont allés chercher leur journal en énonçant leur remarque. Dans les exemples cités, les cliagers sont dans l’ensemble assez contents de voir la vendeuse. Ils savent que les patrons ont, comme tout le monde, besoin de se reposer de temps en temps.

Tous ces cas relèvent de la politesse positive. Les cliagers produisent des interventions concernant le changement du cadre de la rencontre. Ils manifestent ainsi leur intérêt pour la vendeuse et l’on peut considérer leurs interventions comme des FFAs car ils font savoir à la vendeuse qu’ils ont noté le changement de personnel, qu’ils ont vu que c’est elle qui va les servir. On peut même parfois déceler l’expression du contentement du cliager d’être servi par la vendeuse. Dans ces interactions, et par le biais de ce commentaire émis par le cliager et sur lequel un échange s’engage avec la vendeuse, le facteur « D » qui sépare les participants se réduit et ils sont momentanément en accord. Mais, ces remarques peuvent également être considérées comme des FTAs car la curiosité sous-jacente constitue en fait une petite impolitesse.

Toutefois, bien qu’en général, ces remarques soient plutôt des FFAs, il faut signaler quelques cas à part. Il y a en effet des cliagers qui font des remarques désagréables à l’équipe de remplacement de la librairie-papeterie-presse – dont certaines semblent être destinées aux commagents, car les cliagers espèrent bien que l’équipe de remplacement fera part des petites réflexions. C’est notamment le cas du cliager dans l’exemple ci-dessous.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°15

(1) Vendeuse : bonjour
(2) Client n°21 : ça y est... i sont repartis en vacances (pause 2’’)
  (( Le client va prendre son journal, arrive à la caisse et pose son journal sur le comptoir-caisse. La vendeuse lui donne son programme. Un autre client (n°22) entre dans le magasin. Le client n°21 pose ses pièces sur le ramasse-monnaie. ))
(3) Client n°21 : (rires) trois et deux... cinq et deux... sept et vingt

Le cliager est tellement pressé de faire sa remarque à la vendeuse qu’il ne répond pas à la salutation de cette dernière. Il commet donc un premier FTA à ce moment-là en tronquant l’échange de salutations. Le second FTA arrive avec la valeur de reproche contenue dans son intervention. Il ne manque que l’adverbe « encore » pour accentuer la valeur de reproche. Mais le cliager ne va pas jusque-là. Quoi qu’il en soit, la vendeuse s’étant déjà plusieurs fois accrochée avec ce cliager à ce sujet, elle préfère ne pas lui répondre. Elle fait ici appel à une politesse négative en s’abstenant de souligner qu’elle a perçu la valeur de reproche. Cette réponse ne pourrait déboucher que sur un conflit entre les deux participants qui ne semblent pas partager le même point de vue. La vendeuse prend sur elle en faisant appel au principe de préservation des faces(face work). Le silence de la vendeuse reste tout de même évocateur, et là, le cliager comprend qu’il a commis une offense. Il essaye alors de transformer cela en plaisanterie en intégrant un rire à sa prochaine intervention.

Dans le cas présent, le commentaire émis par le cliager ne crée pas l’effet attendu de démonstration d’intérêt et donc de rapprochement des participants et de réduction du facteur « D » qui les sépare. Il semble d’ailleurs qu’au contraire, le silence de la vendeuse qui suit le commentaire du cliager provoque une espèce de malaise qui va empêcher l’amélioration de la relation entre les participants, sans pour autant impliquer d’agrandissement de la distance qui les sépare.

La position de ces questions et assertions de salutation au sein de l’interaction invite à les considérer comme des salutations. Ce ne sont cependant pas des salutations au même titre que les salutations d’ouverture : leur présence successive serait redondante. En dépit du fait que ce ne soient plus des ouvreurs, ces questions et assertions de salutations conservent leur valeur relationnelle de FFA et visent à la poursuite de la séquence d’ouverture. Aussi, le passage de l’ouverture au corps de l’interaction se fait-il plus en douceur, par une séquence d’ouverture plus développée faisant appel à un procédé de glissement thématique.