2.2. Les cas particuliers

Parmi les interactions de commerce et de service contenant une pré-clôture, 20% relèvent de cas particuliers à la librairie-papeterie-presse, 12% à la mairie, 7.1% au Crédit Agricole, 7% au tabac-presse, et 5% à la mairie. Les cas sont donc des interactions dans lesquelles on relève plus d’un marqueur de structuration à valeur conclusive, c’est-à-dire qu’il y a plus d’une pré-clôture, ou bien alors une pré-clôture réitérée. Il est utile de rappeler ici que contrairement au schéma prototypique d’une conversation ordinaire, dans les interactions de commerce et de service, il est logique de n’avoir qu’une pré-clôture car une fois la transaction achevée, le commagent n’a pas de raison de retenir le cliager, lequel n’a plus non plus de raison de s’attarder. Ce n’est pas comme lors d’une soirée entre amis où l’on commence parfois à annoncer son intention de s’en aller plusieurs minutes avant le départ à l’aide de pré-clôtures.

Cas n° 1  : la dissension

Dans les cas de dissension, un même participant produit plusieurs pré-clôtures. Les participants ne sont pas d’accord sur le moment de clore l’interaction en cours et celui qui souhaite y mettre un terme a du mal à le faire comprendre à son partenaire conversationnel.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°40

(31) Vendeuse : non mais: vous z’avez surtout eu de la chance pa’ce que normalement… je les rends le soir même… mais comme c’était férié hier… y a pas eu de ramassage
(32) Client n°54 : voilà
(33) Vendeuse : sinon je les aurais déjà rendus (rires)
(34) Client n°54 : ben: mais:: ouais bon… allez à la prochaine et merci

Dans cet exemple, il est possible de voir que le marqueur de structuration énoncé par le cliager n’a pas été identifié par la vendeuse comme pré-clôture puisque le cliager souhaitait vraisemblablement pendre congé de la commagente dès l’intervention (32). Mais la commagente n’a pas compris – ou a feint de ne pas comprendre – afin de pouvoir poursuivre son explication sur le ramassage des journaux invendus. Le cliager est alors contraint de produire une seconde pré-clôture qu’il compose de plusieurs marqueurs et fait suivre, cette fois-ci, immédiatement de la clôture pour qu’il n’y ait pas d’autre malentendu.

Corpus tabac-presse : interaction n°24

  (( La buraliste passe derrière le comptoir-caisse et commence à manipuler les journaux, essayant vainement de leur donner un aspect droit. ))
  […]
(102) Buraliste : bon =
(103) Client n°35 : = non non elle est partie se prom’ner ce matin… (voix faible) faut lui couper la ch’ville (inaudible)
(104) Buraliste : allez… je te r’verrai ben dans un moment

La buraliste, qui converse avec le cliager depuis près de cinq minutes, souhaite mettre un terme à l’interaction. Une première fois, pour manifester son désir de clore l’interaction, la buraliste sort de derrière le comptoir-caisse et va réarranger les journaux vers l’intervention n°83, essayant ainsi de faire comprendre au cliager qu’elle est occupée. Voyant que ce dernier n’a pas compris, elle passe à une pré-clôture verbale en (102), manifestée par « bon », sous-entendu : « bon, on a assez discuté pour le moment ». Devant l’incompréhension du cliager, elle réitère sa pré-clôture en (104) avec un « allez » signalant que l’heure de se séparer est arrivée, pré-clôture qu’elle fait suivre d’une phrase ouvertement destinée à demander au cliager de partir. « Je te r’verrai ben dans un moment » signifie : il faut qu’on mette un terme à la présente interaction maintenant, sinon on n’aura plus rien à se dire tout à l’heure quand tu vas revenir.

Dans ces deux exemples, il y a une impression de « raté » dans la communication, car les deux participants ne sont pas sur la même longueur d’onde. Ni la vendeuse en (32), ni le cliager en (102) n’ont interprété ces marqueurs de structuration comme étant le premier membre d’un échange destiné à clore l’interaction.

Cas n°2  : l’indécision

Le participant qui souhaite mettre un terme à l’interaction produit une pré-clôture, puis se ravise, propose un thème de conversation, et produit ensuite la pré-clôture qui précédera réellement la clôture.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°13

(25) Cliente n°19 : bonallez au r’voir
(26) Vendeuse : (sourire)
(27) Cliente n°19 : (voix faible) i fait pas chaud hein
(28) Vendeuse : oh ben pas bien non
(29) Cliente n°19 : allez bonne [ journée
(30) Vendeuse : [ merci madame... au r’voir

La cliagère produit une première pré-clôture, la fait suivre d’un échange clôturant, puis fait marche arrière et lance un nouveau sujet de conversation sur la météo. Ce thème n’est pas du tout développé car après l’intervention réactive de la vendeuse, la cliente initie de nouveau une pré-clôture, également suivie d’un échange clôturant, qui est cette fois le bon car il met fin à la rencontre des deux participantes.

Dans ce cas, l’impression de « raté » n’est pas aussi fortement ressentie que dans l’exemple précédent car la cliagère qui est à l’initiative de la première pré-clôture lance elle-même un nouveau sujet de conversation. Si la pré-clôture était produite par un participant différent de celui qui initie le thème conversationnel, on aurait une négociation entre les deux participants pour déterminer à quel moment l’interaction devra prendre fin.

Cas n° 3  : le consentement mutuel

L’un des participants manifeste son désir de clore l’interaction, et dès le tour de parole suivant, l’autre participant répond à ce désir par la production d’une deuxième pré-clôture, laquelle marque leur accord.

Corpus mairie : interaction n°15

(3) Guichetière n°2 : faut que vo:: (pause 1’’) présentiez vot(re) livret de famille à l’organisme qui vous réclame les fiches d’état civil… ou en faire une photocopie
(4) Cliente n°20 : ah d’accord… bien (sourire)
(5) Guichetière n°2 : voilà
(6) Cliente n°20 : au r’voir… merci
(7) Guichetière n°2 : au r’voir madame

Corpus tabac-presse : interaction n°17

  (( La buraliste prend le billet, le range dans la caisse et prépare une pièce de dix francs qu’elle donne à la cliente n°23 lorsqu’elle a posé les deux francs sur le ramasse-monnaie. ))
(166) Cliente n°23 : merci: =
(167) Buraliste : = voilà merci bien (pause 5’’)
  (( La cliente n°23 range sa monnaie dans son porte-monnaie. ))
(168) Cliente n°23 : allez… au r’voir merci =
(169) Buraliste : = au r’voir

Dans ce cas, la production de deux pré-clôtures successives en fait un échange, un échange préliminaire à l’échange clôturant, cet échange n’étant d’ailleurs pas obligatoirement matérialisé par deux énoncés verbaux : la pré-clôture du cliager peut revêtir la forme d’un mouvement en direction de la porte.

Corpus tabac-presse : interaction n°32

  (( Le client n°47 se dirige vers la porte de sortie . ))
(93) Buraliste : allez bonsoir

Corpus La Poste : interaction n°37

  (( La guichetière prend les pièces et les range dans son tiroir-caisse.
Le client se dirige vers la sortie . ))
(11) Guichetière : allez au r’voir