B. Les échanges clôturants

Les échanges clôturants font suite à la pré-clôture lorsqu’il y en a eu une. Toutefois, en l’absence de pré-clôture, ils succèdent immédiatement à la transaction. Indépendamment du participant qui initie la pré-clôture ou la clôture, les clôtures s’enchaînent majoritairement après l’une ou l’autre, en fonction des sites.

Figure 36 – Passage à la clôture directement après la transaction ou après une pré-clôture
Figure 36 – Passage à la clôture directement après la transaction ou après une pré-clôture Résultas présentés en pourcentages et obtenus à partir du nombre total d’échanges clôturants.

Pour les interactions qui ne sont pas dotées d’une pré-clôture prenant la forme d’un marqueur de structuration ou d’un geste, le problème de découpage des séquences ressurgit parfois. Ainsi, quand la remise du bien ou du service est suivie d’un acte de langage dont le contenu sémantique implique qu’il s’agit d’un clôturant, il n’y a pas de problème de découpage en séquences.

Corpus mairie : interaction n°5

  (( Le client n°10 s’éloigne. Le guichetier part faire l’acte de naissance puis revient. Il pose l’acte et le livret sur le guichet puis se rassoit. ))
(17) Guichetier n°1 : voilà monsieur
(18) Client n°9 : je vous r’mercie beaucoup
(19) Guichetier n°1 : je vous en prie (silence 2’’)
  (( Le client range son livret et son acte de naissance dans la poche de sa veste. ))
(20) Client n°9 : au r’voir
(21) Guichetier n°1 : au r’voir monsieur

Dans cet exemple, « au revoir » marque incontestablement le passage à la séquence de clôture. En revanche, lorsque la transaction s’achève par un remerciement, une formule d’excuse conclusive ou un autre acte de langage dont la valeur de clôturant n’est pas inscrite dans le contenu sémantique, on retrouve à nouveau le problème maintes fois évoqué à propos du remerciement.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n° 5

  (( Le client pose quinze francs sur le ramasse-monnaie. ))
(6) Vendeuse : mer:ci
(7) Client n°8 : merci... bonne journée
(8) Vendeuse : pareillement merci... [au r’voir
(9) Client n°8 : [au r’voir

Le remerciement du cliager en (7) peut à la fois marquer la fin de la transaction et fonctionner comme pré-clôture, mais également être intégré à l’échange clôturant avec une valeur de bilan de l’interaction entière. Le problème des échanges clôturants tient à ce qu’ils sont souvent la combinaison de plusieurs items. Un problème terminologique s’est présenté en raison de la présence, dans l’échange clôturant, d’éléments ne pouvant être considérés comme des actes de langage. Le cas des termes d’adresse aurait pu être abordé dans une perspective intégrative : en effet, lorsqu’ils sont combinés avec une salutation ou un remerciement, il aurait été possible de les intégrer à l’acte de langage de salutation ou de remerciement. Mais, il est des cas où ils sont employés seuls. Dans ces situations, ils ne fonctionnent pas comme complément d’un acte de langage. Ils ont un caractère déictique permettant l’identification du référent. Ils servent simplement à désigner la ou les personne(s) à laquelle ou auxquelles le locuteur s’adresse. Par ailleurs, le même problème s’est posé pour les énoncés à fonction de rappel du rôle de personne au service d’autrui, tels que à votre service. C’est pourquoi l’échange clôturant ne sera pas envisagé en termes d’actes de langages, mais de composantes ou d’items. Les composantes les plus couramment attestées sont les salutations, les remerciements, les vœux, les « projets », et les termes d’adresse 206 . Salutations, remerciements, vœux et projets appartiennent tous à la classe des actes de langage conviviaux (convivial class), (Leech, 1983 : 104) : ce sont des actes au sein desquels le but illocutoire coïncide avec le but social. Leech (ibid.) donne pour exemples les offres, les invitations, les salutations, les remerciements et les félicitations, mais les vœux et les « projets » peuvent être rajoutés à cette catégorie. Ces actes de langage sont intrinsèquement polis et sont à classer parmi les procédés relevant de la politesse positive (Brown & Levinson, 1987). La classe des conviviaux de Leech recoupe en partie celle des expressifs de Searle (1972) qui permettent d’exprimer l’état psychologique positif du locuteur 207 avec les remerciements, les félicitations, les éloges et les condoléances. L’autre rapprochement doit être fait avec les commissifs (commissives) (Searle, 1972), considérés comme conviviaux par nature, énoncés dans l’intérêt d’un individu autre que le locuteur lui-même et qui regroupent les promesses, les offres et les serments.

La présence de chacun de ces actes de langage n’est pas requise pour former un échange clôturant. L’acte de langage de salutation n’est pas lui-même obligatoire et un remerciement accompagné d’un vœu peut très bien fonctionner comme intervention clôturante sans qu’aucune lacune ne soit perceptible. De plus, l’échange clôturant initié sous l’une des formes possibles ne trouve pas nécessairement une réponse sous la même forme. La réponse-écho (echo response)identifiée par Ferguson (1981 : 27) pour les ouvertures d’interaction est par ailleurs assez rare, comme le note Coupland à propos des interactions dans les agences de voyage.

‘In fact, goodbye exchanges are quite rare in the travel agency data, and terminal exchanges are more typically asymmetrical – usually a thanking move from the client (thank you, thanks, thanking you, much obliged) plus a form of goodbye (bye then, bye bye, cheerio, tarra) from the assistant (1983 : 471, souligné par l’auteur).’

En plus de la forme que revêt l’échange clôturant, cette remarque de Coupland laisse à penser que le cliager est presque systématiquement à l’initiative de la clôture. La remarque de Ciliberti à propos des interactions recueillies dans une librairie italienne va dans le même sens :

‘either the closing does not exist […] or it is the client who produces it (1988 : 59).’

Dans le contexte des interactions de commerce et de service, il semble que la décision de débuter l’échange clôturant revienne principalement au cliager, soit en initiative avec ou sans production d’une pré-clôture, soit en réaction à une pré-clôture du commagent. C’est en effet le cas de 87.8% des interactions au Crédit Agricole, 75% à La Poste, 68.3% à la mairie, 68% au tabac-presse et 56.3% à la librairie-papeterie-presse. Mais il est une autre possibilité que n’envisagent pas ces auteurs : celle d’une initiative de l’échange clôturant prise par le commagent. Il est difficile de négliger cette alternative étant donné qu’elle représente tout de même 46.4% des cas à la librairie-papeterie-presse, 32% au tabac-presse, 31.7% à la mairie, 25% à La Poste et 12.2% au Crédit Agricole. Aussi sera-t-il profitable d’examiner également ce cas de figure.

Notes
205.

Résultas présentés en pourcentages et obtenus à partir du nombre total d’échanges clôturants.

206.

Ce sont les items les plus couramment attestés dans les corpus, mais des formules de politesse autres que celles mentionnées, des compliments, ou encore des excuses peuvent aussi fonctionner comme une intervention clôturante.

207.

La conception de la politesse développée par Leech est supposée résider « dans la tête » des locuteurs.