Le problème du remerciement refait surface une fois encore. Quand le passage de la transaction à la clôture de l’interaction est matérialisé par une pré-clôture, il n’y a plus de problème : le remerciement est intégré à la séquence de clôture. En revanche, si ce passage n’est pas effectué de la sorte, le problème rencontré réside dans l’attribution d’une valeur à certains remerciements figurant à la jonction de la fin de la transaction et au début de la clôture. Ce sont surtout les remerciements émis par les cliagers immédiatement après le paiement alors qu’ils n’ont pas reçu de monnaie et qu’ils ne peuvent donc pas remercier pour cela. Ces remerciements ne feront pas l’objet d’un nouveau traitement dans la mesure où ils ont été analysés comme une manière d’entériner la transaction et/ou d’annoncer la proche clôture de l’interaction. Ce sont donc des remerciements d’un autre type qui interviennent dans la clôture. Mais de quel type de remerciements s’agit-il ? Qu’est-ce qui les différencie des remerciements de fin de transaction ou de pré-clôture ? A-t-on affaire à un seul et même type de remerciement ?
Généralement, l’acte de remerciement accompagne fréquemment l’acte de salutation.
‘Bien souvent cependant les remerciements interviennent dans les stratégies de clôture à titre de complément aux salutations […] On se remercie de s’être mutuellement reconnu la qualité d’interlocuteur privilégié pour la durée de la conversation (André-Larochebouvy, 1984 : 103-104).’Lorsqu’il est employé avec une salutation, le remerciement peut aussi bien la précéder que la suivre. Les remerciements sont relativement présents dans les échanges clôturants des interactions de commerce et de service : les séquences de clôture contenant au moins un remerciement, qu’il soit émis par le commagent ou le cliager, représentent 81.2% des cas à la librairie-papeterie-presse, 75.6% à la mairie, 58.5% au Crédit Agricole, 45.2% à La Poste, et 41.5% au tabac-presse. De la présence relativement importante de remerciements en clôture d’interaction, il est possible de déduire que les interactions de commerce et de service font partie des situations où l’on doit remercier, tout du moins en France. En effet, dans d’autres sociétés, le remerciement est exclu de ce type d’interaction car l’échange est monnayé.
‘À partir du moment où le vendeur a obtenu une compensation financière pour le service rendu, le cliager n’a pas à lui exprimer une gratitude particulière – telle est la conception en vigueur dans bien des sociétés, asiatiques en particulier (Kerbrat-Orecchioni, 1986 : 87).’S’ils sont attestés, les remerciements sont toutefois inégalement employés par les participants.
Le remerciement est un FFA dans le sens où, employé dans le contexte d’une clôture d’interaction de commerce ou de service, il a pour but de valoriser la face positive du participant auquel il est destiné. La forme que prend le remerciement est fonction de l’importance du cadeau reçu : plus le cadeau est conséquent, et plus le remerciement doit l’être. Ici, cependant, il est nécessaire de distinguer deux cas de figure : celui où le bien ou le service acquis par le cliager est payant, et celui où il est gratuit, même momentanément. Lorsque le bien ou le service est échangé contre une rétribution financière (librairie-papeterie-presse, tabac-presse, et une partie des transactions à La Poste), le remerciement n’est pas très appuyé car les commagents se doivent de servir les cliagers, lesquels sont obligés de verser une contre-partie financière. Le remerciement est tout de même davantage réalisé par les commagents que les cliagers parce que ce sont eux qui ont quand même le plus à gagner dans cette transaction, même si le commagent n’est qu’un employé. Dans cette situation de réciprocité, le remerciement prend une valeur de « rémunération symbolique » (Kerbrat-Orecchioni 1997 : 136) et s’efforce de transmettre la gratitude mutuelle qu’éprouvent les interactants les uns vis-à-vis des autres.
Cette idée selon laquelle le commagent devrait remercier davantage que le cliager est infirmée par Sitbon (1997) dans son étude en boulangerie. Elle relève, en effet, 17 remerciements de la boulangère et 55 des cliagers sur 60 interactions, soit respectivement 36.6% et 55%. Ces résultats ne seront toutefois pas pris en compte ici car un certain nombre de problèmes de comptages dans les remerciements des cliagers apparaissent, principalement en raison d’une délimitation différemment posée entre le corps de l’interaction et sa clôture. À titre d’exemple, on peut relever des erreurs d’attribution d’un remerciement du cliager en clôture alors qu’il appartient peut-être à la séquence de paiement.
Extrait emprunté à Sitbon (1997 : 130)
B = boulangère ; C = cliente
| 7B | alors 13,70 s’il vous plaît |
| 8C | tenez |
| 9B | merci si vous aviez les soixante dix |
| 10C | ah oui c’est [pas impossible (-5s.) tiens voilà |
| 11B | [ça s(e)rait pas mal (-5s.) merci alors treize et quinze |
| 12C | merci au r(e)voir |
| 13B | au r(e)voir |
Le fait que Sitbon n’ait pas noté les pauses rend impossible le rattachement du remerciement du cliager en 12C au rendu de monnaie ou à la salutation.
Parfois, le remerciement est rattaché à une activité connexe de la transaction, comme dans cet exemple.
Extrait emprunté à Sitbon (1997 : 85)
B = boulangère ; C = cliente
| 14C | ça coûte combien une part comme ça |
| 15B | c’est d(e) la dégustation allez y j(e) vous en prie |
| 16C | ah ben c’est nouveau |
| 17B | c’est pour goûter c’est une nouvelle recette oui (-5s.) c’est une tarte beurre et sucre (+5s.) |
| 18C | humm merci |
| 20B | voilà (en tendant les paquets) |
| 21C | au r(e)voir |
| 22B | merci madame bonne journée au r(e)voir |
Sitbon comptabilise le remerciement du cliager en 18 dans la séquence de clôture alors qu’il vient vraisemblablement sanctionner le don du morceau de tarte.
En revanche, lorsque le service rendu est gratuit (mairie) ou indirectement payant (Crédit Agricole et une partie des transactions à La Poste), le remerciement n’est pas réciproque : seul le cliager doit normalement remercier de manière appuyée le commagent pour sa serviabilité, et le remercie souvent d’ailleurs. À la mairie de la banlieue lyonnaise, en reprenant le corpus de Chaboud (1997), on retrouve des résultats qui vont dans la même direction avec un remerciement du cliager dans 58.7% des clôtures d’interaction, et du commagent dans 6.3%. Sur ces sites, le remerciement de clôture du cliager vise à l’annulation d’une dette contractée par le cliager envers le commagent. Comment dès lors expliquer la présence de remerciements énoncés par les commagents dans de telles situations ?
En réalité, dans le cadre des interactions de commerce et de service, plusieurs sortes de remerciements sont à dénombrer en clôture d’interaction. Le remerciement analysé par André-Larochebouvy avec une valeur conclusive est certes réalisé dans un certain nombre de situations, mais ce n’est pas la seule fonction du remerciement en clôture des interactions de commerce et de service. Certes, le remerciement a une valeur de bilan de l’interaction : les commagents remercient les cliagers d’être venus faire leurs achats dans leur magasin, les attachés de clientèle et guichetiers remercient les cliagers pour leur coopération à un déroulement rapide de la transaction, et les cliagers remercient les commagents d’avoir fait le nécessaire afin de faire aboutir favorablement et rapidement la transaction. Mais, le remerciement apparaît également après une formule votive. Cette double fonction du remerciement permet, en partie, d’expliquer les occurrences relevées chez les commagents lorsque l’on ne s’attendait pas à en trouver. Il peut d’ailleurs arriver que les participants énoncent chacun un remerciement, ou que le même participant remercie deux fois : l’une avec une valeur de bilan, l’autre en gratitude après un vœu. Mais il est aussi des échanges clôturants qui ne contiennent aucun remerciement, amenant à considérer que l’acte de remerciement n’est pas obligatoire.
‘Closings do orient to what precedes them : the choice to end with (or without) thanks does reflect a customer’s evaluation of the encounter (Anderson, 1988 : 127).’Ainsi, si un cliager n’est pas satisfait du déroulement de la transaction ou estime qu’elle s’est déroulée normalement sans qu’un acte spécifique nécessitant un remerciement n’ait été accompli, il peut se dispenser de remercier le commagent. Mais le commagent, est lui aussi libre de remercier ou non le cliager.
Avant de prolonger cette réflexion, il convient de signaler que toutes les occurrences de remerciements relevées dans les corpus sont des réalisations explicites du remerciement 211 . Les réalisations explicites prennent deux formes :
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°32
| (44) | Vendeuse : merci... au r’voir monsieur |
Corpus La Poste : interaction n°7
| (65) | Cliente n°8 : merci bien… au r’voir messieurs dames |
Corpus Crédit Agricole : interaction n°22
| (154) | Client n°24 : bon… merci beaucoup |
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°39
| (14) | Client n°53 : je vous r’mercie au r’voir |
Corpus tabac-presse : interaction n°37
| (22) | Client n°51: c’est moi qui vous r’mercie |
La difficulté est donc de savoir qui va remercier qui, à quel moment, et surtout quelle valeur va prendre le remerciement en contexte.
Résultats présentés en pourcentages et obtenus à partir du nombre total d’interventions clôturantes émises par chaque participant.
Une réalisation implicite peut se faire soit par l’éloge du bien offert, soit par l’éloge du donateur du cadeau lorsque le cadeau représente un bien matériel. Cf., par exemple, Bujon (1999).