Il reste un petit nombre d’interactions dont il n’a pas encore été question parce qu’elles ne possèdent pas de séquence de clôture. Après le dernier échange de la transaction, les participants se quittent sans fournir le moindre travail rituel dans 7.5% des cas au tabac-presse, 7.3% à la mairie, 2.4% au Crédit Agricole, 2.3% à La Poste, et 2% à la librairie-papeterie-presse. Les situations qui peuvent mener les participants à ne pas produire de séquence de clôture sont assez diverses et semblent avoir un principe de fonctionnement complexe. Pour certaines de ces situations, un effet de troncation, voire de transgression de la règle de politesse est très fortement ressenti alors que pour d’autres, il l’est moins, parfois pas du tout. Ceci est de plus très subjectif et ce que certains individus considèrent comme une violation des règles de politesse peut être perçu de façon beaucoup moins nette par d’autres interactants.
Il existe un certain nombre de facteurs qui peuvent influer sur le contexte et conduire les participants à élider la séquence de clôture. Aussi est-il intéressant de remarquer que certains de ces facteurs se recoupent avec ceux qui conduisent les participants à ne pas produire d’ouverture verbale de l’interaction ; les interactions sans séquence d’ouverture ne contenant souvent pas de séquence de clôture. Plusieurs cas peuvent ainsi être distingués.
Cas n°1 : la demande de renseignements
Lorsque les cliagers ne souhaitent que l’obtention d’un renseignement, ils n’entourent leur demande d’aucune séquence encadrante. Deux hypothèses peuvent expliquer cette attitude, en fonction des interactions.
Corpus mairie : interaction n°13
| (1) | Client n°18 : le service funéraire s’i vous plaît |
| (2) | Guichetière n°2 : dans le petit couloir… à droite là |
| (3) | Client n°18 : merci |
| (( Le client se dirige vers le couloir. )) |
Le script de la demande de renseignements de ce type rejoint celui de la demande d’heure ou d’itinéraire pour lesquels il y a un flottement du code rituel 228 .
Corpus mairie : interaction n°23
| (5) | Client n°28 : excusez-moi… le service social |
| (6) | Guichetière n°2 : c’est le bureau qui est là derri-… là en face de vous là… voyez service social |
| (7) | Client n°28 : quel numéro… ah bon là-bas |
| (8) | Guichetière n°2 : mais vous [z’allez y a personne qui at [tends… vous [z’allez directement |
| (9) | Client n°28 : [ah bon [bon [bon |
Il y a ici aussi un flottement du code rituel où l’excuse sert d’ouvreur et remplace ainsi la salutation, la clôture n’étant pas matérialisée de manière linguistique.
Ces deux cas de figure sont exclusivement attestés à la mairie où les interactions de ce type ne durent que quelques secondes.
Cas n°2 : le bavardage
Au tabac-presse, la buraliste s’investit si pleinement dans les thèmes conversationnels débattus avec ses cliagers, que ceux-ci s’en vont parfois alors qu’elle n’a pas terminé de dire tout ce qu’elle avait à dire. Dans l’exemple cité, la cliagère initie un module sur les personnes de grande taille, dévie sur un de ses neveux, et associe la grande taille du neveu à sa bêtise, puis par dérivation au fait qu’il n’a pas occupé d’emploi alors qu’il est âgé de 29 ans. La buraliste souhaite réagir à son tour, mais la cliagère est sortie du magasin avant qu’elle n’ait terminé son énoncé. L’interaction ne trouve donc pas de clôture verbale.
Corpus tabac-presse : interaction n°3
| (44) | Cliente n°5 : ouais… j’ai un n(eu)veu qui habite à Varennes sur Allier qui fait deux mètres zéro sept (pause 2’’) |
| (( La cliente n°5 se dirige vers la porte. )) | |
| (45) | Buraliste : et les chaussures… de pieds i fait combien |
| (46) | Cliente n°5 : je sais pas p-… mais alors mes gamins me disent tous… j’espère qu’on s’ra pas aussi grand pa’ce qu’alors qu’est-ce qu’il est con c(el)ui-là alors (sourire) |
| (( La cliente n°5 tient la poignée de la porte. )) | |
| (47) | Buraliste : (rires) |
| (( La cliente n°5 ouvre la porte du magasin. )) | |
| (48) | Cliente n°5 : 29 ans cette année… il a jamais travaillé (pause 3’’) |
| (49) | Buraliste : ben moi aussi j’ai un fils… |
| (( La cliente n°5 sort du magasin avant que la buraliste n’ait terminé sa phrase. )) | |
| (50) | Buraliste : il a 28 ans… il a pas travaillé |
Contrairement aux autres cas mentionnés jusqu’ici, les trois exemples de ce type recensés possèdent tous une ouverture verbale.
Cas n°3 : la situation d’urgence
La situation d’urgence qui avait conduit les participants à ne pas prendre le temps de se saluer peut se poursuivre jusqu’à la fin de l’interaction. C’est par exemple le cas de ce commerçant costellois venu faire un achat à la librairie-papeterie-presse alors que son propre magasin est ouvert.
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°35
| (11) | Client n°48 : bon j’envoie le chef payer |
| (12) | Vendeuse : d’accord |
| (13) | Client n°48 : je suis le magasin d’à côté |
| (14) | Vendeuse : oui oui je vous reconnais |
| ((Le client ressort en courant.)) |
Cas n°4 : une relation interpersonnelle désastreuse
Une interaction au Crédit Agricole met en présence un cliager et un commagent en très mauvais termes. Le cliager est un cliager habituel du bureau, mais les rapports qu’il a avec le personnel du bureau ont été entachés par une histoire de vol de chéquiers. Reconnu responsable de ce vol par les autorités compétentes, le cliager s’est vu confronté aux commagents au tribunal correctionnel. La discorde qui a surgi a conduit les deux parties à des violences verbales qui ont été à la limite de se transformer en violences physiques. Malgré cela, le cliager a conservé les comptes qu’il a dans ce bureau, mais les rapports entre les participants se limitent aux propos nécessaires pour la réalisation de la transaction, sans aucun travail rituel ni formules de politesse.
Corpus Crédit Agricole : interaction n°7
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(( La sonnette de la porte d’entrée retentit. L’attachée de clientèle n°3 lève les yeux
pour regarder qui souhaite entrer puis appuie sur le bouton permettant de déclencher l’ouverture de la gâchette électrique de la porte. Le client n°7 s’approche sans rien dire du guichet de l’attaché de clientèle n°1 et lui tend sa carte d’identité bancaire. Ce dernier, qui est occupé à effectuer une opération sur son ordinateur, termine calmement ce qu’il est en train de faire. Neuf secondes s’écoulent avant que l’attaché de clientèle n°1 ne prenne la carte d’identité bancaire. Après 7 secondes)) |
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| (1) | Attaché de clientèle n°1 : combien je vous donne |
| (2) | Client n°7 : six cents (pause 7’’) |
| (( L’attaché de clientèle n°1 entre le numéro de compte du client n°7 dans l’ordinateur puis effectue l’opération de retrait. )) | |
| (3) | Client n°7 : (toux) (silence 6’’) |
| (( L’attaché de clientèle n°1 ouvre le tiroir dans lequel est rangée sa caisse et en sort la somme demandée par le client. Bruits d’impression. L’attaché de clientèle n°1 signe le bordereau de retrait, le fait signer au client, puis pose l’argent sur le guichet. )) | |
| (4) | Attaché de clientèle n°1 : deux… quat(re)… cinq… six (silence 2’’) |
| (5) | Client n°7 : (toux) |
| (( Le client n°7 prend ses billets, les garde à la main et quitte l’agence sept secondes plus tard. )) |
De manière générale, les interactions se terminant sans échange clôturant sont des interactions relativement courtes, car comme le note Anderson,
‘as length increased, the tendency to end without a closing routine decreased (1988 : 124).’Si l’on fait exception des interactions se terminant sans clôture en raison du bavardage de la buraliste, la longueur des interactions est comprise entre 6 et 57 secondes avec une moyenne de 26 secondes. Les interactions comprenant un module conversationnel poursuivi par la buraliste durent 2’29, 2’47 et 5’02, soit un laps de temps bien trop long pour une simple transaction au tabac-presse.
Sur la demande d’itinéraire, on pourra consulter Muller & Prévot (2002), et Prévot, Muller, Denis & Vieu (2002). Le corpus de Mena (2000) collecté à l’agence des TCL, fait également état de quelques demandes de renseignements dont les deux ouvertures préférées sont « excusez-moi + demande » et « demande + s’il vous plaît ».