4. Premières remarques conclusives

Dans les séquences de clôtures, la salutation est l’acte de langage le plus attesté par tous les participants, mais ce sont les commagents qui en énoncent le plus grand nombre avec une salutation dans 93.7% des échanges clôturants à la librairie-papeterie-presse, 90.2% au Crédit Agricole, 85.7% à La Poste, 80.5% à la mairie et 66% au tabac-presse. Aussi les salutations apparaissent-elles comme le « noyau dur » de l’échange clôturant.

En ce qui concerne l’emploi des termes d’adresse accompagnant la salutation de clôture, une première différence apparaît par comparaison avec les salutations suivies d’un terme d’adresse en ouverture d’interaction. Les interactions au sein desquelles les participants ont recours à un terme d’adresse en ouverture d’interaction alors qu’ils s’en dispensent en clôture montrent une réduction du facteur « D » indiquant que la relation entre les participants a évolué dans le sens d’un rapprochement. Ce phénomène a pu être constaté à la librairie-papeterie-presse, à La Poste, et au tabac-presse, c’est-à-dire dans les lieux institutionnels où les participants sont amenés à se rencontrer plus régulièrement. En revanche, la déférence des commagents au Crédit Agricole et à la mairie témoignée en ouverture d’interaction se maintient jusqu’à la fin de celle-ci. Ce qui différencie la fréquence des rencontres au Crédit Agricole et celles à La Poste tient essentiellement au fait qu’à La Poste, la commagente est seule pour servir les cliagers alors qu’au Crédit Agricole, quatre guichets sont en permanence ouverts et tenus à tour de rôle par six commagents. À taux de fréquentation égal pour un même cliager, les chances d’être servi par la même personne sont donc supérieures à La Poste qu’au Crédit Agricole.

Les conclusions dégagées ici ne constituent qu’une hypothèse interprétative. En effet, la réduction du facteur « D » dépend du terme d’adresse utilisé : un terme d’adresse neutre n’aura pas le même impact qu’un prénom, un terme affectif ou un terme ludique. L’idée selon laquelle le terme d’adresse a une valeur de distance ne vaut que pour les termes d’adresse neutres, l’idée pouvant être schématisée ainsi : « bonjour madame » implique une certaine distance qui s’est réduite au cours de l’interaction lorsqu’en clôture, le pendant est « au revoir ». À cette hypothèse, il convient d’en opposer une autre qui permettrait de considérer les termes d’adresse dans leur ensemble sans distinguer termes d’adresse neutres et termes d’adresse individualisés : les règles conversationnelles impliquent davantage la présence d’un terme d’adresse en ouverture qu’en clôture d’interaction. Effectivement, si la règle s’appliquait également pour les prénoms, lorsqu’on a « bonjour Pierrette » et puis « au revoir », l’absence de terme d’adresse ne peut pas être considérée comme plus proche que l’usage du prénom. Ainsi, l’absence de termes d’adresse par rapport à « madame » peut-elle marquer la proximité, mais aussi relever de règles conversationnelles différentes en fonction de la séquence qui les accueille. Cette remarque à propos d’une double hypothèse possible met en relief la distinction entre les valeurs relationnelle et conversationnelle imposées aux actes de langage par le fait qu’ils interviennent en ouverture ou en clôture.

L’acte remerciant est, lui aussi, différemment utilisé en fonction des participants, et le travail rituel impliqué par le remerciement n’est pas attribué de manière unanime au rôle de commagent ou de cliager. Deux cas de figure se présentent donc ici : soit le commagent, soit le cliager remercie davantage. Le premier cas de figure concerne la vendeuse de la librairie-papeterie-presse avec 60.4% de remerciement en clôture d’interaction, et la buraliste avec 26.4%. Il semble donc que dans les commerces prototypiques, les commagents remercient davantage que les cliagers qu’ils servent, même si la buraliste qui tire un profit direct des ventes qu’elle réalise remercie beaucoup moins les cliagers que la vendeuse de la librairie-papeterie-presse qui n’est qu’une simple employée. Ceci vient certainement du fait que la buraliste a davantage une clientèle dont le passage est fréquent et régulier, et dont la fidélité n’est plus à démontrer. La relation qu’elle entretient avec ses cliagers est de type moins formel et moins distant que celle de la vendeuse et de ses cliagers, c’est pourquoi elle peut se permettre de les remercier un peu moins. D’autre part, dans les situations de service où les commagents ne tirent aucun profit direct des transactions, ceux-ci remercient assez peu les cliagers. Le travail remerciant est donc majoritairement pris en charge par les cliagers au Crédit Agricole, à La Poste et à la mairie qui peuvent remercier pour la transaction effectuée de manière satisfaisante sans avoir eu à monnayer ce qu’ils sont venus chercher. Les cliagers remercient donc davantage lorsqu’ils n’ont pas eu à effectuer un paiement qu’à la fin de celles pour lesquelles ils ont dû le faire. Le paiement semble ainsi non seulement venir en contrepartie de la dette contractée d’un point de vue matériel, mais aussi acquitter la dette contractée sur le plan humain. Dans les commerces prototypiques, les cliagers remercient très peu les commagents pour la compétence et la civilité 229 dont ils ont fait preuve. L’importance des remerciements énoncés par les cliagers dans les cas de non-paiement incite à penser que le remerciement est directement destiné au commagent pour sa compétence et la civilité dont il a fait preuve. Dans de telles interactions, les commagents remercient très peu les cliagers : seule la célérité dont ils ont éventuellement fait preuve pourrait nécessiter l’expression verbale d’une gratitude.

L’échange votif semble basé sur un autre principe de fonctionnement : la familiarité. En effet, tous les participants ne peuvent pas échanger de vœux : l’échange votif est perçu avec un certain degré de familiarité, et par conséquent réservé aux participants qui se connaissent un minimum. Les vœux s’échangent donc plus habituellement dans les endroits où le passage des cliagers est régulier, c’est-à-dire à la librairie-papeterie-presse, au tabac-presse, à La Poste et au Crédit Agricole. Ils sont principalement initiés par les commagents. Par ailleurs, plus les participants partagent un facteur « D » réduit, plus ils peuvent personnaliser leurs vœux en les adaptant à leur destinataire. Les commagents disposent d’un éventail de formules votives assez impressionnant. En adaptant leur vœu au cliager, ils le personnifient et renforcent par-là même le FFA. Les vœux personnalisés ont principalement cours à la librairie-papeterie-presse et au tabac-presse. À la mairie, où les rencontres sont très espacées, voire uniques, ce sont les cliagers qui prennent l’initiative des échanges votifs qu’ils n’intègrent cependant qu’à 12.2% de leurs échanges clôturants.

L’analyse de ces séquences de clôtures autorise des regroupements au niveau du fonctionnement de la politesse linguistique dans les interactions de commerce et de service. La faible proportion de clôtures intégrant la formulation d’un « projet » ne permet pas de la considérer comme faisant partie du script des interactions de commerce et de service. Seuls les trois actes de langage de salutation, remerciement et vœu seront donc pris en compte.

Groupe 1  : le travail rituel est globalement dirigé par les commagents.

Les commagents intègrent un plus grand nombre de salutations, de remerciements et de vœux que les cliagers à leurs échanges clôturants. C’est le cas de la vendeuse de la librairie-papeterie-presse et de la buraliste. Le travail rituel est donc pris en charge par le participant en position institutionnelle dans les commerces prototypiques. Kerbrat-Orecchioni avait déjà remarqué ce phénomène.

‘Dans les magasins […] c’est le vendeur qui fournit le travail rituel le plus important, surtout dans les séquences de clôture (1990 : 257).’

Groupe 2  : les commagents fournissent le travail rituel le plus important, mais pas l’intégralité.

Les commagents produisent davantage de salutations et de formules votives que les cliagers, mais c’est au cliager qu’incombe la majorité des actes remerciants. Cette situation est attestée dans les situations de service, lorsque le service est indirectement monnayable, c’est-à-dire au Crédit Agricole et à La Poste pour une partie des transactions seulement, les ventes de timbres faisant l’objet d’une rétribution financière sur l’instant.

Groupe 3  : les cliagers fournissent le travail rituel le plus conséquent, mais pas la totalité.

Les cliagers intègrent un plus grand nombre de remerciements et de formules votives à leurs échanges clôturants, mais les commagents énoncent davantage de salutations que les cliagers. Seule la mairie est représentative de ce groupe.

Tableau 19 – Répartition du travail rituel en clôture d’interaction
  librairie tabac banque poste mairie
  Co Cl Co Cl Co Cl Co Cl Co Cl
Salutation + - + - + - + - + -
Remerciement + - + - - + - + - +
Vœu + - + - + - + - - +

Alors que dans le groupe 1, les commagents prennent en charge la majorité du travail rituel, dans les groupes 2 et 3, celui-ci est partagé de manière inégale entre les commagents et les cliagers. Les résultats ainsi obtenus ne tiennent compte que des analyses effectuées pour chaque item composant l’échange clôturant. Aussi reste-t-il à savoir de quelle manière ils s’assemblent, et à dégager les règles combinatoires qui régissent les associations.

Notes
229.

Sur la règle de trois C – compétence, civilité, célérité – cf. Cosnier et Picard (1992 : 9 sqq).