C. Conclusions

Une micro-analyse des séquences de clôture des interactions de commerce et de service met en évidence l’importance du travail rituel accompli par les participants. Les séquences de clôture sont généralement assez développées car elles vont déterminer les termes dans lesquels les participants vont se quitter, et par voie de conséquences, les termes dans lesquels ils reprendront éventuellement leur histoire conversationnelle et transactionnelle lors de leur prochaine rencontre. Les clôtures d’interaction font apparaître un travail rituel plus important des participants que lors des séquences d’ouverture. En effet, si les échanges d’ouverture sont contraints par l’histoire conversationnelle passée, parfois peu développée voire inexistante, le moment de la clôture est tourné vers le futur, c’est-à-dire vers la poursuite du lien social qui vient d’être tissé ou étayé lors de l’interaction. La clôture constitue donc une sorte de bilan de la transaction, mais aussi des relations sociales établies ou maintenues au cours de l’interaction. C’est la raison pour laquelle les clôtures sont relativement travaillées d’un point de vue rituel et mettent l’accent sur une séparation adoucie par « la multiplication d’actes à fonction euphorisante » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 222). Ces FFAs visent à laisser une image positive de la rencontre aux interactants, image dont ils se souviendront lorsque le moment de la prochaine rencontre sera venu, mais aussi à manifester la satisfaction éprouvée au sortir de la transaction. La séquence de clôture constitue donc un bilan de l’interaction, mais un bilan interactionnel qui se scinde en deux : un bilan de l’interaction du point de vue transactionnel accompagné d’un bilan du point de vue relationnel.

Le bilan transactionnel concerne principalement les remerciements, les rappels du rôle de personne au service d’autrui et les « projets ». Les remerciements viennent sanctionner la transaction, mais ils semblent être l’apanage d’un rôle particulier en fonction des sites. Ainsi, même si tous les participants se remercient, les commagents remercient davantage dans les commerces prototypiques – librairie-papeterie-presse et tabac-presse pour les corpus étudiés –que les cliagers qu’ils servent. Les commerçants remercient les cliagers d’être venus faire leurs achats dans leur magasin, mais également les cliagers habituels de leur confiance et de leur fidélité. Aussi est-il intéressant de rappeler que la buraliste qui tire un profit direct des ventes qu’elle réalise remercie beaucoup moins les cliagers que la vendeuse de la librairie-papeterie-presse qui n’est qu’une simple employée. Rappelons qu’une explication possible tient au fait que la buraliste a davantage une clientèle dont le passage est fréquent et régulier, et dont la fidélité n’est plus à démontrer. La relation qu’elle entretient avec ses cliagers est de type moins formel et moins distant que celle de la vendeuse et de ses cliagers, c’est pourquoi elle peut se permettre de les remercier un peu moins. Le remerciement, s’il vient sanctionner la transaction, n’en est pas moins dépendant du facteur « D » qui unit les participants au-delà d’une certaine limite de proximité. Par ailleurs, dans les situations transactionnelles où les commagents ne tirent aucun profit des transactions, les remerciements sont employés beaucoup plus rarement. Dans ce cas, les commagents remercient les cliagers pour leur coopération au déroulement rapide de la transaction. En ce qui concerne les cliagers, on remarque la situation inverse : le bilan de la transaction sous forme de remerciement est davantage attesté à la fin des transactions pour lesquelles ils n’ont pas eu à effectuer un paiement qu’à la fin de celles pour lesquelles ils ont dû le faire. Ils remercient verbalement les commagents pour leur compétence puisque la dette ainsi contractée ne peut être monnayée. Il semble donc qu’un participant doive prendre en charge le bilan de la transaction en effectuant un travail rituel plus important que l’autre au niveau des remerciements et que le contexte dans lequel la transaction s’est déroulée ait un impact sur la désignation de ce participant.

L’acte remerciant du cliager peut être minoré par le commagent. Cette minimisation constitue une minimisation de l’action bénéfique accomplie au cours de la transaction. Le commagent minore ainsi sa propre prestation qu’il évalue comme un acte positif dont il n’a pas à tirer un quelconque avantage. Sa position formelle implique qu’il effectue ce genre de transaction rapidement et efficacement. Les commagents refusent donc parfois de tirer profit d’une transaction et réfutent les remerciements du cliager lorsqu’ils ne les pensent pas justifiés.

La formulation des « projets » apparaît, elle aussi, comme un bilan positif de la transaction puisqu’elle prévoit une nouvelle rencontre, et par conséquent, la poursuite de l’histoire transactionnelle. Les « projets » devraient donc normalement être très fréquents en clôture d’interaction, mais ils ne sont finalement que très peu attestés. La formulation des « projets » est délicate dans les interactions de commerce et de service car elle peut être ressentie comme une manipulation commerciale, voire du forcing. En effet, la formulation des « projets » de la part des commagents est délicate car elle signifie qu’ils incitent verbalement le cliager à revenir. Même si cela représente verbalement ce que les commagents souhaitent, et plus particulièrement les commerçants, il y a une sorte de règle implicite qui les empêche de verbaliser leur désir. Si le « projet » est formulé par le cliager, l’impact est différent : le commagent sait que le cliager reviendra et que l’histoire transactionnelle se poursuivra. Le projet d’une nouvelle rencontre marque ainsi l’impact favorable laissé par la transaction.

Le bilan relationnel, quant à lui, regroupe les salutations, les termes d’adresse et les formules votives et quelques remerciements. Les salutations visent à indiquer au partenaire d’interaction que le rôle d’interlocuteur qui lui avait été accordé jusque là touche à sa fin. Il ne sera désormais plus considéré comme partenaire d’interaction. L’acte de salutation vise à avertir l’interlocuteur que la situation de communication prend fin ici. Les salutations participent au bilan relationnel en tant que manière adoucie d’indiquer que le moment de la séparation est arrivé. Cette annonce de l’intention du départ peut également être prise en charge par une pré-clôture. Bien qu’elles ne semblent pas obligatoires dans les interactions de commerce et de service – au total, 63.5% des interactions au Crédit Agricole, 58% à la librairie-papeterie-presse, 53.7% à la mairie, 38.1% à La Poste et 26.5% au tabac-presse n’en contiennent pas – les pré-clôtures représentent une manière « édulcorée » d’annoncer le départ de l’un des participants, et donc la fin de la rencontre. Elles peuvent certes être initiées par les cliagers aussi bien que par les commagents, mais ce sont tout de même les cliagers qui en initient le plus, excepté à la mairie. C’est un petit peu normal dans le sens où ce sont les cliagers qui sont à l’initiative de la rencontre. C’est donc à eux que revient la décision d’y mettre un terme. Deux schémas sont attestés en fonction du caractère non-verbal ou mixte de la pré-clôture du cliager :

Figure 44 – Séquence de clôture initiée par une pré-clôture non-verbale du cliager
Figure 44 – Séquence de clôture initiée par une pré-clôture non-verbale du cliager
Figure 45 – Séquence de clôture initiée par une pré-clôture mixte du cliager
Figure 45 – Séquence de clôture initiée par une pré-clôture mixte du cliager

Si d’aventure, le cliager ne prend pas l’initiative de la séquence de clôture, l’initiative de la clôture du commagent ne donne lieu qu’à un seul schéma, la pré-clôture étant systématiquement initiée verbalement.

Figure 46 – Séquence de clôture initiée par une pré-clôture du commagent – schéma 1
Figure 46 – Séquence de clôture initiée par une pré-clôture du commagent – schéma 1

En l’absence de pré-clôture, le ou les échanges clôturants suivent immédiatement la transaction.

Les salutations semblent néanmoins constituer la composante préférée des participants. Elles sont majoritairement utilisées par les commagents aussi bien que par les cliagers, seules ou en combinaisons. Elles peuvent donc être envisagées comme le noyau dur de la séquence de clôture, mais elles ne s’organisent toutefois pas exclusivement en échanges. Le nombre des composantes acceptables en clôture et la multiplicité des échanges clôturants qui en découle ont pour conséquence de ne pas trouver comme réponse exclusive une salutation à une intervention initiative prenant la forme d’une salutation.

De plus, une différence dans l’emploi des termes d’adresse en ouverture et en clôture a pu être établie à la librairie-papeterie-presse et à La Poste, et dans une moindre mesure au tabac-presse, dévoilant une réduction du facteur « D » indiquant que la relation entre les participants a évolué dans le sens d’un rapprochement. Le bilan relationnel est ainsi connoté positivement : la relation qui unissait les participants a évolué favorablement dans le sens d’une réduction de la distance. En revanche, la distance témoignée en ouverture d’interaction par les commagents au Crédit Agricole et à la mairie se maintient jusqu’à la fin de celle-ci. Il ne faut toutefois pas négliger l’hypothèse selon laquelle les règles conversationnelles nécessitent davantage la présence d’un terme d’adresse en ouverture qu’en clôture d’interaction.

La formule votive vient parfois agrémenter le bilan relationnel en formulant le désir que quelque chose d’agréable se produise pour le partenaire d’interaction. Tous les participants ne peuvent cependant pas échanger de vœux : l’échange votif est perçu avec un certain degré de familiarité, et par conséquent réservé aux participants qui se connaissent un minimum. Les vœux s’échangent donc plus habituellement dans les endroits où le passage des cliagers est fréquent. Par ailleurs, plus les participants partagent un facteur « D » réduit, plus ils peuvent personnaliser leurs vœux en les adaptant à leur destinataire. Les commagents disposent d’un éventail de formules votives assez large. En adaptant leur vœu au cliager, ils le personnifient et renforcent par-là même le FFA.

Ainsi, l’échange clôturant minimum visant à fermer le canal verbal et à mettre un terme à l’interaction est constitué d’un énoncé du locuteur et d’une réponse de l’allocutaire, c’est-à-dire d’un échange. Cette forme minimale n’est cependant pas la plus attestée. L’échange clôturant est fréquemment plus développé, constituant ainsi une véritable séquence. L’actualisation de séquences de clôture courtes ou longues est contrainte par l’évaluation que les interactants font de l’interaction qui s’achève. Il n’est pas possible de dégager une régularité des séquences de clôture parce que chaque participant compose sa propre intervention clôturante en fonction de son appréciation de l’interaction. Les composantes à valeur de bilan transactionnel ou à valeur de bilan relationnel sont ainsi diversement dosées, le travail rituel fourni dépendant de l’évaluation de l’interaction réalisée par chaque participant. Les séquences de clôtures attestées sont donc très nombreuses et presque toutes uniques. La quantité de FFAs produite en clôture manifeste donc la volonté des participants d’accomplir un rituel confirmatif en relation avec le bilan qu’ils dressent de l’interaction.

Plus le bilan est positif, plus le nombre d’items employé sera important, permettant ainsi aux interlocuteurs de se signaler mutuellement ce à quoi ils peuvent normalement s’attendre lors de leur prochaine rencontre. Quelques cas d’absence de rituels d’ouverture et/ou de clôture sont toutefois à dénombrer. Rappelons-en quelques uns.

Corpus Crédit Agricole : interaction n°9

  (( La sonnette de la porte d’entrée retentit. L’attaché de clientèle n°1 lève les yeux pour regarder qui souhaite entrer puis appuie sur le bouton permettant de déclencher l’ouverture de la gâchette électrique de la porte. La cliente n°10 avance d’un pas vif. ))
(1) Cliente n°10 : j’ai mon compte à Roanne et je veux des sous… je vous fais un:… un chèque ou vous me le donnez comme ça

Corpus tabac-presse : interaction n°3

(46) Cliente n°5 : je sais pas p-… mais alors mes gamins me disent tous… j’espère qu’on s’ra pas aussi grand pa’ce qu’alors qu’est-ce qu’il est con c(el)ui-là alors (sourire)
(( La cliente n°5 tient la poignée de la porte. ))
(47) Buraliste : (rires)
(( La cliente n°5 ouvre la porte du magasin. ))
(48) Cliente n°5 : vingt-neuf ans cette année… il a jamais travaillé (pause 3’’)
(49) Buraliste : ben moi aussi j’ai un fils…
(( La cliente n°5 sort du magasin avant que la buraliste n’ait terminé sa phrase. ))
(50) Buraliste : il a vingt-huit ans… il a pas travaillé

Corpus Crédit Agricole : interaction n°7

  ((La sonnette de la porte d’entrée retentit. L’attachée de clientèle n°3 lève les yeux pour regarder qui souhaite entrer puis appuie sur le bouton permettant de déclencher l’ouverture de la gâchette électrique de la porte. Le client n°7 s’approche sans rien dire du guichet de l’attaché de clientèle n°1 et lui tend sa carte d’identité bancaire. Ce dernier, qui est occupé à effectuer une opération sur son ordinateur, termine calmement ce qu’il est en train de faire. Neuf secondes s’écoulent avant que l’attaché de clientèle n°1 ne prenne la carte d’identité bancaire.))
(1) Attaché de clientèle n°1 : combien je vous donne
(2) Client n°7 : six cents (pause 7’’)
  (( L’attaché de clientèle n°1 entre le numéro de compte du client n°7 dans l’ordinateur puis effectue l’opération de retrait. ))
(3) Client n°7 : (toux) (silence 6’’)
  (( L’attaché de clientèle n°1 ouvre le tiroir dans lequel est rangée sa caisse et en sort la somme demandée par le client. Bruits d’impression. L’attaché de clientèle n°1 signe le bordereau de retrait, le fait signer au client, puis pose l’argent sur le guichet. ))
(4) Attaché de clientèle n°1 : deux… quat(re)… cinq… six (silence 2’’)
(5) Client n°7 : (toux)
  (( Le client n°7 prend ses billets, les garde à la main et quitte l’agence sept secondes plus tard. ))

L’absence de séquences encadrantes est très marquée en France, mais l’omission des rituels de clôture l’est davantage que celle des rituels d’ouverture.