Chapitre 8. THÈMES, MODULES ET HISTOIRES CONVERSATIONNELS

S’il est indéniable que la transaction reste toujours le but central des interactions de commerce et de service, force est de constater que certaines d’entre elles peuvent parfois dévier fortement vers la conversation. Aston avait déjà signalé cette possibilité à propos des interactions composant le corpus du projet pixi.

‘The PSE [Public Service Encounter] clearly provides for an initial set of presuppositions which is predictably shared by participants […] and it is these presuppositions, and the discourse patterns associated with them, which arguably characterizes PSEs as a genre. But these standard presuppositions provide only a starting point for the dynamics of a process by which they may be ratified, modified and expanded through talk (1988a : 16, italiques ajoutées).’

Comment distinguer la parole liée à la transaction de la parole conversationnelle au sein d’une même interaction? Comme précédemment indiqué, pour Vion, le critère permettant de distinguer l’apparition d’un module d’une modification du type de l’interaction réside dans la permanence du cadre interactif : il est question de module à partir du moment où ‘« le type correspondant apparaîtra subordonné par rapport au cadre interactif établi sur un autre type » (’ ‘ibid’ ‘., 150)’. D’autres critères peuvent également être utiles.

‘[La conversation] est un échange langagier à caractère réciproque, organisé par tours de paroles dont l’alternance n’est pas prédéterminée. La finalité de la conversation est interne et les participants y poursuivent un objectif commun. La conversation possède une temporalité particulière du fait qu’elle impose à chaque participant l’abandon de son temps individuel et ordinaire pour l’entrée dans un temps commun. Elle peut se dérouler en tout lieu mais affectionne les lieux permettant la meilleure proximité spatiale et psychologique. Elle fonctionne enfin sur la base d’une égalité de principe entre les participants (Traverso, 1996 : 11-12, italiques ajoutées).’

Les différences entre paroles transactionnelles et conversationnelles surgissent immédiatement : la finalité de la transaction est externe avec des buts complémentaires tandis que celle de la conversation est interne avec un but commun aux participants. La première est ancrée dans un script préexistant, même s’il est en partie négociable, c’est-à-dire que l’interaction repose sur un contrat de parole dont la nature des contenus est attendue et même limitée (Charaudeau, 1983). La seconde ne repose sur aucun schéma préétabli. Enfin, un autre critère distinctif apparaît au niveau des rôles et du rapport de places. Au cours de la transaction, les rôles des commagents et cliagers sont complémentaires et engendrent un rapport de places haut/bas changeant plus ou moins souvent au cours de la transaction, les cas où le commagent ou le cliager domine l’interaction dans sa totalité étant plutôt rares (Dumas, 1998 : 136-144). En conversation, les participants occupent des rôles symétriques de conversants inscrits dans un rapport de places plus ou moins égalitaire.

‘Sans postuler l’existence d’un rapport réellement égalitaire entre les sujets, ce terme [symétrique] signifie tout simplement que les places ne sont pas prédéfinies en termes de statut professionnel ou de place institutionnelle. […] Comment peut-on imaginer qu’une conversation entre des personnes habituellement en rapport hiérarchique, l’une vis à vis de l’autre, puisse se développer dans une parfaite symétrie ? […] [La] symétrie renvoie à une similitude de rôles sans impliquer une similitude et/ou une identité sociale(s) et comportementale(s), (Vion, 1992 : 134-135).’

En conversation, les interactants ne s’appuient pas sur un contrat de parole avec des contenus attendus, mais restent libres de « composer leur partition », pour reprendre la métaphore de l’orchestre de Winkin. La question soulevée par Vion à propos du changement de rapport de places s’accompagne de bien d’autres.

Comment les modules conversationnels s’articulent-ils à la transaction ? Comment les participants passent-ils de leurs rôles complémentaires à leurs rôles symétriques, et vice versa ? À quel moment les modules conversationnels font-ils leur apparition ? Ont-ils une place préétablie au sein de la transaction ? Quel participant prend-il l’initiative d’ouvrir ce type de modules ? De quel ordre sont les thèmes développés ? Vers qui sont-ils orientés ?