Les modules conversationnels peuvent être initiés aussi bien par les commagents que par les cliagers, mais ce sont en majorité les cliagers qui le font à la librairie-papeterie-presse alors que c’est principalement aux commagents qu’incombe cette tâche au tabac-presse et à La Poste. Seuls les modules dont le début pouvait être clairement délimité ont été pris en compte ici, les modules initiés par glissement ayant été éliminés de cette partie de l’étude.
Cette différence entre les sites semble pouvoir trouver une explication dans le fait que la buraliste et la guichetière de La Poste sont les commagents habituels tandis que la vendeuse de la librairie-papeterie-presse est là beaucoup moins fréquemment puisqu’elle n’effectue que des remplacements ponctuels. Elle se sent peut-être moins autorisée à converser avec les cliagers. Elle les connaît surtout moins bien que la buraliste et la guichetière ne connaissent les cliagers habituels. Leur facteur « D » est de ce fait plus réduit. En effet, il n’est pas surprenant de constater que, aussi bien à la librairie-papeterie-presse qu’au tabac-presse, parmi les interactions incluant un module conversationnel, la majorité des conversations se déroulent entre les commagents et des cliagers habituels.
D’une part, ceci est tout à fait normal : les cliagers habituels ont déjà une histoire conversationnelle avec les commagents. Le module conversationnel qu’ils ajoutent à la transaction vise au maintien des relations amicales qu’ils ont établies, et ajoute un épisode supplémentaire à leur histoire conversationnelle. D’autre part, cela signifie que commagents et cliagers ne se lient pas facilement et ne cherchent pas spontanément à établir un lien avec une personne qu’ils rencontrent de manière occasionnelle.
De plus, la majorité des modules conversationnels prennent place dans des transactions normalement très courtes : pour des ventes de presse en libre-service à la librairie-papeterie-presse et au tabac-presse, des ventes de tabac au tabac-presse et de timbres à La Poste. Toutes ces ventes sont des ventes qui s’effectuent normalement très rapidement puisque les biens qui ne sont pas en libre-service sont des biens ou services en accession directe.
librairie | tabac | poste | |
Presse | 90.4% | 41.3% | |
Tabac | | 47.8% | |
Timbres | | | 61.6% |
Ce rapport qui s’instaure entre rapidité de la transaction et présence d’un module conversationnel semble curieux, voire paradoxal : les cliagers qui viennent acheter le journal, un timbre ou un paquet de cigarettes devraient être assez pressés. Ce ne sont pas des articles d’une grande valeur : il n’y a pas d’hésitation à avoir et l’hypothèse selon laquelle les cliagers feraient ces achats le plus rapidement possible paraissait probable. En revanche, il semblait plus naturel pour les cliagers qui achètent des livres ou des articles de papeterie, qui effectuent des opérations bancaires ou des démarches administratives d’y consacrer davantage de temps, et donc, pourquoi pas, de discuter un petit peu avec le commagent. En réalité, les corpus montrent que ce n’est pas sur ce principe que fonctionne la présence ou l’absence de modules conversationnels. Les cliagers qui prennent part à une transaction de longue durée consacrent du temps soit au choix de leur article, soit à l’attente nécessaire pour que le bien ou le service désiré soit mis à leur disposition. Une fois le choix effectué ou le bien délivré, ils s’acquittent du paiement s’il y a lieu, puis quittent rapidement le lieu institutionnel. La plupart sont des cliagers occasionnels ou de passage qui n’ont pas forcément l’intention de revenir et qui ne manifestent donc aucune envie d’établir une quelconque relation avec le commagent.
Les cliagers faisant l’acquisition d’un bien d’usage courant sont certes plus pressés car la transaction à laquelle ils participent ne mérite pas une grande réflexion dans la mesure où elle se déroule régulièrement, mais, ils savent qu’ils vont revenir le lendemain ou la semaine prochaine, alors ils prennent la peine de consacrer quelques minutes à leur relation avec le commagent afin d’être reconnus et bien accueillis lors de leur prochain passage. En disant qu’ils consacrent à cette activité quelques minutes, on part sur la base d’une moyenne approximative du temps qu’attribuent les cliagers au maintien de leur relation sociale avec le commagent. En effet, ils peuvent y vouer quelques secondes ou plusieurs minutes.
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°4
(12) | Cliente n°7 : i fait pas chaud ce matin = |
(13) | Vendeuse : = ben non |
(14) | Cliente n°7 : y a le brouillard qui s’élève maintenant |
(15) | Vendeuse : ah bon ouh: ben alors |
Corpus tabac-presse : interaction n°18
(45) | Buraliste : tu vas au boulot |
(46) | Client n°26 : ouais |
(47) | Buraliste : tu viens de te lever là… on dirait |
(48) | Client n°26 : mhm (pause 2’’) (rires) |
Les modules conversationnels de longue durée sont assez nombreux, mais pour des raisons pratiques, un seul exemple sera cité ici.
Corpus La Poste : interaction n°35
(12) | Client n°39 : alors ce soir qui c’est qui gagne… les Tchèques ou les Français |
(13) | Guichetière : ben pff: quelle question |
(14) | Client n°39 : non ben je suis parti voir Martin… pa’ce que sa f- i… sa deu- sa deuxième femme elle est tchèque |
(15) | Guichetière : oui (pause 2’’) i [sont foot |
(16) | Client n°39 : [i m’a dit match nul |
(17) | Guichetière : ah bon |
(18) | Client n°39 : comme ça y aura pas d’emmerdes |
(19) | Guichetière : hé:: non |
(20) | Client n°39 : (rires) |
(21) | Guichetière : pas match nul… c’est la France qui gagne |
(22) | Client n°39 : oh ben moi je leur souhaite de tout cœur hein (silence 2’’) |
(23) | Guichetière : ouh la la mais c’est Max qui:: |
(24) | Client n°39 : qui souffle |
(25) | Guichetière : qui souffle comme ça… i souffle bientôt autant que son maître (rires) (silence 2’’) |
(26) | Client n°39 : viens dire bonjour… Max |
(27) | Guichetière : ben alors Max t’as bien l’air fatigué mon vieux Max |
(28) | Client n°39 : viens ici |
(( Le client tape sur le guichet. )) | |
(29) | Guichetière : il a pas envie::… il a soif |
(30) | Client n°39 : on pas(se)ra chez la Pierrette… elle lui donnera à boire |
(31) | Guichetière : oh ben… c’est pas chez la Martine qu’i faut aller |
(32) | Client n°39 : oh ben toutes les fois hein… elle me dit ton le chien a soif |
(33) | Guichetière : et elle vous donne la même chose (silence 2’’) |
(34) | Client n°39 : à moi… non non non non |
(35) | Guichetière : ah bon |
(36) | Client n°39 : lui il a un bol d’eau fraîche [et: |
(37) | Guichetière : [elle lui [don- |
(38) | Client n°39 : [à la maison |
(39) | Guichetière : elle lui donne de l’eau fraîche |
(40) | Client n°39 : ah non non i boit non non rien |
(41) | Guichetière : elle lui (ri [res) |
(42) | Client n°39 : [(rires) (silence 4’’) |
(( La guichetière pianote sur son clavier d’ordinateur. )) | |
(43) | Guichetière : vous z’avez r’gardé l’émission de Gainsbourg l’aut(re) jour |
(44) | Client n°39 : ouais (silence 4’’) |
(45) | Guichetière : et alors |
(46) | Client n°39 : très bien (pause 2’’) par cont(re) il avait un avantage c(el)ui-là plus il était b-… comme on dit plus le buc plus le bouc est vilain plus les chèvres l’aiment |
(47) | Guichetière : (rires) |
(48) | Client n°39 : parce que dans la bande je suis sûr qu’i y en a qu-… qui ont dû passer dans son lit hein |
(49) | Guichetière : toutes |
(50) | Client n°39 : (signe de tête) |
(( La guichetière remplit manuellement un bordereau de retrait. )) | |
(51) | Guichetière : toutes |
(52) | Client n°39 : ah… [(inaudible) |
(53) | Guichetière : [i doit avoir des dons cachés… et c’est pas pour sa beauté hein |
(54) | Client n°39 : ah ben oui mais c’était ni un con ni un c-… Gainsbourg c’était un cas mais c’était pas un con |
(55) | Guichetière : c’était p- c’était pas un con non c’est vrai |
(56) | Client n°39 : non non c’était pas un con |
(57) | Guichetière : c’était Gainsbourg |
(58) | Client n°39 : c’était Gainsbourg (pause 2’’) sa sœur vit en Espagne (pause 2’’) pa’ce que quand euh… sa mère a accouché… le premier qu’est sorti c’était une fille |
(59) | Guichetière : ben vous z’êtes bien renseigné vous (petits rires) |
(60) | Client n°39 : ah ben:: les::… des jumeaux quoi |
(61) | Guichetière : ah bon |
(62) | Client n°39 : et le deuxième euh: c’était lui |
(63) | Guichetière : je parie que la fille était jolie (pause 2’’) elle [avait |
(64) | Client n°39 : [je l’ai vue une fois à la télé mais (pause 2’’) elle ressemble pas du tout à son frère hein |
(65) | Guichetière : ah ben : heureus’ment |
(66) | Client n°39 : son frère jumeau |
(67) | Guichetière : heureus’ment (sourire) |
(68) | Client n°39 : (petits rires) |
(69) | Guichetière : la pauvre |
(70) | Client n°39 : non mais il avait un sac- un certain… p’is surtout il était pas con |
(71) | Guichetière : bien sûr que non |
(72) | Client n°39 : quand il était avec la gonzesse avec Michel Drucker là qui avait dix-neuf ans là des Etats-Unis là… l’aut(re) savait plus quoi dire Drucker… t’as pu- t’as qu’à lui dire que je veux la baiser non (ri [res) |
(73) | Guichetière : [(rires) |
(74) | Client n°39 : ben il a bien fait d’en profiter de la vie (pause 2’’) la vie c’est pas si long (pause 2’’) ouh : la la… c’est pas si long la vie |
(75) | Guichetière : ouais (silence 2’’) |
(( La guichetière glisse le bordereau sous la vitre. Le client le signe et le remet à sa place. )) | |
(76) | Client n°39 : p(eu)t-êt(re) qu’il a un peut trop tiré sur la corde |
(77) | Guichetière : un peu… on sait pas: |
(78) | Client n°39 : mais c’est lui qui choisissait hein = |
(79) | Guichetière : = c’est sa vie |
(80) | Client n°39 : i y a une chose qui a de sûre… c’est qu’i d’vait rien à personne (silence 1’’) |
(81) | Guichetière : c’est déjà pas mal |
(82) | Client n°39 : ni à son banquier… ni au resto en face le Raphaël… pa’ce que je suis parti boire un coup avec ma gamine au Raphaël… c’était son siège… t’allais au Raphaël entre euh::… minuit et une heure du matin jusqu’à six heures du matin… t’avais deux chances sur deux de trouver Gainsbourg |
(83) | Guichetière : (rires) |
(84) | Client n°39 : mais pas à trois heures de l’après-midi par cont(re) |
(85) | Guichetière : ah bon |
(86) | Client n°39 : ah non non non |
(87) | Guichetière : i f(ai)sait la sieste |
(88) | Client n°39 : je sais pas ce qu’i f(ai)sait mais enfin i d’vait ben se reposer un peu (silence 4’’) |
(( La guichetière reprend le bordereau et glisse cinq billets de cent francs sous la vitre. Le client les prend et les range dans la poche intérieure de sa veste. )) | |
(89) | Guichetière : alors Max… il a soif hein |
(90) | Client n°39 : oh ben [il a qu’à boi- |
(91) | Guichetière : [faut vous z’arrêter chez Ginette ou avant mais… avant de traverser le p- la pla- le carr’four mais faut vous z’arrêter hein |
(92) | Client n°39 : on lui trouv’ra ben à boire |
(93) | Guichetière : i tiendra pas le coup |
(94) | Client n°39 : on lui trouv’ra ben que(l)que chose |
(95) | Guichetière : faudra bien |
Ce module conversationnel s’étend sur un peu plus de quatre minutes et se superpose d’ailleurs à la transaction qui passe au second plan et se réalise par le biais du canal gestuel de facto.
Résultas présentés en pourcentages et obtenus à partir du nombre total d’interactions comprenant un module conversationnel au début identifiable.
Résultats présentés en pourcentages et obtenus à partir du nombre total d’interactions incorporant un module conversationnel clairement délimitable.
Résultats obtenus à partir du nombre total de transactions incorporant un module conversationnel et impliquant des cliagers habituels.