B. Thèmes et modules conversationnels

Chaque thème développé doit-il être considéré comme un module conversationnel ou un module peut-il contenir plusieurs thèmes ? La tentation est grande d’assimiler module et thème conversationnel dans la mesure où ils correspondent parfois.

Corpus La Poste : interaction n°39

(20) Guichetière : comment ça va votre fils (pause 1’’) [(inaudible)
(21) Cliente n°43 : [pas trop mal… il a deux phlébites maint’nant… une à la jambe une au bras (silence 3’’)
(22) Guichetière : (à voix basse) oh ben:… comment ça se fait
(23) Cliente n°43 : ben: il a eu d-… au bras il a eu… vous savez ils l’ont trop piqué là
(24) Guichetière : bah
(25) Cliente n°43 : il a eu le machin trop longtemps et:… le liquide s’est dissout un p’tit peu à travers la peau et ça lui a donné une phlébite… au bras et à la jambe… malgré les piqûres tous les [deux (inaudible) quoi (pause 1’’)
(26) Guichetière : [malgré (inaudible)
(27) Cliente n°43 : autrement bon faut l’emm’ner au kiné… autrement bon c’est pas que ça irait trop mal quoi
(28) Guichetière : et i prend:… patience (silence 2’’)
(29) Cliente n°43 : on déguste

Dans cet exemple, on retrouve un module conversationnel et un thème conversationnel concernant l’état de santé du fils de la cliagère. Il n’y a qu’un seul module conversationnel car son statut de type subordonné au cadre interactif de l’interaction n’est pas modifié. La modification de ce cadre pourrait donner naissance à un second module. Aucun exemple de ce type n’a pu être relevé dans les corpus. En revanche, des modules conversationnels contenant plusieurs thèmes font leur apparition. Le problème soulevé par ces modules tient à l’identification des thèmes et/ou des moments auxquels les changements interviennent. En certaines occasions, il n’y a pas le moindre problème.

Corpus La Poste : interaction n°35

(26) Client n°39 : viens dire bonjour… Max
(27) Guichetière : ben alors Max t’as bien l’air fatigué mon vieux Max
(28) Client n°39 : viens ici
  (( Le client tape sur le guichet. ))
(29) Guichetière : il a pas envie::… il a soif
(30) Client n°39 : on pass’ra chez la Pierrette… elle lui donnera à boire
(31) Guichetière : oh ben… c’est pas chez la Pierrette qu’i faut aller
(32) Client n°39 : oh ben toutes les fois hein… elle me dit ton le chien a soif
(33) Guichetière : et elle vous donne la même chose (silence 2’’)
(34) Client n°39 : à moi… non non non non
(35) Guichetière : ah bon
(36) Client n°39 : lui il a un bol d’eau fraîche [et:
(37) Guichetière : [elle lui [don-
(38) Client n°39 : [à la maison
(39) Guichetière : elle lui donne de l’eau fraîche
(40) Client n°39 : ah non non i boit non non rien
(41) Guichetière : elle lui (ri [res)
(42) Client n°39 : [(rires) (silence 4’’)
  (( La guichetière pianote sur son clavier d’ordinateur. ))
(43) Guichetière : vous z’avez r’gardé l’émission de Gainsbourg l’aut(re) jour
(44) Client n°39 : ouais (silence 2’’)
(45) Guichetière : et alors
(46) Client n°39 : très bien (pause 2’’) par cont(re) il avait un avantage c(el)ui-là plus il était b-… comme on dit plus le buc plus le bouc est vilain plus les chèvres l’aiment

Ici, le passage du thème 1 au thème 2 est clairement identifiable. Lorsque les participants mettent un terme à leurs remarques sur le chien du cliager et sur le fait qu’il doit être assoiffé, une pause de quelques secondes s’installe avant que le thème de l’émission de télévision avec Serge Gainsbourg soit initié. La pause est d’ailleurs annoncée par le rire des participants visant à « meubler » tandis qu’ils cherchent probablement le prochain thème qu’ils vont aborder. La pause entre deux thèmes conversationnels n’est pas systématique et le passage de l’intervention (42) à l’intervention (43) pourrait très bien se faire sans le moindre temps d’arrêt entre les deux. Cette situation se produit d’ailleurs fréquemment.

Dans d’autres contextes, les choses ne sont pas toujours aussi limpides et la délimitation des thèmes est problématique.

Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°22

(18) Cliente n°30 : ouh la la je suis fatiguée
(19) Vendeuse : ah bon
(20) Cliente n°30 : oh ben j’ai mon évier qui s’est bouché =
(21) Vendeuse : = et ça vous z’a fatiguée
(22) Cliente n°30 : je l’ai défait d’ssous hier
(23) Vendeuse : ah oui:
(24) Cliente n°30 : ce matin je vais pour tirer de l’eau... i fait clouc glouc clouc ça m’énerve
(25) Vendeuse : eh ben oui je comprends 
(26) Cliente n°30 : j’ai retourné regarder si c’était bien vissé d’ssous... quand on est tout seul eh ben c’est pas gai... hein
(27) Vendeuse : c’est sûr oui je comprends 

La cliagère introduit brutalement un module conversationnel immédiatement après la séquence de paiement en déclarant être fatiguée. La demande de précision implicite de la vendeuse, marquée par un indice de contextualisation prosodique, fonctionne comme une demande d’explicitation du motif de la fatigue. La réponse attendue serait quelque chose comme « je suis malade : j’ai une crise de sinusite » ou « je n’ai pas pu dormir cette nuit : les voisins ont fait du bruit ». La cliagère produit une intervention inattendue sur un problème de plomberie. Cette intervention semble d’ailleurs être perçue par la vendeuse davantage comme l’introduction d’un nouveau thème que comme une réponse à sa demande de précisions puisqu’elle enchaîne sur une demande d’explicitation du rapport entre l’état de fatigue de la cliagère et l’évier bouché. On parlera dans ce cas de « conversation à bâtons rompus » (André-Larochebouvy, 1984), c’est-à-dire de conversations au sein desquelles il est impossible de dégager un thème précis. Les thèmes se succèdent à un rythme plus ou moins rapide, et peuvent parfois disparaître pour réapparaître. Une des difficultés liées à ce type de module tient à ce qu’il est parfois difficile de dire précisément où s’arrête un thème et où commence l’autre.