Ces thèmes généraux courants recouvrent les thèmes généraux dont il est possible de dire quelque chose quelle que soit la situation temporelle de l’interaction. Un seul type de thèmes généraux apparaît assez régulièrement dans les interactions de commerce et de service : la météo.
C’est un thème un peu particulier dans le sens où en plus d’être très général, il présente l’avantage de mettre les deux participants sur un pied d’égalité. En effet, aucun des participants ne commet ni ne subit d’incursion territoriale. Toutes les faces mises en présence sont protégées car aucune d’entre elles n’est directement concernée. C’est un thème externe aux individus, et c’est ce qui permet à Traverso de le qualifier de thème « sans risque » (1997 c : 147). C’est un thème sur lequel tous les participants peuvent trouver quelques mots à dire. Il n’est pas toujours aisé de différencier les assertions de salutations prenant la forme d’un commentaire sur le temps qu’il fait des thèmes sur la météo, les thèmes sur la météo pouvant parfois s’inscrire dans la continuité d’une assertion de salutation. De manière générale, il semble tout de même que les assertions de salutations prolongent la séquence d’ouverture tandis que les thèmes relèvent des modules conversationnels développés dans le corps de l’interaction. Le commentaire sur le temps qu’il fait est introduit immédiatement après l’échange de salutations et juste avant l’exposé du but de l’interaction avec lequel il peut parfois s’intercaler ; c’est ce qui lui confère un statut de salutation complémentaire. Cette distinction n’est cependant pas toujours pertinente car des interventions en rapport avec la météo peuvent intervenir en lieu et place d’une assertion de salutation et tendre vers le module conversationnel.
Corpus Crédit Agricole : interaction n°20
(1) | Attachée de clientèle n°2 : bonjour madame |
(2) | Cliente n°22 : bonjour |
(3) | Attachée de clientèle n°2 : vous nous z’am’nez pas le soleil |
(( La cliente n°22 ouvre son sac à main et en sort son chéquier qu’elle pose sur le guichet. )) | |
(4) | Cliente n°22 : ben non… je voudrais r’tirer trois cents francs |
(5) | Attachée de clientèle n°2 : c’est les giboulées de mars [qui commencent |
(6) | Cliente n°22 : [ah oui (pause 2’’) |
Dans cet exemple, si les énoncés en rapport avec la météo s’étaient limités aux interventions initiative du commagent en (3) et réactive de la cliagère en (4), on aurait pu les classer comme assertions de salutations sans la moindre hésitation : de courte durée, elles seraient intervenues après l’échange de salutations d’ouverture, et avant la formulation du but de la rencontre. Le fait que l’échange se poursuive après la formulation de la remarque par la cliagère invite à considérer cet échange sur la météo comme un module conversationnel au sein duquel la transaction s’insère. Mais la question de savoir si les quatre interventions doivent être considérées comme un module conversationnel, ou bien les deux premières comme des assertions de salutation ouvrant sur un module conversationnel reste entière.
Le thème météo intégré à un module conversationnel apparaît dans 9.6% des interactions comprenant un module conversationnel à la librairie-papeterie-presse, 6.6% à La Poste, et 5.7% au tabac-presse. Le thème météo apparaît essentiellement en fin d’interaction, mais bien qu’occupant cette position par rapport à l’interaction globale, il vient presque toujours en tête des modules conversationnels, juste après la fin de la transaction.
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°4
(8) | Cliente n°7 : euh (pause 3’’) 11-12 |
(9) | Vendeuse : top j’en ai assez |
(10) | Cliente n°7 : eh ben oui... y en a assez |
(( La vendeuse ramasse l’argent et le met dans la caisse. )) | |
(11) | Vendeuse : mer:ci (silence 6’’) |
(( La cliente plie son journal et le met dans son cabas. )) | |
(12) | Cliente n°7 : (voix faible ) i fait pas chaud ce matin = |
(13) | Vendeuse : = ben non |
(14) | Cliente n°7 : y a le brouillard qui s’élève maintenant |
(15) | Vendeuse : ah bon ouh: ben alors |
Corpus La Poste : interaction n°6
(3) | Guichetière : un timbre à trois francs |
(4) | Client n°7 : oui (pause 1’’) voilà |
(5) | Guichetière : d’ac:cord |
(6) | Client n°7 : i fait pas chaud |
(7) | Guichetière : pas bien (sourire) |
Dans ce genre de situations, le cliager se pose en informateur. Il vient de l’extérieur et veut donc faire profiter le commagent de ses impressions car il sait que, confiné dans le lieu clos, le commagent ne se rend pas compte de l’évolution du temps.
Le thème météo est introduit par le cliager de manière quasi-systématique. En réalité, tous les thèmes météo à la librairie-papeterie-presse et à La Poste sont développés par les cliagers. C’est également le cas majoritaire mais pas exclusif au tabac-presse : le cliager prend en charge l’initiative du thème météo dans 83.4% des cas. Le thème météo peut donner lieu à deux attitudes différentes chez les participants : l’accord ou le désaccord.
L’accord, le partage de l’opinion énoncée sur le temps qu’il fait met rapidement fin au thème. C’est le cas des deux exemples ci-dessous dans lesquels l’échange sur la fraîcheur du temps ne contient que deux interventions des participants. Le module conversationnel entre la commagente et le cliager à La Poste s’arrête là. À la librairie-papeterie-presse, afin de le prolonger, la cliagère apporte une information nouvelle sur la levée du brouillard, mais là encore, cet échange se limite à deux interventions. La cliagère se pose en informatrice et la commagente accepte immédiatement cette information.
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°4
(12) | Cliente n°7 : (VOIX FAIBLE) i fait pas chaud ce matin = |
(13) | Vendeuse : = ben non |
(14) | Cliente n°7 : y a le brouillard qui s’élève maintenant |
(15) | Vendeuse : ah bon ouh: ben alors |
Corpus La Poste : interaction n°6
(6) | Client n°7 : i fait pas chaud |
(7) | Guichetière : pas bien (sourire) |
Parfois, l’opinion énoncée par le locuteur à propos du temps qu’il fait n’est pas partagée par l’allocutaire. Dans ces cas-là, le désaccord donne lieu à une petite négociation dans laquelle des justifications sont apportées.
Corpus librairie-papeterie-presse : interaction n°2
(11) | Client n°2 : ça fait moins froid |
(12) | Vendeuse : ah bon |
(13) | Client n°2 : mais oui |
(14) | Vendeuse : vous trouvez |
(15) | Client n°2 : ah oui... ben: sur l’avenue y avait moins trois hier |
(16) | Vendeuse : et là |
(17) | Client n°2 : là y a moins un |
(18) | Vendeuse : ouais |
(19) | Client n°2 : j’y ai vu quand je suis sorti de la maison... j’ai dit est-ce qu’on s’habitue mais j’ai r’gardé le: vers- vers Dupont là et [ y avait |
(20) | Vendeuse : [ pourtant les voitures sont bien g’lées quand même hein |
(21) | Client n°2 : oui oui... oui mais:.. c’est marrant y a- y a moins trois (silence 2’’) |
(22) | Vendeuse : ben oui = |
(23) | Client n°2 : = et hier tous ces jours-là euh:... ben hier avant hier y avait- y avait moins trois |
(24) | Vendeuse : oh ben ça se peut... oui |
(25) | Client n°2 : je sais pas l(e)quel c’est qui m’a dit que... vers la place là-bas (silence 5’’) |
(( Le client n°2 se retourne en direction de la rue et pointe son doigt dans une direction. Au même moment, un autre client pousse la porte pour entrer. )) | |
(26) | Vendeuse : bonjour mon [sieur |
(27) | Client n°3 : [ madame |
(28) | Client n°2 : moins sept y avait hier matin |
(29) | Vendeuse : ouais c’est vrai |
(30) | Client n°2 : alors (silence 2’’) |
(31) | Vendeuse : hé oui... faut faire avec |
(( Le client n°2 s’approche de la porte et l’entrebâille. )) | |
(32) | Client n°2 : oh ben c’est ben la sais- c’est ben un joli temps r’marquez |
En (12), puis en (14), la commagente de la librairie-papeterie-presse exprime son désaccord. Le cliager se lance alors dans une justification de son opinion en prenant pour témoin le thermomètre extérieur du boulanger qui affichait une température plus basse la veille que le jour même. Il y a d’ailleurs une profonde confusion dans les propos du cliager qui apparaît au fil de l’interaction. En (15), il affirme qu’il y avait moins trois la veille, et en (17), il confirme qu’il y a moins un le jour de la discussion. En (21), il infirme (17) en disant qu’à ce jour, la température est de moins trois, puis réitère en (23) que les jours précédents, le thermomètre affichait une température de moins trois.
C’est à ce moment-là que la commagente comprend que le cliager est en train de confondre la température du jour et celle de la veille, et cesse de défendre sa conviction car elle s’aperçoit que les choses sont embrouillées dans l’esprit du cliager et qu’elle ne parviendra pas à avoir raison. Elle se contente alors d’abonder dans le sens du cliager avec des expressions telles que « ben oui », « ben ça se peut oui », ou encore « oui c’est vrai ». En (31), elle manifeste clairement son désir de mettre fin à ce thème puisque son intervention est énoncée pour fonctionner comme une conclusion au thème sur la météo. Le cliager comprend, énonce à son tour sa conclusion sur le thème météo et s’approche de la sortie.
Les exemples cités permettent de constater que le thème météo peut s’initier, se développer et se conclure en quelques secondes ou s’étendre un peu plus longuement. De toute manière, quelle que soit la durée du développement du thème sur la météo, il ne débouche jamais sur une conversation à part entière. En effet, la météo est un thème idéal pour servir de premier thème et fonctionner comme introduction à la conversation. Il sert à briser la glace entre les participants et débouche généralement par glissement sur d’autres thèmes jusqu’à ce que les participants atteignent le thème du but principal de leur conversation (cf. Traverso, 1997 c).
Dans les corpus sur lesquels se base notre étude, il y a deux possibilités :
Corpus tabac-presse : interaction n°7
(2) | Buraliste : bonjour… ça va (sourire) |
(3) | Cliente n°9 : oui… fraîchement |
(4) | Buraliste : oui… ouais [ très pluvieux |
(5) | Cliente n°9 : [ j’ai gardé la jupe mais j’ai mis le pull… j’ai mis la veste quoi |
(6) | Buraliste : la mini-jupe |
(( La buraliste se penche sur le comptoir-caisse pour regarder. )) | |
(7) | Cliente n°9 : non pas trop court moi [ j- |
(8) | Buraliste : [ oh non y a pire |
(9) | Cliente n°9 : je rallonge un peu maint’nant avec l’âge hein |
(10) | Buraliste : oh ben alors:: vous z’avez des jambes superbes = |
(11) | Cliente n°9 : = ben c’est pas ça… c’est que euh::: au travail elles z’y voient pas euh: du même œil que moi quoi |
(12) | Buraliste : ah oui |
(13) | Cliente n°9 : ben les bonnes femmes dans les usines… c’est infernal |
(14) | Buraliste : oh la la = |
(15) | Cliente n°9 : = c’est vrai hein |
(16) | Buraliste : faut travailler avec des z’hommes (rires) |
(17) | Cliente n°9 : ah oui ben pff… ouais |
(18) | Buraliste : ouais c’est pas mieux non plus |
(19) | Cliente n°9 : si si bon [ ben |
(20) | Buraliste : [ ça dépend |
Le thème sur la météo permet à la cliagère d’initier un thème plus personnel concernant sa tenue vestimentaire, et plus précisément la longueur de ses jupes et l’attitude de ses collègues de travail par rapport à sa tenue vestimentaire.