2. Les thèmes en rapport avec les territoires

Les thèmes concernant les territoires, au sens goffmanien du terme, sont d’ordinaire assez rares dans les interactions de commerce et de service car le lieu, tout autant que la relation qu’entretiennent les participants, ne s’y prêtent guère. Les corpus font tout de même état d’un nombre assez important de thèmes de ce type, principalement au tabac-presse en raison de la relation proche qui unit les participants. Il convient de distinguer deux types de thèmes en rapport avec les territoires : ceux qui consistent à parler de ses propres territoires, de sa propre initiative ou sur invitation et impliquent un dévoilement de soi (self-disclosure), c’est-à-dire

‘what individuals verbally reveal about themselves to others (including thoughts, feelings, and experiences), (Derlega, Metts, Petronio & Marguli, 1993 : 1 ) ;’

et ceux qui consistent à parler des territoires de tiers absents et qui impliquent un dévoilement d’autrui : ce que des individus révèlent à leurs partenaires d’interaction sur les pensées, sentiments et expériences de tiers absents.

Il ne semble pas y avoir de règle précise à propos de l’initiateur des thèmes portant sur les territoires. Ils sont cependant systématiquement initiés par les cliagers à la librairie-papeterie-presse, qu’ils concernent les propres territoires des cliagers ou ceux de la commagente. Au tabac-presse et à La Poste, bien que les deux schémas soient possibles, ce sont le plus souvent les commagents qui débutent les thèmes en rapport avec les territoires des cliagers. Ce qui différencie ces deux sites tient à ce que la commagente de La Poste n’initie jamais de thème en rapport avec ses propres territoires alors que la buraliste le fait assez fréquemment. Apparemment, la vendeuse de la librairie-papeterie-presse ne prend jamais la liberté d’aborder un sujet d’ordre personnel avec les cliagers car c’est une entreprise risquée lorsqu’on ne se connaît pas très bien. Inversement, la commagente de La Poste prend l’initiative des thèmes personnels, vraisemblablement pour les mêmes raisons. Cette différence semble pouvoir être expliquée par un facteur externe : l’âge des participants. La vendeuse est plus jeune que la majorité des cliagers. Ces derniers prennent donc l’initiative des thèmes concernant ses territoires dans la mesure où ils doivent se sentir plus ou moins proche d’une personne qui pourrait être leur fille ou leur petite-fille. Le même facteur âge semble s’appliquer de manière inversée à La Poste : la guichetière, femme d’âge mûr mais cependant plus jeune que la plupart des cliagers initie les thèmes en rapport avec les territoires des cliagers – dont beaucoup ont trait à la santé – pour témoigner de sa sollicitude et de son intérêt pour des personnes qui pourraient être ses parents, voire ses grands-parents. La relation entre les participants à la librairie-papeterie-presse et à La Poste semble donc dissymétrique de ce point de vue. Au tabac-presse où les participants ont établi une relation symétrique ou quasi-symétrique, les thèmes sur les territoires des participants sont initiés tantôt par les uns, tantôt par les autres.