D. L’histoire conversationnelle

Plusieurs fois évoquée, l’histoire conversationnelle n’a jamais été définie. Qu’entend-on par histoire conversationnelle ? Comment se construit-elle ? Quels en sont les marqueurs ?

1. Principes généraux

Par histoire conversationnelle, Golopentia-Erescu entend

‘l’ensemble des interactions conversationnelles ayant eu lieu, à un moment donné, entre deux (ou plusieurs) sujets parlants (1985 : 6).’

Prendre connaissance de la définition de la notion d’histoire conversationnelle, revient à réaliser immédiatement qu’aucun des corpus questionnés ici ne peut permettre de rendre compte de cette notion d’histoire conversationnelle. Il sera donc impossible d’envisager les corpus sous cet aspect. Il reste néanmoins possible de tirer quelques bénéfices de l’histoire conversationnelle des participants pour rendre compte du facteur « D » qu’ils partagent.

S. Golopentia-Erescu propose de schématiser l’histoire conversationnelle comme suit :

‘HC = histoire conversationnelle ’ ‘CI = conversation initiale’ ‘CM = conversation médiane’ ‘CF = conversation finale’ ‘HC = CI, CM1, CM2, ... CMn, CF’

La conversation initiale serait bien vécue comme le début de quelque chose par les interactants. Cependant, comme le note Golopentia-Erescu,

‘on est plutôt tenté de parler d’épisode plus ou moins initial. En effet, une histoire conversationnelle entre deux participants HCx,y peut débuter ou bien (1) brusquement par surgissement + auto-présentation de x devant y ou inversement, ou bien (2) par la médiation d’un super-agent présentateur z dans le cadre d’une interaction HCz, ... et dans l’histoire conversationnelle HCx,y, on dira dans ce dernier cas que HCx,y est une histoire conversationnelle ancrée, une histoire conversationnelle branchée sur HCz (ibid., 10).’

Les propos de Golopentia-Erescu mènent à la conclusion suivante : même une conversation initiale entre deux interactants n’est que partiellement initiale car tout individu a déjà eu d’autres conversations avec d’autres interactants, ce qui implique qu’il partage déjà d’autres histoires conversationnelles. En effet, comme le note Goffman,

‘il est clair que chaque participant entre dans une situation sociale en portant une biographie déjà riche d’interactions passées avec les autres participants – ou tout du moins avec des participants de même type ; de même qu’il vient avec un grand assortiment de présuppositions culturelles qu’il présume partagées (1988 : 197).’

Ceci semble néanmoins discutable dans la mesure où si l’on admet ce raisonnement, il est alors bien difficile de remonter jusqu’à une conversation totalement initiale. Toutes les interactions, excepté l’interaction mère / enfant, ne seraient alors que partiellement initiales. Se pose alors le problème manifeste des souvenirs : quand dater les premiers souvenirs des interactants ?

De la même manière, la conversation finale semble n’être pas réellement finale. En fait, elle n’occupe la position de conversation finale dans l’histoire conversationnelle que jusqu’à la prochaine conversation où elle devient alors conversation médiane. Les participants n’envisagent jamais leur conversation comme finale, à part quelques cas très particuliers tels que les dernières paroles d’un individu prononcées sur son lit de mort. Il n’y a guère que la mort pour mettre fin à une histoire conversationnelle. En effet, même si les participants se querellent et se promettent de ne plus jamais se revoir, leur histoire conversationnelle n’est pas forcément terminée.

‘Ceci revient à dire qu’en fait, aussi longtemps que l’un des partenaires d’une histoire conversationnelle est encore vivant, l’histoire conversationnelle respective continue à se développer vu qu’il y aura toujours, chez celui-ci, des épisodes conversationnels intérieurs pour la prolonger (ibid., 12).’

La position de Golopentia-Erescu à propos des « épisodes intérieurs » peut prêter à controverse. Quelle signification peut-on attribuer à ce syntagme? Parce qu’après tout, si quelqu’un est mort, l’histoire conversationnelle n’est pas achevée non plus. Selon la position de l’auteur, on pourrait logiquement dire que la ou les personnes continuant à vivre maintien(nen)t l’histoire conversationnelle qu’elle(s) avai(en)t en commun avec la personne décédée par le biais de ces « épisodes intérieurs ».

En réalité, ces « épisodes intérieurs » doivent être considérés comme relevant d’un autre niveau, sinon il n’y a jamais d’histoire conversationnelle finie, même après la mort. L’adjectif « intérieur » signifie-t-il que l’on se remémore les conversations qui ont déjà eu lieu entre les participants ou que l’on en imagine de futures qui vont avoir lieu? À ce moment-là, si l’un des participants est décédé, on ne peut pas s’imaginer de futures conversations. Mais, on peut quand même se remémorer des conversations passées. Il faut, de plus, exclure la possibilité qu’après la mort, on puisse se rencontrer dans un autre monde non terrestre.