2. L’histoire conversationnelle dans les interactions de commerce et de service

En ce qui concerne les interactions de commerce et de service composant les corpus, il apparaît bien difficile d’émettre des généralisations. Le problème tient au fait que deux types d’interactions distincts apparaissent dans les corpus :

  • Des interactions initiales marquant la première rencontre des participants, l’épisode initial de l’histoire conversationnelle des interactants. Ce type d’interactions concerne uniquement des cliagers de passage qui viennent pour la première fois, c’est-à-dire des individus que les commagents n’ont jamais vus auparavant. Le problème vient du fait qu’après ce premier épisode, aucune conversation médiane ni éventuellement finale n’est accessible pour permettre d’avoir une approche globale de l’histoire conversationnelle des participants.

L’histoire conversationnelle des participants débute bien, dans ce cas-là, « brusquement par surgissement », mais sans auto-présentation. Le cliager pénètre dans le magasin mais ne se présente pas au commagent en lui disant, par exemple : « bonjour mademoiselle, je m’appelle Pierre Martin, j’ai 26 ans et je suis artisan boulanger ». Les deux participants restent anonymes, au moins sur leurs nom, prénom, âge et statut social. On peut donc en déduire que dans une interaction de commerce ou de service, il n’est pas nécessaire que les participants se connaissent. L’auto-présentation n’est donc pas requise et n’a même jamais lieu. Tout ce que les participants à une interaction de commerce ou de service laissent transparaître, ce sont leurs qualités en tant qu’interactant et leur aptitude à remplir leurs rôles de commagents et cliagers. Seul leur statut interactionnel est pertinent. C’est donc à ce niveau qu’ils devront fournir des efforts pour laisser une bonne impression de la rencontre qui vient de se dérouler.

  • Des interactions « finales » impliquant que des conversations initiales et/ou médianes ont déjà eu lieu entre les participants. Golopentia-Erescu qualifie ces interactions de « finales », mais ce sont en réalité les dernières par rapport au moment de la description. La majorité des interactions figurant dans les corpus sont des interactions médianes qui sont effectivement les dernières de l’histoire conversationnelle des participants par rapport au moment où elles font l’objet d’une description. L’histoire conversationnelle des participants se poursuivra lors de la prochaine rencontre. Dans la majorité des rencontres relatées à la librairie-papeterie-presse, au tabac-presse et à La Poste, les participants ont déjà, depuis l’interaction retranscrite, développé nombre d’autres interactions « médianes ». Il se peut également que les derniers épisodes de l’histoire conversationnelle ne soient suivis d’aucune autre rencontre entre les participants. Ceci arrive parfois suite au décès du cliager, à son déménagement ou lorsque les cliagers sont des gens de passage. Cette situation peut également se rencontrer si le commagent cesse son activité (vente, retraite, etc.). Mais c’est surtout typique de certaines interactions de commerce et de service à fréquence peu élevée comme au Crédit Agricole et à la mairie où, de surcroît, le nombre important de commagents divise considérablement la possibilité que le même cliager et le même commagent entrent en interaction lors de la prochaine visite du cliager. Même si elles sont suivies d’autres conversations, ces interactions deviendront médianes et n’auront joué le rôle de conversations « finales » que pendant un certain laps de temps.

Dans le cas des interactions de commerce et de service, les histoires conversationnelles possèdent un degré d’ouverture indéfini, c’est-à-dire qu’on ne peut pas prévoir quand elles se termineront. Elles se prolongent, en tout cas, tant que les participants y trouvent un intérêt. Elles peuvent prendre fin si le cliager, mécontent, passe à la concurrence, ou bien s’il déménage, ou si le commagent cesse son activité ou déménage, la fin de l’histoire conversationnelle n’est alors que partielle car la rupture des rencontres n’empêche pas la poursuite de la conversation intérieure ; ou si l’un des participants vient à décéder, l’histoire conversationnelle étant dans ce cas-là réellement terminée.

Envisagée de cette manière, l’histoire conversationnelle présente un certain intérêt pour l’étude de la relation distante ou intime établie entre les cliagers et les commagents. En effet, le facteur « D » qui sépare les participants est plus important lors de la conversation initiale que lors de la cinquième conversation médiane, laquelle est elle-même plus importante que lors de la vingtième conversation médiane. Au début de l’histoire conversationnelle, la distance entre les interactants est normalement assez prononcée. Elle va, en principe, en s’estompant au fur et à mesure que les conversations médianes se succèdent.

Il convient tout de même de signaler que toutes les interactions auxquelles il est fait référence, qu’elles soient initiales ou médianes, sont des conversations qui se sont déroulées dans un lieu institutionnel. Il faut garder à l’esprit que parallèlement à celles-ci, d’autres conversations peuvent se dérouler entre les mêmes interactants en dehors de ce site. Bien qu’elles ne se situent pas réellement au même niveau, ces interactions viennent s’ajouter à l’histoire conversationnelle que partagent les participants.